L’invention de l’écran plat est une catastrophe pour les écrivains nomades de notre époque qui ont bien souvent pour bureau les tables des cafés.
Il fut un temps où malgré le bruit des consommateurs, les écrivains trouvaient un endroit suffisamment calme dans les cafés. L’avènement de l’écran plat utilisé pour diffuser des programmes de télévision nourris par les vidéos de musique et les retransmissions sportives a fait basculer tout un univers.
Ainsi le café actuel se transforme-t-il, selon les horaires, en stade de football ou en palais des sports où hurlent des milliers d’individus admiratifs devant la dernière starlette à la mode qui donne un concert au profit des pauvres de notre société. Peu à peu les cafés sont recouverts par ces écrans plats qui « contrôlent » insidieusement les individus. Nous en sommes ici à la deuxième étape du monde décrit par Orwell dans 1984. Les écrans qui avaient déjà totalement envahi les foyers s’installent à présent dans tous les lieux publics. Ainsi se superpose d’une manière progressive à notre vision du réel la vision diffusée par ces écrans qui, devenant de plus en plus plats et de plus en plus grands ou petits, finissent par nous faire traverser l’existence comme en étant perpétuellement dans une salle obscure de cinéma où se déroulerait un film commercial. Les écrivains, de ce fait, fréquentent de moins en moins les cafés pour rédiger leurs brouillons par crainte d’être inconsciemment imbibés des derniers tubes à la mode.
Des considérations sur la désertion des cafés par les écrivains, nous glissons lentement vers les conceptions de Michel Foucault sur la société de contrôle, où informer les individus est une façon de les contrôler, jusqu’à l’aboutissement final de l’autocontrôle. L’information se transforme bien vite en injonctions. Ce qui fait que l’écrivain souhaitant fréquenter les cafés pour écrire, en tentant d’y trouver quelque inspiration, ne sera que l’objet d’un lavage de cerveau dont sa prose pâtira fâcheusement. Si les écrivains naturalistes utilisaient le monde qui les entourait pour composer leurs fictions, l’écrivain d’aujourd’hui à tendance à voir le monde par médias interposés, à partir desquels on diffuse des fictions que l’on qualifie de « réalités ».
Notre époque est celle de l’aveuglement, où l’œil n’est confronté qu’à l’obscurité. Et il en est de même pour l’écoute, où la surdité a peut-être atteint son apogée. Le vacarme généralisé de la musique commerciale envahissant tous les lieux correspond à un silence total où le décryptage devient difficile, voire impossible.
L’écrivain ne peut rester cloitré dans sa chambre pour rédiger les interminables pages de ses ouvrages. Quels lieux lui reste-il pour oxygéner son stylo autant que ses poumons ?
Notre société du spectacle a condamné les écrivains à fréquenter le dernier refuge que sont les toilettes. Triste sort pour ceux qui ont la charge de donner du sens à ce qui nous entoure. Et cela ne durera pas bien longtemps. Dans ces lieux aux odeurs douteuses viendra également s’immiscer les derniers tubes à la mode par le biais d’un haut-parleur accroché au plafond et d’un écran plat dans les WC.
copyright 2007, Serge Muscat.