It’s not straight

(French version)

Every day it tilts a little more. It’s been tilted since before my birth. It’s true that the Earth is round, and eventually we’re going to end up slipping. But even so. It’s tilting more than usual.

The junkie shooting himself up, him, he’s lying down. In front of him : the television, on the screen of which we see a man standing up straight. Always stand up straight; even as we stumble; this is something we must understand very early…

I am neither the man on the screen, nor the junkie in front of it. And yet I feel that it is tilting, that it’s all going to end up tipping over, like you’d tip out a box of toys to display them on the floor. It can’t last forever, all this logic in the chaos, these ever square walls while throughout infinity black holes devour each other. Why is the straight line the shortest path, when everything in our universe is curved? The junkie’s thought travels full circle and comes back to itself. It just keeps looping, passing through the same starting point. In front of the television, he sees shadows moving. He cannot determine in which direction these shadows are going; as they seem to return perpetually to the centre of the screen. They seem to be moving whilst staying still. After all, that is what televisions do: don’t move, stay still, create social order.

The junkie then imagines millions of people all sitting in an armchair or on a sofa at the same time, staying still, with a glassy eyed look. He doesn’t really know what time it is. Then he tells himself he is simply no longer in time. Through the window, he thinks he sees cranes circling. The world shifts whilst staying still. However everything moves in the same unknown direction. Then everything ends up tilting; and collapsing…

We find ourselves on all fours, as we were as a baby. Lying down in the pram, lying down in the coffin, we always end up tilting. With or without gods, we always bite the dust to end up in the state of balls or micro-spheres that are found in cremation powder, or the fine sand of a beach

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Une étoile filante

(English version)

 

Je la vis tomber du ciel. Belle et lumineuse, elle ressemblait à une grande étoile de mer. Je me baissai puis la pris dans ma main. A mon grand étonnement, je m’aperçus qu’elle bougeait légèrement.

_ J’ai fait un long voyage épuisant pour venir jusqu’à toi, me dit l’étoile. Les nuits étaient d’une obscurité effroyable et les soleils peu nombreux. J’ai d’ailleurs la sensation d’avoir perdu un peu de ma lumière.

_ Je trouve que tu es encore très belle et étincelante. Ce n’est pas comme moi dont la lumière se trouve à l’intérieur et avec laquelle il ne m’est donc pas possible d’éclairer mon chemin. J’ai marché durant des heures, des mois et des années dans la tristesse, avec l’espoir que tu viendrais à ma rencontre. Dans l’obscurité, tellement tu étais lointaine, je me cognais contre tous les obstacles, même si parfois je croyais savoir où j’allais. Et tu ne t’apercevais même pas de mes tâtonnements.

_ Je cherchais à comprendre.

_ Il est parfois nécessaire de ne pas chercher à comprendre pour justement mieux comprendre les choses.

Toujours dans ma main, elle doubla brusquement de volume en modifiant légèrement sa forme, devint plus lourde, puis, tout en se métamorphosant, sauta pour atterrir alors sur le sol en apparaissant dans sa vraie physionomie.

_ Je ne me lasserai jamais de te regarder, lui dis-je avec un léger sourire cependant empreint de gravité.

_ Même lorsque ma lumière sera proche de rejoindre l’obscurité ?

_ C’est sans importance. Je serai moi aussi proche de l’obscurité. Ce qui fait que je percevrai mieux ta lumière que sous un ardent soleil.

J’aimais en elle le blond discret de sa chevelure qui était en parfaite harmonie avec la couleur de ses yeux. Son visage était d’un paisible sérieux d’où émanait le rayonnement de l’intelligence. Je ne savais pas grand chose d’elle et pourtant je l’aimais. Aussi m’ouvrais-je à elle comme si nous nous connaissions depuis toujours. Sous sa clarté j’avais enfin la délicieuse sensation de ne plus être seul. Elle était mon œuvre d’art vivante faite pour me tenir compagnie. Et le bonheur irradiait tout mon être.

_ Lorsque, de là-haut, j’apercevais la lumière de ta fenêtre, je me demandais à quoi tu pouvais bien penser. Du ciel, je n’avais d’yeux que pour cette minuscule lumière perdue au milieu des milliards de points lumineux.

