Ca va très vite!

Depuis le futurisme, la vitesse n’a cessé de s’accélérer. Ça va vite. Trop vite ? La course à l’innovation est devenue un bolide que personne ne semble pouvoir ralentir. J’observe tout cela avec perplexité en essayant d’entrevoir les limites. Car il y aura bien une limite ! Tout possède une limite. L’infini est un concept qui nous aide à comprendre l’inconcevable, mais sur notre planète tout est borné et possède des limites.

Je regarde l’euphorie des ingénieurs qui pensent défier la nature dans le toujours plus. L’idée de limite ne semble pas germer dans leur esprit. Ils possèdent la conviction que l’on peut faire toujours reculer les limites. La loi de Moore par exemple a été contournée en changeant les procédés de fabrication des transistors, et il en va ainsi de toutes les limites qui semblaient indépassables. Je me suis souvent demandé d’où provenait cette rage (il n’y a pas d’autre mot plus adéquat que celui-ci) de se surpasser dans tous les domaines. Rien ne semble arrêter l’esprit de perfectibilité. Persister dans son être, tel semble être le propre de l’homme. Cette volonté de puissance finira-t-elle par nous perdre ?

Les nouvelles mythologies

Nos ingénieurs participent activement à une nouvelle mythologisation du monde. Dans un discours qui se veut éloigné des réalités techniques et de terrain, toute une fiction métaphorique enrobe des technologies comme l’IA ou les robots « intelligents ». Cependant, le seul objectif de ces ingénieurs est de gagner le plus d’argent possible. Aussi les utilisateurs doivent-ils avoir un esprit critique sur ces technologies qui possèdent des limites et qui, aussi, dans certains cas, sont également nuisibles.

L’objet technologique se présente au regardeur dans un pur présent, tout en faisant toujours référence au futur. Dans leurs propos, il existe une positivité du futur, en ne se tournant jamais vers des dystopies possibles. Le discours de l’ingénieur relève presque du performatif : tout en parlant il fabrique ses objets toujours plus sophistiqués. Nous sommes passés des années 1960/70 d’une surabondance des formes à un minimalisme technique où tout se doit d’être compact, de renfermer un maximum d’énergie et de fonctionnalités sur des objets miniatures.

La mythologie des équipements retombe malheureusement aussi rapidement qu’elle s’est élevée. Au bout de quelques mois, le mythe s’épuise pour ne laisser la place qu’à un simple objet qui ne fait plus briller le regard. Une fois au rebut, il perd toute sa magie que quelques historiens des techniques feront revivre durant l’espace d’un livre ou d’une exposition.

Le vintage est, lui, un peu particulier. L’objet vintage, on l’aura compris, se situe dans une autre temporalité que le high tech. Le vintage fait appel à un âge d’or, à un paradis perdu, à un temps ayant atteint son point culminant dans un passé proche ou lointain, que l’on ne retrouvera, justement, que grâce à cet objet portant les traces de ce passé que l’on ne peut faire revivre. Il en est ainsi, par exemple, du disque vinyle représentant l’apogée du son analogique.

Par ailleurs, presque personne n’échappe à la pensée animiste, cette pensée des premiers âges de l’humanité. Et nous projetons dans les objets nos diverses croyances enfouies au plus profond de notre inconscient. Ainsi les ingénieurs trouvent-ils beaux les objets qu’ils fabriquent. Certains vont jusqu’à dire qu’une usine est jolie. Nous sommes donc là dans un relativisme total où l’esthétique d’une usine équivaut à l’esthétique d’une peinture.

Ingénierie et pensée fonctionnaliste

A partir du moment où l’ingénieur se positionne en tant qu’esthète, se profile alors un univers dont certains ne veulent pas. Si l’on s’est habitué à l’esthétique du Centre Georges Pompidou, il n’en reste pas moins que ce musée possède l’esthétique d’une vulgaire usine. C’est à cela que nous fait aboutir le triomphe de l’ingénieur. Le fonctionnalisme poussé à son paroxysme nous fait déboucher sur un monde inhumain.

Dans le fonctionnalisme tout doit être utile. Or ce qui est inutile est justement ce qui est indispensable. Ce qui est fonctionnel n’est pas esthétique. Se fondre dans la pure fonctionnalité est une illusion pour ergonomes. Une sculpture n’est pas ergonomique, elle est mieux : elle est esthétique. Évidemment les designers tentent de concilier ergonomie et esthétique mais ce n’est que rarement une réussite. Une sculpture de Giacometti n’est pas vraiment ergonomique. Ni celle d’un Tinguely. Elles ne servent à rien de pratique. Pour les fonctionnalistes c’est l’adéquation de la forme et de la fonction qui crée l’esthétique. Et dans cette accélération croissante, le fonctionnalisme devient de plus en plus un critère important dans le choix des objets. Tout est réduit au fonctionnel. Du moins pour ce qui concerne la production industrielle.

La durée de vie des produits et les contradictions techniques

La durée de vie des produits est de plus en plus courte, et un mouvement contraire apparaît avec la possibilité de réparer les objets au lieu de les recycler. Les coûts énergétiques et de matière première sont ainsi amoindris au lieu de fabriquer toujours plus de jetable. Car les coûts de fabrication ne sont pas les seuls à prendre en considération, il y a aussi les coûts secondaires comme les problèmes de pollution et les crises écologiques.

