Quelques propos sur le kitsch

Dans tous les pays existe une culture kitsch produite essentiellement pour les couches populaires et la petite bourgeoisie. Cette culture kitsch met en scène un pays sans aucun regard critique sur ce qu’elle montre. Ainsi la « culture de carte postale » est-elle représentative du kitsch par excellence. La carte postale (même si celle-ci n’est plus beaucoup utilisée au 21e siècle) montre un monument en essayant d’être le plus neutre possible, en participant à une mythologie. Une photographie de la tour Eiffel représente par exemple la culture de la France. Ainsi Abraham Moles dans son ouvrage intitulé : « Psychologie du kitsch »1nous montre que nous vivons une époque où avec le tourisme de masse se développe le kitsch. Nous n’avons jamais été autant entourés de culture kitsch qu’en ce troisième millénaire. Même si l’ouvrage d’Abraham Moles date des années 1970, nous devons reconnaître qu’il est toujours d’actualité. Le kitsch est omniprésent en nous faisant croire à un nouvel art de vivre. Nos manières de se comporter sont imprégnées de kitsch. La consommation de masse est basée sur l’accumulation d’objets qui ne servent à rien sinon à faire fonctionner la machine économique. Objets dérisoires dont parlait Jean Baudrillard dans le système des objets et que nous adulons comme des divinités. Tout cela n’est que pure fétichisme de la marchandise dont parlait Marx2.

Les arabesques, les figures toujours plus proliférantes du baroque que Gilles Deleuze a analysées dans son ouvrage intitulé « Le pli », toute cette excroissance de formes participent à la culture kitsch. Des formes épurées, réduites aux figures géométriques de base et sans artifices, sans accumulations interminables. Accumuler est une manière de se rassurer du non-sens de l’existence.

Il est à noter que le kitsch n’est pas toujours bon marché. Le plasticien Jeff Koons en est le plus bel exemple. Il n’y a pas seulement les nains de jardin dans la culture kitsch. En art comme en architecture, le kitsch se développe aussi bien dans les classes modestes que parmi la bourgeoisie. Nous pouvons dire sans exagérer que le style haussmannien est kitsch. Cette multiplication des courbes et des ornements dont font l’objet les immeubles parisiens et dont la fonctionnalité est nulle, fait partie d’une certaine culture kitsch. Du reste, les nouveaux immeubles ont abandonné ce style d’architecture pour s’orienter vers le fonctionnalisme. Le Paris des cartes postales est un Paris haussmannien. Mais cette architecture ne possède aucune fonctionnalité que nécessite le 21e siècle. A quoi sert de conserver les façades qui datent d’une époque où dans les logements il n’y avait même pas de douche et où les toilettes demeuraient sur le palier.

Dans son ouvrage « psychologie du kitsch » Abraham Moles montre bien que toute notre vie quotidienne est envahie par cette culture kitsch dans toutes les strates de la société. Des vies entières sont basées sur le kitsch, où l’accumulation galopante d’objets est le but ultime de l’existence. Ainsi dans les maisons individuelles s’accumulent une multitude d’objets qui donnent à leurs possesseurs l’illusion d’un sens à leur existence. Cela va du pavillon avec le jardin ouvrier jusqu’à la maison bourgeoise où l’on accumule des bibelots en leur donnant une « valeur affective ». Arrivés en fin de vie, nous croulons sous les objets dont nous nous apercevons qu’ils n’étaient que pures mirages vendus par les publicistes.

© Serge Muscat – avril 2022

1Cf Abraham Moles, Psychologie du kitsch, éd. Denoël, 1977.

2Cf Karl Marx, Le caractère fétiche de la marchandise et son secret, éd. Allia, 2020.

Petite traversée dans le monde du tourisme.

Comme l’a si bien montré Michel Houellebecq, il n’y a rien de plus simple que de se transformer en touriste. Il suffit de franchir la porte de n’importe quelle agence de voyage et de se « laisser guider » depuis le départ jusqu’au retour. Tout est prévu d’avance et est soigneusement planifié. Le parcours du zoo humain est balisé et toutes les sécurités sont là pour parer à l’imprévu.

