Depuis le futurisme, la vitesse n’a cessé de s’accélérer. Ça va vite. Trop vite ? La course à l’innovation est devenue un bolide que personne ne semble pouvoir ralentir. J’observe tout cela avec perplexité en essayant d’entrevoir les limites. Car il y aura bien une limite ! Tout possède une limite. L’infini est un concept qui nous aide à comprendre l’inconcevable, mais sur notre planète tout est borné et possède des limites.
Je regarde l’euphorie des ingénieurs qui pensent défier la nature dans le toujours plus. L’idée de limite ne semble pas germer dans leur esprit. Ils possèdent la conviction que l’on peut faire toujours reculer les limites. La loi de Moore par exemple a été contournée en changeant les procédés de fabrication des transistors, et il en va ainsi de toutes les limites qui semblaient indépassables. Je me suis souvent demandé d’où provenait cette rage (il n’y a pas d’autre mot plus adéquat que celui-ci) de se surpasser dans tous les domaines. Rien ne semble arrêter l’esprit de perfectibilité. Persister dans son être, tel semble être le propre de l’homme. Cette volonté de puissance finira-t-elle par nous perdre ?
Les nouvelles mythologies
Nos ingénieurs participent activement à une nouvelle mythologisation du monde. Dans un discours qui se veut éloigné des réalités techniques et de terrain, toute une fiction métaphorique enrobe des technologies comme l’IA ou les robots « intelligents ». Cependant, le seul objectif de ces ingénieurs est de gagner le plus d’argent possible. Aussi les utilisateurs doivent-ils avoir un esprit critique sur ces technologies qui possèdent des limites et qui, aussi, dans certains cas, sont également nuisibles.
L’objet technologique se présente au regardeur dans un pur présent, tout en faisant toujours référence au futur. Dans leurs propos, il existe une positivité du futur, en ne se tournant jamais vers des dystopies possibles. Le discours de l’ingénieur relève presque du performatif : tout en parlant il fabrique ses objets toujours plus sophistiqués. Nous sommes passés des années 1960/70 d’une surabondance des formes à un minimalisme technique où tout se doit d’être compact, de renfermer un maximum d’énergie et de fonctionnalités sur des objets miniatures.
La mythologie des équipements retombe malheureusement aussi rapidement qu’elle s’est élevée. Au bout de quelques mois, le mythe s’épuise pour ne laisser la place qu’à un simple objet qui ne fait plus briller le regard. Une fois au rebut, il perd toute sa magie que quelques historiens des techniques feront revivre durant l’espace d’un livre ou d’une exposition.
Le vintage est, lui, un peu particulier. L’objet vintage, on l’aura compris, se situe dans une autre temporalité que le high tech. Le vintage fait appel à un âge d’or, à un paradis perdu, à un temps ayant atteint son point culminant dans un passé proche ou lointain, que l’on ne retrouvera, justement, que grâce à cet objet portant les traces de ce passé que l’on ne peut faire revivre. Il en est ainsi, par exemple, du disque vinyle représentant l’apogée du son analogique.
Par ailleurs, presque personne n’échappe à la pensée animiste, cette pensée des premiers âges de l’humanité. Et nous projetons dans les objets nos diverses croyances enfouies au plus profond de notre inconscient. Ainsi les ingénieurs trouvent-ils beaux les objets qu’ils fabriquent. Certains vont jusqu’à dire qu’une usine est jolie. Nous sommes donc là dans un relativisme total où l’esthétique d’une usine équivaut à l’esthétique d’une peinture.
Ingénierie et pensée fonctionnaliste
A partir du moment où l’ingénieur se positionne en tant qu’esthète, se profile alors un univers dont certains ne veulent pas. Si l’on s’est habitué à l’esthétique du Centre Georges Pompidou, il n’en reste pas moins que ce musée possède l’esthétique d’une vulgaire usine. C’est à cela que nous fait aboutir le triomphe de l’ingénieur. Le fonctionnalisme poussé à son paroxysme nous fait déboucher sur un monde inhumain.
Dans le fonctionnalisme tout doit être utile. Or ce qui est inutile est justement ce qui est indispensable. Ce qui est fonctionnel n’est pas esthétique. Se fondre dans la pure fonctionnalité est une illusion pour ergonomes. Une sculpture n’est pas ergonomique, elle est mieux : elle est esthétique. Évidemment les designers tentent de concilier ergonomie et esthétique mais ce n’est que rarement une réussite. Une sculpture de Giacometti n’est pas vraiment ergonomique. Ni celle d’un Tinguely. Elles ne servent à rien de pratique. Pour les fonctionnalistes c’est l’adéquation de la forme et de la fonction qui crée l’esthétique. Et dans cette accélération croissante, le fonctionnalisme devient de plus en plus un critère important dans le choix des objets. Tout est réduit au fonctionnel. Du moins pour ce qui concerne la production industrielle.