Les machines finissent par s’emballer, tout va trop vite et il nous faut retrouver un rythme de vie et de consommation qui soit adapté aux nouvelles caractéristiques de la planète. Car la terre se modifie à force de l’exploiter sans retenue. Cette évidence n’est pourtant pas acceptée par tout le monde. Des discours d’autruches sont encore à l’œuvre dans le monde industriel. On fait appel à la technique pour résoudre des problèmes techniques qui produisent à leur tour d’autres problèmes techniques, et ainsi de suite. Nous sombrons ainsi sous une avalanche de problèmes à résoudre car les solutions trouvées ne sont pas les bonnes. Il en est de la technique comme des médicaments : il y a les effets secondaires et indésirables. Aussi est-il nécessaire de prendre tous les facteurs en considération. La société de consommation des produits jetables a abouti à l’homme jetable de l’ultralibéralisme ! Nous n’allons pas dans la bonne direction et nous transformons la société en cauchemar éveillé. La société n’est pas une startup. Elle est bien plus complexe qu’une simple petite entreprise. Les sciences sociales sont là pour nous le montrer. Et il se pourrait bien que nous ayons atteint la vitesse critique du progrès technique.

Que nous le voulions ou non, nous serons obligés de ralentir si nous ne voulons pas être confrontés à la catastrophe. Notre planète est finie et cette évidence finira par s’imposer aux esprits les plus réfractaires. Zygmunt Bauman, Bruce Bégout, et de nombreux autres auteurs nous ont déjà avertis du précipice qui nous attend si nous ne ralentissons pas. Espérons qu’ils seront entendus avant que la planète entière ne devienne une immense décharge publique. Si le progrès est utile en médecine pour soigner des maladies et prolonger la vie, toutes les évolutions ne sont cependant pas sur le même plan. Il y a des sortes de constantes qui semblent pour le moment indépassables. Ainsi par exemple pour l’oxygène. Pour le moment il n’y a que les végétaux qui sont capables de produire de l’oxygène. Or cette réalité (je défie quiconque de prouver le contraire!) doit être prise en considération pour notre survie. Et planter des arbres n’est pas une simple lubie d’écologiste comme le pensent certains. C’est prendre conscience d’une réalité incontournable. S’il n’y a plus de végétaux, il n’y aura par conséquent plus de production d’oxygène. C’est une chose qu’on apprend pourtant au collège, en SVT ! Ainsi certaines personnes qui nient ces réalités sont particulièrement dangereuses pour la société. Que cela soit la société française ou celle de tous les autres pays. Les plantes produisent de l’oxygène de la même manière sur toute la planète, y compris dans le pays de Donald Trump. Ainsi les changements doivent-ils se faire en prenant conscience de certaines variables pour le moment immuables. Une société peut continuer à évoluer et doit même évoluer, car il semble qu’on puisse améliorer certaines choses, mais cela ne veut pas dire que les changements dans tous les secteurs et les activités humaines sont forcément bénéfiques. Or nous faisons malheureusement bien souvent l’inverse. Nous conservons des pratiques qui sont néfastes pour l’homme et procédons à des changements sur des choses qui pour le moment doivent rester comme elles sont sinon l’homme risque de disparaître. On peut douter de l’utilité à ce que l’homme poursuive sa grande aventure vers le futur. Certes. Il n’en demeure pas moins que sans regarder vers le lointain futur, il y a des personnes qui meurent actuellement parce que d’autres personnes imposent leurs décisions et leurs actes sur ces premières personnes. Sans même regarder les guerres, il y a des gens qui par exemple meurent de maladies causées par certaines industries qui n’ont pas voulu respecter certaines règles produites par ceux qui demeuraient plus clairvoyants en ce qui concerne le vivant et le métabolisme humain. L’industrie est utile. A la condition qu’elle ne nuise pas au contraire à la vie de l’être humain. L’industrie doit être au service de l’épanouissement de l’homme, mais lorsqu’elle nuit à celui-ci par divers moyens, comme lorsqu’elle détruit la nature qui est indispensable à l’homme, car même l’individu des grandes villes bénéficie sans en prendre souvent conscience des produits de la nature, le bois de ses meubles, les aliments qu’il mange, etc, ou en nuisant directement à l’individu comme par exemple les produits toxiques, les radiations de certains composés, etc.
Les sociétés démocratiques sont loin d’être parfaites, même si elles sont préférables aux sociétés autocratiques. De nombreuses injustices demeurent et des décisions totalement incohérentes sont prises par certains individus qui pensent détenir une vérité ou défendent plus simplement leurs intérêts.

Réflexions sur « Trouble dans le genre » de Judith Butler

L’ouvrage « Trouble dans le genre » soulève de nombreuses questions. La réflexion de Judith Butler se voudrait être philosophique. Il est très difficile de définir ce qu’est la philosophie. On peut cependant dire que la philosophie n’est par exemple pas un art plastique car le philosophe utilise pour s’exprimer le langage naturel, c’est-à-dire la parole. Avec cette parole la philosophie tente de réfléchir sur le monde physique au sens large.