Les touristes ont la particularité de dépenser leur argent dans le pays où ils arrivent. Ils sont donc une sorte de « ressource » financière que les pays s’arrachent. L’industrie du tourisme est une grande usine qui rapporte beaucoup d’argent. Mais que signifie exactement être touriste à l’ère des « loisirs programmés » ?

Le touriste comme parfait anti-chercheur ou l’idiot qui regarde tout ce qu’on a prévu de lui montrer

Le touriste ne fait essentiellement attention qu’à deux choses : l’architecture et la cuisine locale. Tout le reste lui échappe. La population touristique est un peu particulière. Elle n’a aucune ressemblance avec ce que l’on nomme un sociologue ou un ethnologue. Le touriste d’agence de voyage est par définition aveugle et sourd. La seule chose qu’il souhaite est de se « distraire ». Et les agence de voyage ont tout prévu pour réaliser ce souhait.

Le propre d’un parcours touristique est d’être justement un « parcours », c’est-à-dire une suite de lieux prévus pour être regardés. Alors se pose la question de savoir pourquoi ce parcours plutôt qu’un autre a été choisi ? Cette question élémentaire, le touriste ne semble pas se la poser. Il écoute avec attention ce que « l’animateur » a choisi de lui dire et de lui montrer. Et lorsqu’il n’y a pas d’animateur, le touriste suit le groupe majoritaire pour se rassurer, en se disant que « puisque tout le monde va dans cette direction, c’est qu’il y a quelque chose à voir ». Aussi ces touristes ne regardent-ils rien d’autre que ce que l’on préparé pour eux afin de ne pas voir ce qui serait gênant.

Une culture n’est pas seulement l’architecture et la cuisine locale

Ce qui se présente en premier lieu au touriste est l’architecture. La plupart du temps s’opère une vision sommaire des bâtiments qui donne une vague idée de la culture dans laquelle il est immergé. Et comme il faut se nourrir trois fois par jour, en second lieu intervient le type de cuisine que trouve le touriste dans l’endroit où il séjourne. Et encore, ces deux éléments peuvent être fabriqués dans une autre culture, comme par exemple dans les grandes chaînes d’hôtels internationaux de cinq étoiles, où les personnes vivent en circuit fermé sans avoir de contacts approfondis avec la vie des habitants du pays.

Le touriste est de ce fait aux antipodes de ces étudiants qui vont étudier à l’étranger. Car le touriste n’étudie rien et n’est bon qu’à prendre de mauvaises photos qu’il montrera à ses amis avec fierté. La population touristique se déplace par ailleurs en grands groupes afin de former une micro-société, une sorte de bulle dans laquelle les individus préservent leur culture sans se mélanger à la culture locale, ou alors avec une grande distance. Pour toute médiation ils ont un animateur qui leur explique dans leur langue l’histoire de telle ou telle architecture ou de telle place publique. Le touriste est satisfait de ce pâle vernis culturel que distille l’animateur. Le soir, chacun rentre dans sa chambre d’hôtel en imaginant des histoires plus ou moins féeriques qu’il racontera à ses amis et collègues de travail en espérant les faire rêver.

Le retour

Le touriste doit bien revenir dans sa tribu. Son séjour « artificiel » ne lui a pas appris grand-chose sinon savoir dire bonjour, au revoir et merci dans la langue du pays qu’il a visité. Il a rapporté des gadgets fabriqués en Chine en se disant que ces objets sont le reflet de la culture du pays où il a séjourné. Il doit retourner au travail, supporter son chef de service autoritaire et qui pratique le taylorisme. Il ne lui reste plus qu’à faire de nouvelles économies pour pouvoir faire un autre séjour touristique dans un autre pays par le biais d’une agence de voyage. Et lorsque, ainsi, il aura « visité » une dizaine de pays, il se dira que c’est un aventurier qui a parcouru le monde

© Serge Muscat – Décembre 2017.

