L’écriture date de plusieurs milliers d’années et remonte aux temps les plus lointains de l’histoire de l’humanité. Elle fut un facteur fondamental dans l’évolution des sociétés. Sans l’écriture, l’homme n’aurait pas pu évoluer comme il l’a fait jusqu’à aujourd’hui.
Outil de conservation des connaissances, l’écriture permet la transmission des savoirs au fil des générations successives. Apprendre à écrire, surtout dans notre société actuelle, est aussi important que de savoir parler notre langue maternelle, et accessoirement de connaître des langues étrangères. Or, depuis l’avènement de l’informatique, l’écriture manuscrite a pris une moindre importance au profit de l’écriture sur clavier, que cela soit sur un ordinateur portable ou fixe ou sur un smartphone.
Lorsque de nos jours vous assistez à un cours en amphithéâtre, vous constatez que plus de la moitié des étudiants prennent des notes à l’aide d’un ordinateur portable, et que de plus l’enseignant n’écrit pas sur un tableau mais présente des diaporamas très souvent réalisés avec Powerpoint.
Cette constatation nous amène à nous poser de nombreuses questions quant au devenir de l’écriture manuscrite. Apprise à l’école primaire, l’écriture manuscrite fait partie des apprentissages fondamentaux que tout écolier doit connaître. Et pourtant certains responsables de l’Éducation Nationale parlent d’introduire les tablettes et les ordinateurs à l’école primaire. Que deviendrait cette école si dès le plus jeune âge on apprend aux enfants à écrire à l’aide d’un ordinateur plutôt que de leur faire prendre des notes en écrivant sur des cahiers ?
On voit ici très rapidement apparaître les paradoxes que fait naître l’informatique et son utilisation abusive. Un enfant qui apprendrait à écrire sur un ordinateur ne serait plus capable d’écrire une simple phrase sur un bout de papier.
La situation peut sembler caricaturale et pourtant la plupart des étudiants actuels prennent des notes dans les cours en se servant d’un ordinateur portable, avec toutes les contraintes que cela comporte. La numérisation de la société a abouti à des excès dont on ne prend pas réellement conscience. Le courrier postal est en chute libre au profit de la communication par courrier électronique. Presque plus personne ne tient une correspondance par la voie du courrier postal. Nous en sommes arrivés à une aberration qui ne semble pas fléchir. Si cela continue, la fabrication d’ordinateurs portables va devenir la plus grande industrie parmi tous les secteurs de la production, et nous serons tous condamnés à utiliser ces ordinateurs pour la moindre tâche quotidienne.
En anticipant un peu les choses, un individu sans ordinateur reviendrait à l’âge préhistorique où n’existait pas l’écriture.
Nous nous dirigeons sans y prendre garde vers un point de catastrophe où toute la société informatisée va s’écrouler comme un château de sable sous l’effet d’une vague violente. Notre dépendance à l’égard de l’informatique va devenir telle, que la moindre panne d’électricité sera quasiment mortelle pour une très grande partie de la population.
Mais il n’y a pas qu’une panne d’électricité qui peut avoir de fâcheuses conséquences pour les individus. Il va se produire un autre paradoxe qui est que posséder un ordinateur sera plus important que de se nourrir. Déjà, on ne peut plus trouver un emploi sans utiliser un ordinateur. C’est dire jusqu’à quel point de dépendance nous en sommes arrivés. Ainsi une personne sans ordinateur est systématiquement exclue du marché du travail. L’informatique, de ce fait, fabrique de l’exclusion plus qu’elle ne libère les hommes.
Par ailleurs, dans un avenir proche, savoir écrire sur une feuille de papier ne sera plus d’aucune utilité si l’on ne possède pas un ordinateur. En cela, comme l’écrivait Edgar Morin, « nous avançons comme des somnambules vers la catastrophe. »
© Serge Muscat – novembre 2015.
Publié dans la revue Infusion, novembre 2015 et la revue Chemin faisant, novembre 2015.
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