Judith Butler parle de « trouble dans le genre », le genre étant ce que certaines langues ont décidé de nommer « le masculin » et « le féminin ». Le langage est une création humaine. Au commencement, d’après ce que nous apprennent la paléontologie, et plus éloigné encore dans le temps avec l’astrophysique, n’était pas le verbe, comme le prétend une certaine religion, mais la matière inanimée puis, plus tard, la vie dans sa plus simple expression. Je n’ai pas la prétention ni la place, dans ce bref article, de retracer l’histoire de l’évolution du vivant. Il ressort cependant que le vivant a commencé à se complexifier d’une façon très importante à partir de la reproduction sexuée, c’est-à-dire lorsque le vivant s’est différencié entre ce que l’on a décidé de nommer arbitrairement (car le langage est arbitraire, comme l’a montré Saussure) des organes mâles et femelles, ou masculins et féminin chez les humains. Il n’y a dans le monde animal que très peu de « trouble dans le genre ». L’escargot est hermaphrodite avons-nous constaté. Cependant l’hermaphrodisme est peu répandu dans le monde vivant. Et chez les humains, l’hermaphrodisme n’existe tout simplement pas. L’être humain se reproduit uniquement à partir de la combinaison de cellules générées par un homme et une femme. Et cette réalité existe en dehors de notre langage qui, je le redis, est très imparfait et, surtout, est arbitraire. Jusque là il n’y a pas de trouble dans le genre chez l’humain. C’est une réalité tangible et perceptible. Deux personnes du même sexe ne peuvent pas se reproduire, c’est un fait incontournable.

L’ouvrage en entier de Judith Butler revient à opérer une tentative de démonstration que l’homme cherche à dominer la femme. Cependant son livre n’apporte pas grand-chose pour déclencher une situation plus égalitaire. Je n’ai quasiment jamais lu d’ouvrages traitant du féminisme. Pourtant il a toujours été clair pour moi que les femmes doivent avoir les mêmes droits que ceux des hommes. Et ce qui est à mes yeux une évidence depuis l’âge où j’ai commencé à réellement réfléchir n’a jamais été le résultat de la lecture de livres sur les théories féministes qui sont situées dans le temps et géographiquement. L’histoire nous montre des sociétés patriarcales. La même histoire nous montre également, en beaucoup plus faible nombre, des sociétés matriarcales. Pour le moment c’est encore le patriarcat qui est le plus généralisé dans le monde. Je ne nie pas cette réalité. Cependant Judith Butler ne s’y prend pas de la bonne façon pour générer un changement. Le travail réalisé par exemple par Marie Curie ou les livres d’Annie Ernaux sont beaucoup plus aptes à modifier les comportements et à faire voir l’égalité homme/femme et leurs potentialités identiques.

Il est par ailleurs bien clair également que le langage naturel utilisé pour communiquer est pour une bonne part totalement absurde sur ce qui concerne son caractère genré. S’il existe bien un genre dans la réalité perceptible des hommes et des femmes (les attributs extérieurs et donc visibles du genre étant eux aussi parfois assez brouillés selon les époques et les sociétés), je ne comprends toutefois pas pourquoi une table est dite du genre féminin et un avion du genre masculin. Il faudrait utiliser la notion de « neutre » qui n’existe plus en français. Les langues reflètent bien souvent les rapports de force entre les hommes et les femmes. Je pense pour ma part que tous les objets, donc inanimés et qui ne relèvent pas du vivant sexué, devraient être neutres dans les définitions des dictionnaires et des encyclopédies. Une « table » n’a pas de sexe et n’a donc pas de genre. Pas plus qu’un « bureau ». Il y a par conséquent tout à revoir et à modifier dans l’évolution future des langues et notamment du français. On ne devrait conserver les anciennes définitions que comme traces de l’évolution historique des langues. C’est aussi de cette manière, parmi beaucoup d’autres, que l’on instaure une égalité réelle entre hommes et femmes. Ce n’est pas un hasard si les conservateurs ne veulent pas modifier les langues. Ils ne veulent pas modifier les langues car ils ne veulent pas non plus modifier leurs comportements.

