La vie est un rêve

De partout les hommes nous parlent de réalité. J’ai tant entendu ce mot que j’ai fini par y croire parfois. Pourtant, je sais bien que la réalité n’existe pas, qu’elle est fugace et insaisissable. Vouloir croire en une quelconque réalité c’est encore et encore se bercer d’illusions. Si la réalité existait, depuis que l’humanité existe nous aurions fini par la trouver. Comment percevoir le réel alors que nous sommes nous-mêmes producteurs de cette réalité ? Le principe de réalité dont parle Freud est une illusion de plus sur le grand tableau des chimères. Chacun porte en soi une réalité qui est la seule à exister. Toute production matérielle est la projection d’une réalité individuelle. La nature nous a fait imparfaits et incapables de voir le réel. Et pourtant l’on tue au nom de ce réel qui existerait. L’école est faite pour nous apprendre une réalité que l’on imposera ensuite à des gens dans le monde du travail. Toutes les violences sont faites au nom de la réalité. C’est au nom du réel que les hommes se font la guerre. C’est à cause d’une certaine réalité que des hommes meurent de faim et de soif. C’est à cause d’une certaine réalité que des gens vivent dans la rue. Le principe de réalité énoncé par Freud est avant tout une réalité bourgeoise qui fait que des hommes sont dominés par d’autres hommes. Et cette réalité n’a rien d’universel.
Ce n’est pas uniquement le réel qui change, mais également nous-mêmes. Le réel s’évanouit selon l’heure de la journée, selon où nous en sommes dans notre vie, selon le lieu où l’on se trouve et dépend de mille autres facteurs qui font que nous ne percevons jamais la réalité.
La réalité n’est-elle pas celle de l’artiste qui propose une vision de ce que nous ne voyons pas toujours ? La réalité c’est aussi celle du poète qui nous fait vivre des sensations personnelles qui sont le propre de chaque homme. Dans l’impossibilité de tout vivre, nous sommes amputés du réel. La réalité est toujours en devenir, jamais atteinte ; elle fuit comme la ligne d’horizon. Les professionnels de la réalité envahissent les médias en nous disant sur un ton péremptoire ce qu’il en est exactement de la réalité du monde. Le réel est caché, masqué sous un vernis de fausse objectivité. Il n’y a que des points de vue, des angles d’approche, des discours personnels qui n’ont aucune valeur de vérité. Le réel c’est chacun de nous, pourrait-on dire. On ne perçoit la réalité qu’à partir de schémas théoriques et d’expériences antérieures. Or chaque expérience est unique, et de ce fait il n’y a pas de réalité universelle.

La saleté

Les maniaques voient de la saleté partout. Est-ce une réalité ? Est-ce une illusion ? La poussière est ce qu’il y a de plus répandu sur la planète. Tout n’est en fait que poussières. Et il est bien difficile de dire s’il y en a de trop sur une quelconque surface.
Le nettoyage est l’art de ceux qui n’ont rien à faire dans la vie. Enlever la poussière occupe pleinement leur temps libre et donne une sorte de sens à leur vie. Faire le ménage peut devenir une activité passionnante pour qui est habité par le rien. Un coup d’éponge par-ci, un peu de javel sur le lavabo et le monde devient beau…
Le ménage est caractéristique de la société occidentale dans laquelle tout doit briller. C’est ce scintillement qui donne à la vie une signification possible. Les paillettes ont encore beaucoup d’avenir dans notre monde d’écrans. Les reflets d’une vérité factice transitent sur les réseaux de la planète et imbibent les cerveaux mous qui attendent une perpétuelle nouveauté. « Il faut que ça brille ! » Tel est le leitmotiv de notre univers propre et pelliculé.
La saleté n’a pas sa place dans une société dans laquelle tout est aseptisé et où le bonheur est vendu sous cellophane. Le progrès fait partout régner la couleur blanche, et le monde ressemblera bientôt à une salle d’hôpital qui finira par tous nous accueillir…