Lorsque j’étais enfant, à l’âge de la pensée magique, la colle me fascinait. Cette étrange substance capable de faire tenir ensemble presque toutes les matières relevait pour moi du miracle.
J’avais réalisé un château fort avec des allumettes et beaucoup de colle. Cela préfigurait ce que j’ai retrouvé par la suite en biologie, à savoir l’assemblage de cellules qui constituent le vivant. Ne connaissant pas encore, du haut de mes dix ans, les phénomènes physiques qui interviennent dans le processus des matériaux collés, je m’amusais à joindre des objets hétéroclites tout en restant rêveur. Je faisais, sans m’en apercevoir, mes premières découvertes de l’empirisme, cette source intarissable de connaissances. J’assemblais des maquettes d’avions que je prenais un grand plaisir à regarder une fois entièrement montées.
Sans en prendre conscience, je tenais là un principe essentiel : que tout est fait d’assemblage. Principe dont ne déroge aucune science. Car le savoir est un gigantesque assemblage de théories qui sont souvent réfutables. Et ces théories tiennent avec de la colle conceptuelle. Parfois elles se brisent et l’on tente comme on peut de recoller les morceaux. Et nous découvrons alors, dans ce montage imparfait, une nouvelle théorie.
A présent je ne construis plus de maquettes ; je colle seulement les morceaux d’une vie qui se perd dans des souvenirs infinis et labyrinthiques.
(Décembre 2021)