D’autre part la croyance en la toute puissance du langage naturel reste aussi une croyance. On peut très bien conserver les écrits anciens comme on conserve les écrits en grec ou en latin pour comprendre la pensée de cette époque, tout en faisant également évoluer les langues actuelles. Le langage naturel n’est qu’une invention humaine au même titre qu’il invente des objets fabriqués de sa main par l’intermédiaire d’outils. Il n’y a rien d’immuable dans le langage naturel. Faire évoluer le langage, c’est en même temps faire évoluer les rapports entre les hommes et les femmes. Ainsi Platon se fourvoie-t-il en plaçant le langage naturel comme moyen « suprême » pour comprendre le monde et la société de son époque. Ce n’est qu’un outil parmi d’autres. Le langage qui se réfère en boucle au langage ne finit que par aboutir à un non sens. C’est ce qu’ont compris par exemple ceux et celles qui s’occupent de sciences naturelles et qui observent la nature tout autant qu’ils utilisent le langage pour réfléchir et créer des hypothèses. L’avenir de la philosophie fera probablement beaucoup plus intervenir la perception et l’expérience. Et le langage naturel doit donc être modifié pour « traduire » ce perçu et cette expérience, même si certains épistémologues nous disent que les anciens « sauvages » ne perçoivent pas du tout de la même façon qu’un homme « civilisé » (ce sont les termes employés par ces épistémologues) un simple objet comme par exemple un ordinateur ou un téléphone portable. Je pense pour ma part que toute perception et toute expérience est a prendre en considération, et qu’elles nous apprennent beaucoup plus de choses qu’on pourrait le penser au premier abord. Si Marcel Mauss n’avait pas pris en considération les pratiques du don dans certaines sociétés dont il cherchait à comprendre le fonctionnement, il n’aurait jamais pu prendre conscience de son importance dans la vie sociale. Il ne s’agit pas tant de faire « entrer » la réalité perçue dans le langage naturel, comme si celui-ci était immuable alors qu’il n’est qu’arbitraire, mais de faire « correspondre » le langage naturel à la réalité perçue, comme lorsqu’on invente un nouveau mot pour désigner une nouvelle planète observée par le télescope, ou une nouvelle particule observée par des moyens détournés et divers dans un accélérateur ou enfin une nouvelle espèce animale.  « L’intelligence » préexiste avant le langage naturel. Le savoir-faire est par exemple une des nombreuses facettes de l’intelligence qui ne fait pas intervenir le langage. On apprend à faire du vélo sans avoir besoin du langage. Et cet apprentissage fait partie des possibilités de l’intelligence. Le langage est avant tout utilisé pour communiquer entre les humains, même s’il n’est pas exclusif. C’est surtout le vécu, donc l’expérience au sens large, qui est source de connaissance. Et ce vécu, s’étalant dans le temps, modifie également tout au long de notre vie notre manière de comprendre les choses. Le langage naturel est par exemple utilisé par le droit pour nous conformer à des règles sociales. Sans le langage naturel le droit n’existerait pas. Cependant notre comportement au quotidien dépasse largement le cadre du langage naturel en faisant appel à notre perception par nos cinq sens. Cette perception par nos cinq sens est beaucoup plus influencée par notre vécu antérieur (vécu sans cesse réactualisé) que par le langage. Si une personne a été par exemple aimable avec vous (et qui donc a manifesté cette amabilité par toute sa personne et non uniquement par le langage) vous aurez une certaine pensée à l’égard de cette personne. Et peu importe ce que diront cinq-cents autres individus sur cette personne, les discours ne seront pas pris en considération car vous avez vécu une expérience avec cette personne qui vous informe mieux que tous les discours. Quoi que l’on fasse, on s’en remet toujours plus à l’expérience qu’aux seuls discours. Le langage n’est utilisé que pour tenter de communiquer cette expérience, laquelle dépasse largement l’acte de parole, même si cette dernière est importante. Les anthropologues l’ont bien compris. Pour prendre l’exemple du racisme, celui-ci puise toujours sa source dans une expérience qui a été négative, ou alors dans une non expérience (n’avoir jamais vécu d’expérience avec ceux que l’on déteste et dont on se refuse à réellement vivre une expérience), ces expériences ou ces non expériences étant par exemple faites durant l’enfance, mais aussi réactualisées tout au long de la vie. Les statistiques montrent d’une façon indéniable, et ce dans tous les pays, que le plus fort taux de votes d’extrême droite est situé dans des régions où il y a très peu de fréquentations de populations dites « étrangères » (ce terme d’étranger étant bien compliqué à définir malgré les définitions simplistes qu’en donnent les dictionnaires. Dans un monde hypothétique qui serait constitué d’un seul État, nous pourrions dire qu’il n’y aurait plus d’étrangers. Mais chaque individu peut être également considéré comme étant un étranger s’il est par exemple du nord ou du sud d’un même pays. Donc ce terme d’étranger est un mot creux qui ne signifie en fait rien). Des grandes villes cosmopolites comme Paris ou New York recueillent peu de votes d’extrême droite. Alors que des villes comme Saint Cloud ou une petite ville du Texas ont un taux plus élevé de votes d’extrême droite. Car il y a moins de contacts et de brassage, ce sont des villes plus homogènes. Une personne qui grandit au contact d’une population, va accumuler des expériences avec cette population, et aura donc un regard différent de celui d’une personne qui n’a pas été en contact avec cette population. Les « regroupements » ou pour le dire autrement les ghettos divers formés dans les villes et aussi le territoire au sens plus large, mènent à une impasse sociologique. Il y a des ghettos pour blancs, des ghettos pour noirs, des ghettos pour riches, des ghettos pour pauvres, et ainsi de suite. Le logement est aussi conçu sur le modèle du ghetto, avec une très forte proportion de logements sociaux dans certaines parties du territoire, et une inexistence dans d’autres parties du territoire. Ce qui fait qu’on privilégie la propriété privée à certains endroits, alors que dans d’autres elle est presque inexistante. Il n’y a pas de mélanges des deux. Un immeuble qui ne relèverait pas de la propriété privée dans un arrondissement de Paris comme le 8ème, est considéré comme étant une véritable « provocation » pour la plupart des personnes qui vivent dans cet arrondissement. Etc. Et les individus composant cette myriade de ghettos ne partagent bien souvent pas une expérience avec les autres individus des autres ghettos. On peut étendre le concept de ghetto d’une manière assez large. Dans un même immeuble il n’y a pas non plus de mélanges, ou très peu. Certains nomment également cela « l’entre soi », ce qui est une autre manière de désigner la même chose. L’entre soi des écoles privées pour l’enseignement secondaire, l’entre soi des grandes écoles (cette spécificité française) qui filtrent à l’entrée selon l’origine sociale plutôt que pendant le parcours et sur des critères qui n’ont aucune valeur d’universalité et qui de plus sont moins performantes que les universités en ce qui concerne les résultats de la recherche, l’entre soi dans les grandes entreprises qui elles aussi filtrent sur des critères qui leur sont personnels et que l’on nomme également « la culture d’entreprise » et où les dirigeants sont choisis « comme par hasard » parmi ceux qui proviennent de ces grandes écoles que je viens de mentionner, ce qui est une manière de perpétuer l’entre soi tout au long de la vie comme il existe pour les autres une « formation tout au long de la vie », l’entre soi communautariste chez ceux qui pratiquent une religion, bref, je n’en dis pas plus, je pense que vous pourrez constater tout cela dans votre vie quotidienne.