La durée de vie des produits et les contradictions techniques
La durée de vie des produits est de plus en plus courte, et un mouvement contraire apparaît avec la possibilité de réparer les objets au lieu de les recycler. Les coûts énergétiques et de matière première sont ainsi amoindris au lieu de fabriquer toujours plus de jetable. Car les coûts de fabrication ne sont pas les seuls à prendre en considération, il y a aussi les coûts secondaires comme les problèmes de pollution et les crises écologiques.
Les machines finissent par s’emballer, tout va trop vite et il nous faut retrouver un rythme de vie et de consommation qui soit adapté aux nouvelles caractéristiques de la planète. Car la terre se modifie à force de l’exploiter sans retenue. Cette évidence n’est pourtant pas acceptée par tout le monde. Des discours d’autruches sont encore à l’œuvre dans le monde industriel. On fait appel à la technique pour résoudre des problèmes techniques qui produisent à leur tour d’autres problèmes techniques, et ainsi de suite. Nous sombrons ainsi sous une avalanche de problèmes à résoudre car les solutions trouvées ne sont pas les bonnes. Il en est de la technique comme des médicaments : il y a les effets secondaires et indésirables. Aussi est-il nécessaire de prendre tous les facteurs en considération. La société de consommation des produits jetables a abouti à l’homme jetable de l’ultralibéralisme ! Nous n’allons pas dans la bonne direction et nous transformons la société en cauchemar éveillé. La société n’est pas une startup. Elle est bien plus complexe qu’une simple petite entreprise. Les sciences sociales sont là pour nous le montrer. Et il se pourrait bien que nous ayons atteint la vitesse critique du progrès technique.
Que nous le voulions ou non, nous serons obligés de ralentir si nous ne voulons pas être confrontés à la catastrophe. Notre planète est finie et cette évidence finira par s’imposer aux esprits les plus réfractaires. Zygmunt Bauman, Bruce Bégout, et de nombreux autres auteurs nous ont déjà avertis du précipice qui nous attend si nous ne ralentissons pas. Espérons qu’ils seront entendus avant que la planète entière ne devienne une immense décharge publique. Si le progrès est utile en médecine pour soigner des maladies et prolonger la vie, toutes les évolutions ne sont cependant pas sur le même plan. Il y a des sortes de constantes qui semblent pour le moment indépassables. Ainsi par exemple pour l’oxygène. Pour le moment il n’y a que les végétaux qui sont capables de produire de l’oxygène. Or cette réalité (je défie quiconque de prouver le contraire!) doit être prise en considération pour notre survie. Et planter des arbres n’est pas une simple lubie d’écologiste comme le pensent certains. C’est prendre conscience d’une réalité incontournable. S’il n’y a plus de végétaux, il n’y aura par conséquent plus de production d’oxygène. C’est une chose qu’on apprend pourtant au collège, en SVT ! Ainsi certaines personnes qui nient ces réalités sont particulièrement dangereuses pour la société. Que cela soit la société française ou celle de tous les autres pays. Les plantes produisent de l’oxygène de la même manière sur toute la planète, y compris dans le pays de Donald Trump. Ainsi les changements doivent-ils se faire en prenant conscience de certaines variables pour le moment immuables. Une société peut continuer à évoluer et doit même évoluer, car il semble qu’on puisse améliorer certaines choses, mais cela ne veut pas dire que les changements dans tous les secteurs et les activités humaines sont forcément bénéfiques. Or nous faisons malheureusement bien souvent l’inverse. Nous conservons des pratiques qui sont néfastes pour l’homme et procédons à des changements sur des choses qui pour le moment doivent rester comme elles sont sinon l’homme risque de disparaître. On peut douter de l’utilité à ce que l’homme poursuive sa grande aventure vers le futur. Certes. Il n’en demeure pas moins que sans regarder vers le lointain futur, il y a des personnes qui meurent actuellement parce que d’autres personnes imposent leurs décisions et leurs actes sur ces premières personnes. Sans même regarder les guerres, il y a des gens qui par exemple meurent de maladies causées par certaines industries qui n’ont pas voulu respecter certaines règles produites par ceux qui demeuraient plus clairvoyants en ce qui concerne le vivant et le métabolisme humain. L’industrie est utile. A la condition qu’elle ne nuise pas au contraire à la vie de l’être humain. L’industrie doit être au service de l’épanouissement de l’homme, mais lorsqu’elle nuit à celui-ci par divers moyens, comme lorsqu’elle détruit la nature qui est indispensable à l’homme, car même l’individu des grandes villes bénéficie sans en prendre souvent conscience des produits de la nature, le bois de ses meubles, les aliments qu’il mange, etc, ou en nuisant directement à l’individu comme par exemple les produits toxiques, les radiations de certains composés, etc.
Les sociétés démocratiques sont loin d’être parfaites, même si elles sont préférables aux sociétés autocratiques. De nombreuses injustices demeurent et des décisions totalement incohérentes sont prises par certains individus qui pensent détenir une vérité ou défendent plus simplement leurs intérêts.