La déshumanisation des centres d’appels téléphoniques

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Dans les années 80 étaient à la mode les répondeurs téléphoniques à bande magnétique qui permettaient de laisser un message vocal en l’absence du correspondant. Puis les premiers répondeurs numériques firent leur apparition. Et c’est à partir de ce moment que commença la lente et longue déshumanisation du téléphone et des entreprises qui travaillaient avec cet outil de communication. Le standard téléphonique avec une personne chargée de prendre les appels existait encore. Puis avec le développement croissant de l’électronique, peu à peu sont apparues de nouvelles fonctionnalités dans la téléphonie. C’était l’époque du Minitel et de l’annuaire électronique. Dans les centres d’appels le discours des téléconseillers n’était pas encore formaté selon les canons actuels. Progressivement la téléphonie devint de plus en plus numérique et les industriels commencèrent à entrevoir la possibilité de fabriquer des boîtes électroniques capables de remplacer une standardiste.

C’est à ce moment que démarre réellement la « robotisation tayloriste » des humains. Dans les centres d’appels démarrent des « formations » pour les téléconseillers afin de les faire ressembler à des machines partout identiques.

Les méthodes utilisées dans les centres d’appels

Les personnes qui travaillent dans les centres d’appels sont soumises à de fortes contraintes qui pèsent sur elles, aussi bien au niveau du rendement (le nombre d’appels par heure) que sur le contrôle de ce qu’elles doivent dire et aussi ne pas dire. Au cours de la « formation » on leur apprend à ne laisser filtrer aucune trace d’émotion ou de ce qui serait un peu trop personnel. De ce fait elles doivent apprendre par cœur des formules stéréotypées qu’elles débitent tout au long de la journée avec tous les interlocuteurs et leurs différentes manières de parler. Les composantes spécifiques de la personnalité des téléconseillers sont niées au profit d’une standardisation qui met toutes les personnes sur le même plan, tels des clones fabriqués en série. Ainsi les téléconseillers se comportent-ils comme des boîtes vocales toutes identiques et délivrant le même message. Les conversations sont enregistrées afin que le chef de service puisse contrôler la conformité des discours des téléconseillers.

« Vous avez une autre question ? »

Dans les centres de réception d’appels s’est développé ce que l’on pourrait appeler le syndrome du « Vous avez une autre question ? ». C’est un peu le même syndrome du « Et avec ceci ? » des boulangeries. Phrases stupides et cependant bloquantes qui sont apprises par cœur par tous les nouveaux salariés débutant dans la profession. Ces phrases servent à couper court à toute communication qui serait un peu trop personnelle ou intime. Ainsi les téléconseillers et les boulangères font de la psychologie sans le savoir, sans avoir jamais étudié par exemple l’analyse transactionnelle et la PNL en général. Cependant, en ce qui concerne les téléconseillers, ceux-ci sont formés par des personnes qui, elles, connaissent les théories de la psychologie.

C’est ainsi que notre monde devient de plus en plus formaté, avec des codes de plus en plus stricts qui sont générateurs de malaise social.

L’avenir est-il aux boîtes vocales intelligentes ?

Si les touches du clavier téléphonique permettent de s’orienter dans le labyrinthe qui mène aux téléconseillers, ces derniers finiront à un moment donné par être remplacés par des ordinateurs. Ainsi ce qui n’aura pas été prévu par le programme informatique donnera une réponse inadéquate à une question non stéréotypée d’une personne. C’est donc dans un monde privé d’émotions que se profile le futur. Règne du questionnaire à choix multiples, il reste par conséquent beaucoup de travail à faire par les ingénieurs pour rendre plus humaines leurs créations technologiques

Le tatouage comme élément irréversible d’appartenance

« Marquer la peau revient à marquer l’inscription

du sujet dans le corps social »

Si la grande presse nous dit que le tatouage est devenu une mode sans aucune distinction sociologique, en y regardant d’un peu plus près nous y voyons bien d’autres choses. En effet, nous pouvons dire que le marquage symbolique du corps s’oppose à la différenciation des individus par le vêtement. Ce dernier est mobile et peut s’enlever alors que le marquage du corps est définitif et présent dans toutes les situations sociales. C’est cette non-adaptabilité symbolique qui fait du marquage du corps un procédé particulier.