Si une bonne partie des exemples que donne Judith Butler sont assez pertinents, comme le caractère genré des mots, d’autres propos sont également soit excessifs (car niant la réalité de la différence homme/femme. Car sans faire un excès de biologisme, comme les différentes variétés d’apparences des être humains mais dont on sait que toutes ces variétés ont toutes le dénominateur commun « l’homme », il y a tout de même une réalité matérielle et biologique qui fait que l’espèce humaine peut se reproduire. N’importe quel homme sur la planète peut engendrer avec n’importe quelle femme sur la planète, il y a donc un universel de l’espèce humaine), soit tout à fait superflus et inutiles pour faire avancer l’égalité effective des droits entre les femmes et les hommes. Toutes les théories produites par des « hommes » ne sont pas forcément réfutables juste parce que produites par eux. Notre société doit seulement instaurer l’égalité effective (et non de principe) entre hommes et femmes pour faire émerger par exemple plus de Marie Curie et des femmes également au sommet de l’État, puisque nous sommes désormais dans un système démocratique, même si cette démocratie est fragile et pourrait basculer à chaque instant vers un totalitarisme toujours possible.

D’autre part, refuser la binarité homme/femme c’est nier la réalité dont on fait l’expérience chaque jour. Cette binarité existe, contrairement à ce que dit Judith Butler. Tout n’est cependant pas binaire dans la nature. L’eau peut par exemple avoir trois états : liquide, solide et gazeux. Mais l’humain n’a que deux « états » pour se reproduire : soit homme soit femme. Les autres états « troubles » ne permettant pas la reproduction. Je ne nie toutefois pas que ces états existent et qu’ils ont toujours existé. Certaines de ces personnes « troubles dans le genre » ont également produit de très grandes œuvres et en ce sens ont contribué au développement de l’humanité. Les individus qui ne se perpétuent pas sont tout autant utiles que ceux qui se perpétuent. Et parmi ces personnes qui ne se perpétuent pas, il y en a aussi qui ont une « identité sexuelle » bien stable et en correspondance avec leur système biologique d’homme ou de femme. Cioran, pour ne prendre que cet exemple, n’a pas eu d’enfants. Et ce n’est pas pour autant qu’il était homosexuel. Son identité sexuelle n’était pas « trouble » mais il ne voulait tout simplement pas avoir d’enfants. Mieux vaut cela plutôt que de faire des enfants pour se conformer, par la pression sociale, « au plus grand nombre » et en finissant par les abandonner comme l’a fait Rousseau. Il faut être « convaincu » de certaines choses pour consacrer une bonne partie de sa vie à s’occuper de ses enfants. Ce n’est pas une décision prise à la légère. Et tout le monde n’a pas les mêmes convictions. En tant qu’animal humain doté d’une certaine conscience et aussi d’une certaine liberté, Cioran a donc fait ce choix. Ce choix n’est pas corrélé à un « trouble dans l’identité sexuelle » comme le pensaient et le pensent encore certains psychanalystes qui s’imaginent que leur discipline est tout en haut d’une sorte de pyramide des connaissances. L’observation nous apprend que dans le monde du vivant, seul l’humain est capable d’opérer le choix de la reproduction ou de la non reproduction. C’est le développement exceptionnel de ses facultés par rapport aux autres animaux (lorsqu’on suit des études de biologie on appelle « biologie animale » toute la biologie, y compris la biologie de l’humain, car l’homme a beaucoup de points communs au niveau de la biologie cellulaire et de la génétique mais il est également très différent par sa station verticale, ses capacités plus développées que celles des animaux à s’adapter, et aussi par sa capacité à parler qui est le produit d’une longue évolution) qui lui permet de choisir, en élaborant par exemple des stratagèmes comme les divers moyens contraceptifs, sans être totalement dépendant de ses instincts. Ce n’est par ailleurs pas le caractère manifeste d’homosexualité chez Léonard de Vinci qui a fait qu’il était autant exceptionnel. Il y a beaucoup d’homosexuels, même la plupart, qui n’atteindront jamais le degré de génie créatif atteint par Léonard de Vinci. Le trouble dans le genre n’explique donc absolument rien. Et l’analyse de Freud sur l’homosexualité de Léonard de Vinci est tout à fait sans aucun intérêt  pour tenter de comprendre le génie et cette soif inépuisable de chercher à comprendre tout ce qui l’entourait. Freud nous explique juste qu’il était homosexuel et ça ne va pas plus loin. Il élabore des explications qui, toutes, ont pour principal objet le caractère sexuel qu’il prétend trouver dans les comportements des individus. Car la psychanalyse ne propose pas grand chose de plus que ce genre de découvertes et d’informations. La psychanalyse est une sorte de psychologie qui a pour fondement le genre et qui bâtit toutes ses explications à partir de ce genre. Il en est par exemple ainsi du complexe d’œdipe où le fils serait attiré par sa mère alors qu’il aurait un tout autre comportement avec son père. Que l’individu soit homosexuel ou hétérosexuel n’a aucune importance car ça n’explique rien. Albert Einstein était hétérosexuel sans aucun trouble dans le genre, et a même eu des enfants. Et là encore ce genre d’information n’a strictement aucune importance et n’explique en rien pourquoi il était également très créatif comme l’était Léonard de Vinci. Réfléchir sur le genre et ses troubles est sans aucun intérêt pour tenter de comprendre les actions humaines. Bref, je ne m’étends pas sur un sujet que chacun et chacune peut constater au quotidien en ce XXIe siècle.

