Mon poste de télévision (1999)

Rédigé par Serge Aucun commentaire
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C'était en 1999. Dix sept centimètres. Pas plus, pas moins. C’est la dimension de mon téléviseur. Ma boite à images se résume donc à un petit cube de deux kilos que je peux transporter partout. Ce n’est cependant là qu’une possibilité car en fait, je ne change qu’assez rarement cet objet de place. Cette dernière se situe dans un coin, au pied d’un meuble, bien à l’abri des regards. Car comme la lèpre défigure un homme, je trouve qu’un poste de télévision défigure un logement. Cela va même bien au-delà. Posséder un téléviseur est un peu la même chose que de posséder des stupéfiants, et plus particulièrement des drogues dures. Les hommes faibles tombent vite en manque de cette substance que l’on nomme avec ambiguïté l’audiovisuel. Certains y consacrent même la totalité de leurs loisirs durant toute une vie. Aussi lorsque trois ou quatre fois par mois je déplace ce petit poste de télévision pour y regarder dans une position confortable ce qui se déroule sur l’écran, je pense toujours aux biologistes qui manipulent de fragiles flacons contenant des virus extrêmement dangereux pouvant tuer des millions de personnes en un temps très court. Je saisis donc cette petite boite de plastique noir et l’installe sur mon lit, tout en ayant pris soin de rajouter un coussin moelleux pour poser ma tête. Car c’est allongé et quand vient le soir que je pars pour l’aventure périlleuse que constitue le visionnement du petit écran. Lorsque j’appuie sur le bouton de marche, je passe du monde historique de ma bibliothèque, où se côtoient grands penseurs et poètes visionnaires, à la réclame du dernier yaourt qui conserve vos tripes en bonne santé. Je tourne alors le bouton et passe à la chaîne suivante. Cette fois-ci la petite boite propose une émission consacrée aux stars. On y présente autour d’une même table le dernier chanteur populaire à la mode et l’animateur de radio qui tous les matins trouve en direct sur l’antenne la solution pour réparer votre chasse d’eau ou lance un S.O.S. afin que vous puissiez récupérer votre petit chat qui n’est pas rentré à la maison. D’autres « personnalités » sont bien entendu présentes, et le tout est orchestré par une savante animatrice qui se défend d’être une star. A chaque fin de phrase de celle qui n’est pas une star, un déferlement d’applaudissements inonde le studio dans lequel est filmée l’émission. Je tourne encore une fois le bouton. A présent il est proposé aux téléspectateurs une émission littéraire où en quatre-vingt-dix minutes l’animateur doit parler d’une dizaine de livres et interviewer leurs auteurs. Je me dis alors que c’est là une bien belle performance puisque à l’université il nous fallait une année de cours, c’est-à-dire environ quatre-vingt heures pour aborder un seul auteur. La télévision fait vraiment des miracles ! N’étant cependant pas croyant, je décide une fois de plus de tourner le bouton. Mon doigt se pose alors non pas sur le bouton des chaînes mais sur le commutateur marche/arrêt. Je coupe le poste de télévision. Le silence s’installe à nouveau. Allongé sur le lit, je laisse vagabonder mon esprit durant un long moment. A présent détendu, je saisis le téléviseur et vais le déposer dans la poubelle. Je n'aurais conservé cette petite boite électronique que trois mois.

© 1999 Serge Muscat.


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