Les personnes tatouées ont presque toutes un mode de symbolisation radical par le fait de son caractère définitif dans le temps. Cette permanence des individus tatoués fait qu’ils appartiennent à des groupes sociaux bien définis et différents de ceux qui ne sont pas tatoués. La mise en avant et la revendication visuelle et symbolique d’une appartenance à un groupe d’une manière définitive apparente le tatouage au marquage des « marginaux », de ceux qui sont marqués à vie sans possibilité de retour ou d’évolution. Ce caractère figé du tatouage est révélateur d’une certaine non-plasticité de l’individu tatoué. Il inscrit avec fierté son appartenance immuable et irréversible. Aussi est-ce pour cela que la tatouage « fait peur et impressionne ». Car l’on se doute de ce qui se passe dans l’esprit d’une personne qui se fait tatouer. Se faire tatouer c’est « appartenir à » et « être contre quelque chose ou quelqu’un » Cette revendication va bien plus loin qu’une simple esthétique du corps. Elle est la marque d’un conflit chez l’individu tatoué. On peut revendiquer une appartenance quelconque, mais il y a un grand pas de franchi lorsqu’on décide de marquer d’une manière définitive cette appartenance sur son corps.

Par ailleurs on pourrait penser à première vue que le tatouage fait partie du body art. Mais cela serait oublier que les performances de body art ne sont pas des tatouages inscrits définitivement sur le corps. La peinture de body art n’a rien d’indélébile. En ce sens, le corps est utilisé comme un tableau que l’on peut ensuite effacer. C’est le caractère irréversible du tatouage qui fait toute la différence.

Il faut se trouver dans une temporalité bien particulière pour croire que les symboles tatoués correspondront « toujours » à l’état d’âme dans lequel se trouve la personne en train de se faire tatouer. Il faut croire également que le choc psychologique est intense pour arrêter ainsi le temps dans une sorte de présent intemporel, sans avoir la possibilité de se projeter dans le futur. Cette trace sur le corps peut devenir un fardeau difficile à porter, surtout lorsqu’on n’adhère plus aux idées pour lesquelles ces tatouages ont été réalisés.

Le tatouage est comme le patronyme, il indique la filiation et permet de remonter le fil du temps pour qui sait interpréter la symbolique. Si le propre de la mémoire humaine est de pouvoir « oublier »afin de ne pas se transformer en poids, le tatouage, lui, est un rappel permanent du passé. Malgré le vieillissement, le tatouage ne prend pas une ride et reste le témoin fidèle de ce que nous fûmes lorsqu’il a été réalisé. Le tatouage nous suit ainsi jusque dans la mort

© Serge Muscat – septembre 2020.

Interculturalité et proxémie

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Le comportement de chacun nous apparaît au quotidien comme allant de soi et surtout comme étant universel. Or il n’est rien de plus erroné que cette croyance en l’universel. En effet chaque culture possède ses codes, et dans ceux-ci nous allons nous intéresser plus particulièrement à la gestion de l’espace.

Nous utiliserons pour ce faire les travaux de Edward T. Hall qui, dans ce domaine, ont apporté des théories originales. L’auteur s’est intéressé à l’éthologie animale et humaine car ces deux domaines sont complémentaires. Nous porterons notre attention plus particulièrement sur son ouvrage intitulé dans la traduction française : La dimension cachée, publié aux éditions du Seuil.

Même si le contexte lié à l’époque a un peu changé, les théories sur la proxémie restent toujours valables à notre époque actuelle. Nous laisserons volontairement de côté ses études sur l’éthologie animale pour nous concentrer sur tout ce qui relève de l’humain.