Par ailleurs, l’exemple que prend Judith Butler sur la mélancolie « expliquée » par Freud, et dont elle essaie de réfuter la théorie, n’est pas plus cohérente que celle de Freud lui-même. La sensation de mélancolie n’est pas obligatoirement produite par la perte d’un être « aimé ». La mélancolie peut avoir de multiples causes, comme par exemple le regret, par le souvenir, de la perception que l’on avait du monde lorsqu’on était enfant. Cette perception ne s’attache pas forcément à des êtres en particulier. Cela peut être la perception de la nature, des roches, de la flore ou de la faune, ou aussi des expériences éprouvées avec le monde des objets fabriqués par l’humain. Si les psychanalystes ramènent tout l’être humain à ses pulsions sexuelles, Judith Butler, quant à elle, tombe dans le même travers en voulant « féminiser » par la critique qu’elle fait de Freud des sensations comme la mélancolie que tous les humains ressentent au moins une fois dans leur vie. Et sur ce sujet, Judith Butler fait aussi bien fausse route que Freud. Il est par exemple important de mentionner que l’état mélancolique est aussi un état d’intense lucidité, où la sexualité tient une place infinitésimale, voire inexistante. La différence sexuée n’a dans ce cas aucune importance. Aussi porter son regard sur les théories de Freud pour, à son tour, remodeler une autre théorie plus « féministe » est-il un travail vain, car le phénomène de la mélancolie n’a pas pour causalité le genre. Lorsqu’un homme ou une femme regarde une montagne, cette montagne perçue n’est pas genrée. Même si le mot « montagne » est du genre féminin par l’absurdité de notre langue française et aussi d’autres langues qui attribuent un genre à tous les noms communs. La montagne est une montagne « perçue », quel que soit le nom qu’on lui donne. Et elle est sans sexe car un minéral n’est pas un être vivant. Et la vue de ce minéral peut produire en nous une multitude de sensations. Ces sensations remémorées après un temps plus ou moins long peuvent produire ce que l’on appelle la mélancolie. Et dans cette mélancolie n’intervient pas le « désir hétérosexuel » dont parle Judith Butler en faisant la critique de Freud. Si Freud a la fâcheuse tendance à voir du sexe partout, y compris dans nos moindres actions et nos moindres raisonnements, Judith Butler voit, elle, de l’indifférenciation partout et également, comme Freud, du sexuel dissimulé sous chaque pierre retournée. Il n’en demeure pas moins qu’elle reste une femme dans certaines de ses caractéristiques élémentaires. Et que c’est une très bonne chose. En poussant le raisonnement jusqu’à son extrême limite en ce qui concerne le concept d’indifférenciation, la totale indifférenciation serait absurde puisque ça reviendrait à dire qu’il n’y aurait absolument plus aucune différence entre un homme et une femme, il y aurait à la place une sorte de clone unique reproduit par on ne sait quelle machine. Et lorsqu’on réfléchit, puisque c’est sa fonction de philosophe, on s’aperçoit également bien vite qu’il est impossible de produire deux objets « totalement identiques », y compris pour les objets dits « fabriqués en série ». Donc le concept de totale indifférenciation ne correspond en fait pas à ce que nous montre l’expérimentation. Chaque objet possède donc des caractéristiques propres et différenciées, et dans le vivant c’est la même chose. Après cet exemple, je dis donc qu’il existera toujours une différence entre un homme et une femme, et que c’est grâce à cette différence que l’homme et la femme existent depuis les débuts de l’humanité. Le seul progrès possible est de mettre le plus d’éléments en commun, en ayant bien à l’esprit que « tout mettre en commun » est impossible et que ce projet conduit à une situation absurde et impossible. L’égalité totale des droits est déjà une bonne avancée. Cependant un congé maternité ne peut être attribué par exemple qu’à une femme car c’est elle qui porte l’enfant. On pourrait appliquer ce congé aussi à son compagnon dans un souci « d’égalité ». C’est une piste possible car la présence de l’autre dans cette situation est aussi très importante. Bref, on voit bien vite le très grand nombre de questions que soulève le concept de totale indifférenciation entre l’homme et la femme.

