L’ordinateur

Cet objet caractéristique du XXe, et surtout du XXIe siècle, ne cesse de me surprendre. Cette machine polymorphe, dont on pensait il y a cinquante ans qu’elle ne servirait à rien et qui est devenue indispensable à notre vie quotidienne, est une révolution comme l’ont été l’invention de l’imprimerie et la machine à vapeur. Lorsque je vois les mutations produites, je n’ose pas imaginer ce que provoquera comme changements le successeur de l’ordinateur.

J’aime entendre le doux ronronnement des ventilateurs qui interpelle ma conscience presque comme une présence humaine. Il reste à faire une phénoménologie de cet étrange objet dont on ne fait plus attention tant il est intégré à notre vie quotidienne. Bien entendu, nous recevons aussi des publicités dans notre messagerie ; mais nous recevons aussi des messages de personnes du monde entier. Nous pourrions, comme l’a fait Francis Ponge avec la figue, écrire un livre entier intitulé : Comment un ordinateur de paroles et pourquoi. L’ordinateur est pour moi cette figue qui consolait jadis cet auteur.

Les encyclopédies en ligne sont un vrai régal qui enchanteraient les hommes des Lumières s’ils vivaient à notre époque. Mais au lieu de cela nous avons fabriqué « le capitalisme cognitif ». Avatar de l’invention de l’informatique où les hommes sont à nouveau asservis par le capital. Prolétaires du clavier et de la souris, des individus sont payés au clic. Voilà le funeste avenir de cette si belle invention. Dérapage de la technique, si nous ne prenons pas garde, cet objet qui semble anodin pourra transformer notre vie en cauchemar. Bienvenue, donc, dans le monde réel

Le territoire

Les hommes et les animaux ont toujours combattu pour un territoire. Cela fait partie de l’instinct du vivant. Aussi lorsque je parcours la ville pour me rendre à un endroit, lorsque je prends par exemple le bus, je perçois cette notion de territoire chez les personnes qui montent et descendent.

Le regard posé sur les gens est imprégné de cette géographie. Chacun cherche à savoir quel est le territoire d’autrui, bien que cela soit difficile à déterminer. Et tel un chien qui grogne pour défendre sa niche, nous grognons intérieurement lorsque nous supposons qu’un individu est d’un autre territoire que le nôtre. Et c’est de cet instinct que proviennent de nombreux malentendus.

Un bus qui traverse une grande ville opère chez les voyageurs un mélange de curiosité et de déchirements intérieurs. Nous traversons une multitude de territoires, et chaque personne qui monte dans le bus semble appartenir à une petite portion de la ville. Émerveillement ? Crainte ? C’est un peu tout cela à la fois. Nous faisons de la géographie humaine sans en prendre conscience.

Comme cela serait agréable si tout le monde prenait le même bus en descendant tous au même arrêt. Il n’y aurait plus de conflits et la géographie ne servirait plus à faire la guerre. Malheureusement notre condition de terrien nous oblige à suivre toujours plus de chemins et à traverser des territoires défendus avec âpreté par ses occupants.