Elle prit alors ma main. Je sentis une étrange sensation se transmettre de mon bras au reste de mon corps.

_ Tu aimerais partir en voyage avec moi? me demanda-t-elle.

_ Je ne désire qu’une seule chose : être avec toi.

_ Alors viens.

Nos deux corps s’illuminèrent soudain, puis nous traversâmes le ciel en laissant derrière nous une longue trainée lumineuse.

Deux amoureux allongés dans l’herbe se regardaient en silence. Tout à coup elle leva les yeux et dit:

_ Regarde comme c’est joli, il y a deux étoiles filantes qui passent dans le ciel.

 

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Copyright  2000 Serge Muscat

Publié dans la revue Inédit n°143, juin 2000 (Belgique).

 

 

Du gramophone à l’ordinateur

(English version)

DU GRAMOPHONE A L’ORDINATEUR

Une odyssée de la mémoire

Par Serge Muscat

 

Durant des siècles, l’écriture, la peinture et la sculpture furent les seuls média pour conserver les traces du passé. Cette très longue période fut ce que l’on pourrait appeler « la période du silence ». Puis, au début du XXe siècle, les inventions de l’enregistrement sonore, photographique et cinématographique ont totalement modifié les comportements culturels de nos sociétés.

Pendant la première moitié du XXe siècle, les différentes technologies de conservation des informations ne relevant pas de l’écriture furent totalement différenciées et indépendantes. La photographie et le cinéma utilisaient du bromure d’argent, et les enregistrements sonores utilisaient des bandes magnétiques pilotées par un système électronique à lampe, puis à transistor analogique. Et aucune convergence n’existait entre ces diverses technologies. Puis à la fin du XXe siècle apparut l’invention de l’informatique. Grâce à cette technologie, tous les supports d’informations se retrouvèrent réunis en un seul. L’informatique est donc devenue un « hypermédia ».

Face à cette capacité de rassembler tous les média en un seul, un certain nombre de questions apparaissent à présent. La mémoire du passé étant dépendante des technologies électroniques et des logiciels qui les accompagnent, comment envisager le stockage et la diffusion de ces informations, alors que la plupart des technologies de l’informatique sont verrouillées par des brevets? L’importance capitale de pouvoir accéder à cette mémoire du passé sans dépendre des entreprises qui détiennent les brevets permettant de fabriquer les équipements aptes à décoder ces informations provoque de nombreux conflits.

Jamais autant qu’aujourd’hui ne s’est posé le problème de la conservation et de la restitution des informations stockées sur les ordinateurs. La plupart des logiciels produits étant des logiciels brevetés, toute indépendance à l’égard de l’information est par conséquent impossible. Nous sommes arrivés à un stade de la numérisation de l’information où nous ne reviendrons pas en arrière. Il est donc très important d’acquérir une indépendance pour la conservation de notre histoire.

Depuis l’invention du magnétophone et de la caméra, nous avons pu conserver des archives sonores et filmiques de notre société. Ces inventions ont considérablement élargi le champ historique autrefois cantonné aux documents écrits. Avec l’invention de ces technologies, la culture orale est devenue une sorte de culture « orale-écrite »ne subissant plus les déformations de la culture orale initiale de jadis, où l’on transmettait les récits de génération en génération de bouche à oreille.

Toute la richesse de ces archives passe désormais par le filtre de l’informatique pour être consultée. Le risque est donc par ailleurs important de voir se volatiliser des informations précieuses que le livre ne peut pas transmettre. La poésie sonore serait par exemple impossible à transcrire sur un document imprimé étant donné qu’elle fait souvent appel à des sonorités qui ne relèvent pas du langage conventionnel. La possibilité de conserver le discours oral dans sa forme première est un progrès considérable dont nous ne prenons pas assez conscience dans notre vie quotidienne. Si le magnétophone avait existé à l’époque de Socrate, probablement le comportement des individus aurait été différent, mais nous aurions également une approche totalement différente de la recherche philosophique.

Si il y a eu une préhistoire, puis avec le document écrit une histoire, avec l’enregistrement sonore et vidéo nous sommes entrés dans une nouvelle histoire qui nous permettra de bien mieux comprendre le sens de nos actions passées, de nos passions et de nos erreurs.

© Serge Muscat, janvier 2008.