La « pulsion de savoir » dont parle Freud, dépasse largement la sexualité et le désir de « regarder sous les jupes des filles », pour ne prendre que cet exemple d’une totale absurdité. L’explication simpliste que propose Freud est probablement très éloignée des causes réelles qui poussent les humains à toujours chercher à comprendre et à explorer toujours plus loin le monde. Le vertige qui nous prend lorsque nous regardons les images collectées par les télescopes n’a absolument plus rien de genré, et donc de sexuel. Les petites histoires de libido et « d’objet sexuel » semblent bien ridicules lorsqu’on explore l’univers, les étoiles, les planètes, les trous noirs et bien d’autres objets cosmiques que nous ne savons pas interpréter. Les causes des comportements humains semblent d’une complexité bien plus grande lorsqu’on regarde le ciel. Il apparaît en effet que toute la matière est habitée par un perpétuel mouvement de transformation sans explication apparente, et que l’homme est également l’objet de ce processus. Et la sexualité serait en quelque sorte incluse dans cette grande transformation de la matière. Il est difficile de dire si l’être humain est le sommet de cette transformation et de cet agencement de la matière. Car il peut très bien exister dans l’univers une vie encore bien plus complexe que celle constituée par l’être humain. Même peut-être infiniment plus complexe et différente de celle qui existe sur Terre. Mais le simple fait de pouvoir en émettre l’hypothèse nous fait relativiser nos petites mesquineries humaines. Cela nous fait également prendre conscience, mieux que ne le fait Judith Butler, que l’homme et la femme doivent participer, ensemble et à égalité, à cette aventure qui est celle du monde vivant et en dépassant les notions de « troubles dans le genre ». Travailler sur ce sujet est du temps perdu qui produit plus de résistances et de mauvaises réactions que de réaliser de grandes choses. Pour reprendre cet exemple, Marie Curie n’écrivait pas de livres sur la théorie féministe. Elle a fait mieux en faisant s’émerveiller et s’incliner tous les « hommes » avec son acharnement et son génie. Les actes sont souvent plus convaincants que les théories de l’action. Une femme brillante trouvera toujours des hommes qui la soutiendront. Car le talent n’a pas de sexe.

Dans notre société actuelle où se diffuse un peu partout un système démocratique, les théories sur le féminisme sont totalement dépassées. Le droit de vote des femmes a été par exemple bien plus important et est antérieur à l’éclosion des théoriciennes du féminisme. Depuis, beaucoup de femmes ont réalisé une multitude de choses : elles ont créé des grands magazines, réalisé des grandes découvertes scientifiques, ont été des exploratrices, ont eu de nombreux prix Nobel (même si je considère que ce prix n’est pas forcément un gage de grande valeur intellectuelle) , et la liste serait longue à détailler. Dans le domaine de l’égalité homme/femme, rien ne remplace l’action sur le terrain du social, au lieu de tenter de faire « une théorie de l’égalité ». Présenter par exemple à un informaticien (lesquels sont encore majoritairement des hommes) un programme performant, et en ne se le faisant pas voler tout en le proposant, est un moyen de convaincre mille fois plus efficace que toutes les théories féministes. Réaliser un film comme Matrix (dont deux femmes sont les créatrices) est un autre exemple. Tout « homme » finit par s’incliner devant le talent créatif. C’est une redoutable façon de convaincre à laquelle les « hommes » finiront toujours, à un moment ou à un autre, à se rallier. La lutte n’est pas facile et commence dés l’enfance, avec « l’endoctrinement » de certains parents. Il y a aussi le poids très lourd des religions qui donnent une fausse vision de la femme. Les religions sont toutes « des histoires d’hommes », où les femmes sont représentées d’une manière bien précise. Il n’y a qu’à vérifier par l’observation ce qui se passe en ce moment avec le pape et tous les représentants de cette religion. Il n’y a aucune femme. Mais aussi dans toutes les religions. L’égalité passe donc, mais pas uniquement, par le fait d’être athée. Ne pas vouloir accepter cela de la part des femmes, c’est également nier de voir qu’il reste un dernier maillon de la longue chaîne qui maintient l’inégalité entre les hommes et les femmes. Par exemple les pays où la religion est prédominante, comme l’Inde (où il y a en plus un système de castes totalement inégalitaire et où également les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes), les pays arabes, etc. Tout homme qui refuse les mêmes droits entre hommes et femmes, est aussi celui qui refusera un jour l’égalité des droits entres les différents « hommes ». Donc défendre l’égalité homme/femme c’est également se battre contre des tyrans en germe ou déjà en place. Rendre une « femme » esclave c’est exactement le même processus que de rendre un « homme » esclave, c’est la même conception de l’être humain. Les hommes qui réduisent les autres hommes en esclaves, se comportent de la même façon avec leur épouse. C’est donc important d’en prendre conscience. Il faut bien couper à un moment donné la boucle systémique des générations. Et ce n’est pas en « excluant » les hommes que l’on arrive à cet objectif. On arrive à cet objectif en déclenchant chez eux l’admiration pour une réalisation quelconque. C’est un moteur bien plus puissant et où les femmes se font de plus en plus d’alliés masculins. J’ouvre d’autre part une parenthèse; Judith Butler ne doit également pas oublier que le pays dans lequel elle vit a été habité avant elle par des indiens. Les américains ont malheureusement tendance à l’oublier, et à oublier aussi ce qu’ont fait ces hommes et ces femmes dits « américains ». Il n’était pas nécessaire de créer « des réserves » pour la population indienne qui était là avant eux. Des solutions moins radicales étaient possibles, autrement que par l’extermination des indiens. La compréhension et la conservation de leur culture, en la laissant évoluer à son propre rythme, sans imposer la force meurtrière aurait été possibles et aurait été aussi très bénéfiques. Sur un territoire aussi vaste que celui de l’Amérique du nord, il y avait largement la place pour une « cohabitation » et une vie commune avec les indiens, en essayant d’être complémentaires et en bénéficiant, de chaque côté, de la culture de l’autre sans ne rien imposer et en prenant en considération l’avis et les souhaits des indiens, comme il y a eu une vie commune avec ceux qui ont décidé de vivre aux États-Unis sans y être nés après la lutte sanglante avec ces indiens qui n’ont bénéficié, dans cet « échange culturel », que de très peu de choses réellement utiles et malheureusement aussi de l’alcool fabriqué par les colons et qui a fini par les dépraver. Bref, je ferme ici la parenthèse, je ne suis pas un fin connaisseur de toute l’histoire de l’Amérique du Nord. Mais je possède tout de même les connaissances de base, comme le rôle de Christophe Colomb dans la découverte de l’Amérique.