Hall est un fin observateur et c’est ainsi qu’il réussit à théoriser les distances entre les individus. Après quelques expérimentations avec un collaborateur linguiste, il en arrive à déduire les quatre principales distances dans la communication humaine. Il les nomme :

– distance intime ;

– distance personnelle ;

– distance sociale ;

– distance publique.

Ces différentes distances ont été élaborées à partir de la manière dont on communique oralement. Cela va du chuchotement à la performance du comédien de théâtre. Toutefois il n’y a pas que l’oralité qui entre en ligne de compte, même si celle-ci est très importante. Il y a également l’importance du champ visuel ainsi que l’olfaction. Ces diverses théories ont été élaborées à partir de l’expérience et l’expérimentation. Ceci a son importance pour montrer que ses propos puisent leurs sources dans une pratique de terrain.

Porte ouverte ou porte fermée

La proxémie ne s’intéresse pas seulement aux distances entre les individus mais aussi à tout ce qui est en rapport avec la gestion de l’espace humain. Et toute architecture comporte ce que l’on peut appeler au sens large des portes. Et selon les cultures les portes sont fermées ou ouvertes selon certaines circonstances, et même parfois un simple rideau fait usage de porte.

Hall a constaté qu’en Amérique du nord, lorsque les gens sont disponibles, ils laissent la porte entrouverte. Pour un américain une porte non fermée ne dérange pas, alors qu’en Allemagne tout doit être soigneusement fermé et les chaises doivent rester à leur place. Ainsi l’espace social et architectural est traité de différentes façons selon les cultures. Ces différences créent parfois des malentendus lorsque des hommes entrent en contact.

On remarque par exemple que dans certaines cultures orientales le rideau remplace la porte. Il n’y a donc plus d’isolation phonique mais une communication « permanente » où chacun entend ce que fait et dit l’autre. La notion d’intimité n’a donc rien d’universel et diffère selon les cultures, tout comme la mobilité des meubles dans un appartement ainsi que nous le montre la culture japonaise.

Les cultures à contact et celles sans contact

Comme l’a remarqué Hall, Il y a aussi bien chez les animaux que chez les hommes, des cultures à contact et des cultures sans contact. L’entassement est le fait de certaines cultures alors que d’autres conservent leurs distances. Par exemple un anglais se sent très mal à l’aise dans un métro japonais où les passagers sont entassés. On peut dire que les orientaux possèdent plus des cultures à contact que les occidentaux. Les orientaux s’agglutinent plus entre eux, sans craindre de se toucher.

En prenant des photographies d’une file d’attente dans différents pays, on s’aperçoit rapidement que les distances entre les individus varient fortement selon les cultures. Ce qui crée souvent des tensions lorsque des personnes de diverses origines se rencontrent, par exemple dans un lieu public.

En France à peine frôle-t-on une personne que nous nous excusons immédiatement. Dans d’autres cultures, comme celles des pays africains, frôler une personne n’a pas les mêmes répercussions dans le comportement.

L’avenir de la proxémie

Il y a de nombreux anthropologues qui ont pris conscience du rôle de l’espace dans le comportement humain. Toutefois Hall est un auteur important dans la théorisation de cet espace. Il nous parle notamment de l’importance de l’espace dans les projets urbains. Trop de villes ont été bâties sans se soucier de la manière dont les habitants occupent l’espace. C’est le cas par exemple des grands ensembles que l’on qualifie de « cages à lapins » ou de « villes-dortoirs ». De plus la culture des habitants n’a pas été prise en compte. Une personne de culture nomade ne restera pas dans un appartement, aussi grand soit-il. Ceci est un exemple parmi d’autres.

Il reste donc de nombreuses questions à résoudre, et le travail des anthropologues et des sociologues est très loin d’être complet

Petite traversée dans le monde du tourisme

Comme l’a si bien montré Michel Houellebecq, il n’y a rien de plus simple que de se transformer en touriste. Il suffit de franchir la porte de n’importe quelle agence de voyage et de se « laisser guider » depuis le départ jusqu’au retour. Tout est prévu et est soigneusement planifié. Le parcours du zoo humain est balisé et toutes les sécurités sont là pour parer à l’imprévu.

