« Marquer la peau revient à marquer l’inscription
du sujet dans le corps social »
Si la grande presse nous dit que le tatouage est devenu une mode sans aucune distinction sociologique, en y regardant d’un peu plus près nous y voyons bien d’autres choses. En effet, nous pouvons dire que le marquage symbolique du corps s’oppose à la différenciation des individus par le vêtement. Ce dernier est mobile et peut s’enlever alors que le marquage du corps est définitif et présent dans toutes les situations sociales. C’est cette non-adaptabilité symbolique qui fait du marquage du corps un procédé particulier.
Les personnes tatouées ont presque toutes un mode de symbolisation radical par le fait de son caractère définitif dans le temps. Cette permanence des individus tatoués fait qu’ils appartiennent à des groupes sociaux bien définis et différents de ceux qui ne sont pas tatoués. La mise en avant et la revendication visuelle et symbolique d’une appartenance à un groupe d’une manière définitive apparente le tatouage au marquage des « marginaux », de ceux qui sont marqués à vie sans possibilité de retour ou d’évolution. Ce caractère figé du tatouage est révélateur d’une certaine non-plasticité de l’individu tatoué. Il inscrit avec fierté son appartenance immuable et irréversible. Aussi est-ce pour cela que la tatouage « fait peur et impressionne ». Car l’on se doute de ce qui se passe dans l’esprit d’une personne qui se fait tatouer. Se faire tatouer c’est « appartenir à » et « être contre quelque chose ou quelqu’un » Cette revendication va bien plus loin qu’une simple esthétique du corps. Elle est la marque d’un conflit chez l’individu tatoué. On peut revendiquer une appartenance quelconque, mais il y a un grand pas de franchi lorsqu’on décide de marquer d’une manière définitive cette appartenance sur son corps.
Par ailleurs on pourrait penser à première vue que le tatouage fait partie du body art. Mais cela serait oublier que les performances de body art ne sont pas des tatouages inscrits définitivement sur le corps. La peinture de body art n’a rien d’indélébile. En ce sens, le corps est utilisé comme un tableau que l’on peut ensuite effacer. C’est le caractère irréversible du tatouage qui fait toute la différence.
Il faut se trouver dans une temporalité bien particulière pour croire que les symboles tatoués correspondront « toujours » à l’état d’âme dans lequel se trouve la personne en train de se faire tatouer. Il faut croire également que le choc psychologique est intense pour arrêter ainsi le temps dans une sorte de présent intemporel, sans avoir la possibilité de se projeter dans le futur. Cette trace sur le corps peut devenir un fardeau difficile à porter, surtout lorsqu’on n’adhère plus aux idées pour lesquelles ces tatouages ont été réalisés.
Le tatouage est comme le patronyme, il indique la filiation et permet de remonter le fil du temps pour qui sait interpréter la symbolique. Si le propre de la mémoire humaine est de pouvoir « oublier »afin de ne pas se transformer en poids, le tatouage, lui, est un rappel permanent du passé. Malgré le vieillissement, le tatouage ne prend pas une ride et reste le témoin fidèle de ce que nous fûmes lorsqu’il a été réalisé. Le tatouage nous suit ainsi jusque dans la mort ●
© Serge Muscat – septembre 2020.