Les touristes ont la particularité de dépenser leur argent dans le pays où ils arrivent. Ils sont donc une sorte de « ressource » financière que les pays s’arrachent. L’industrie du tourisme est une grande usine qui rapporte beaucoup d’argent. Mais que signifie exactement être touriste à l’ère des « loisirs programmés » ?

Le touriste comme parfait anti-chercheur ou l’idiot qui regarde tout ce qu’on a prévu de lui montrer

Le touriste ne fait essentiellement attention qu’à deux choses : l’architecture et la cuisine locale. Tout le reste lui échappe. La population touristique est un peu particulière. Elle n’a aucune ressemblance avec ce que l’on nomme un sociologue ou un ethnologue. Le touriste d’agence de voyage est par définition aveugle et sourd. La seule chose qu’il souhaite est de se « distraire ». Et les agences de voyage ont tout prévu pour réaliser ce souhait.

Le propre d’un parcours touristique est d’être justement un « parcours », c’est-à-dire une suite de lieux prévus pour être regardés. Alors se pose la question de savoir pourquoi ce parcours plutôt qu’un autre a été choisi ? Cette question élémentaire, le touriste ne semble pas se la poser. Il écoute avec attention ce que « l’animateur » a choisi de lui dire et de lui montrer. Et lorsqu’il n’y a pas d’animateur, le touriste suit le groupe majoritaire pour se rassurer, en se disant que « puisque tout le monde va dans cette direction, c’est qu’il y a quelque chose à voir ». Aussi ces touristes ne regardent-ils rien d’autre que ce que l’on préparé pour eux afin de ne pas voir ce qui serait gênant.

Une culture n’est pas seulement l’architecture et la cuisine locale

Ce qui se présente en premier lieu au touriste est l’architecture. La plupart du temps s’opère une vision sommaire des bâtiments qui donne une vague idée de la culture dans laquelle il est immergé. Et comme il faut se nourrir trois fois par jour, en second lieu intervient le type de cuisine que trouve le touriste dans l’endroit où il séjourne. Et encore, ces deux éléments peuvent être fabriqués dans une autre culture, comme par exemple dans les grandes chaînes d’hôtels internationaux de cinq étoiles, où les personnes vivent en circuit fermé sans avoir de contacts approfondis avec la vie des habitants du pays.

Le touriste est de ce fait aux antipodes de ces étudiants qui vont étudier à l’étranger. Car le touriste n’étudie rien et n’est bon qu’à prendre des photos médiocres qu’il montrera à ses amis avec fierté. La population touristique se déplace par ailleurs en grands groupes afin de former une micro-société, une sorte de bulle dans laquelle les individus préservent leur culture sans se mélanger à la culture locale, ou alors avec une grande distance. Pour toute médiation ils ont un animateur qui leur explique dans leur langue l’histoire de telle ou telle architecture ou de telle place publique. Le touriste est satisfait de ce pâle vernis culturel que distille l’animateur. Le soir, chacun rentre dans sa chambre d’hôtel en imaginant des histoires plus ou moins féeriques qu’il racontera à ses amis et collègues de travail en espérant les faire rêver.

Le retour

Le touriste doit bien revenir dans sa tribu. Son séjour « artificiel » ne lui a pas appris grand-chose sinon savoir dire bonjour, au revoir et merci dans la langue du pays qu’il a visité. Il a rapporté des gadgets fabriqués en Chine en se disant que ces objets sont le reflet de la culture du pays où il a séjourné. Il doit retourner au travail, supporter son chef de service autoritaire et qui pratique le taylorisme. Il ne lui reste plus qu’à faire de nouvelles économies pour pouvoir faire un autre séjour touristique dans un autre pays par le biais d’une agence de voyage. Et lorsque, ainsi, il aura « visité » une dizaine de pays, il se dira que c’est un aventurier qui a parcouru le monde

© Serge Muscat – Décembre 2017.