Toutes les femmes ne sont toutefois pas sur le même plan. Par exemple une Margaret Tatcher est bien différente d’une Ursula von der Leyen ou encore d’une Angéla Merkel ou, pour finir, d’une Georgia Méloni. Il y a des abysses entre ces différentes femmes qui ne pensent pas du tout la même chose et avec qui on est d’accord ou pas d’accord. Cependant leur point commun est qu’elles n’ont pas écrit de livres sur la théorie du féminisme. Et il en est de même pour de nombreuses autres femmes, notamment chez les artistes où les intellectuelles. Simone de Beauvoir n’a fait qu’écrire des réflexions sur la condition de la femme dans la société de son époque, et n’a rien fait d’autre. Elle a généralisé la domination de l’homme sur la femme sans prendre en considération par exemple l’histoire des reines dans les temps très anciens ou encore les sociétés matriarcales qui ont bien existé et qui doivent exister encore (je ne m’avance pas, je n’ai pas de référence précise sur ce point). Et certaines de ces femmes qui avaient un très grand pouvoir n’étaient pas toujours « meilleures » que les hommes. Si les hommes ne sont pas plus éclairés que les femmes, l’inverse est aussi vrai. Donc la dénonciation faite par Simone de Beauvoir correspond à une époque bien précise et une géographie également bien précise. Son regard n’est pas réellement « panoramique ». Elle fait par exemple des analogies avec l’araignée femelle qui est beaucoup plus grosse que le mâle et le mange. Mais une araignée n’est pas un être humain. Cette disproportion n’existe pas chez l’humain. Aussi faut-il regarder avant tout l’humain pour comprendre certaines choses. Le rapprochement avec les animaux est vite limité. L’homme est différent d’un animal, même s’il a des points communs au niveau des cellules biologiques et de son code génétique. L’humain est un être vivant qui se reproduit de façon sexuée. Ensuite les comportements des hommes et des femmes sont un autre sujet. Et ils sont beaucoup plus variés dans le temps et l’espace que la façon monolithique dont elle en parle. Elle aussi fait les mêmes erreurs que Judtith Butler. Il y a des réalités qui sont incontournables, comme le fait par exemple que c’est la femme qui met au monde un enfant et non pas l’homme. Donc à partir des réalités incontournables comme celle-ci, il faut voir ce qu’on peut modifier et faire évoluer dans ce qui est modifiable, comme les comportements, les droits, etc. Elle n’a pas parlé des femmes guerrières non plus. Quant à Judith Butler elle ne parle pas non plus des femmes qui sont par exemple dans la police et qui ont une arme. Mais pour revenir à Simone de Beauvoir, celle-ci critique avec virulence certaines réalités qui sont spécifiques à chaque sexe de l’être humain. Elle énumère juste des constats qui correspondent à une certaine période et à un certain lieu. C’est une « philosophe du genre » comme Judith Butler. Mais tout ce travail n’apporte en fait pas grand chose et n’est pas à brandir comme le petit livre rouge de Mao qui pensait lui aussi avoir l’explication à tout. Il n’y a rien de vraiment révolutionnaire dans tout ça. Il n’y a pas de quoi en faire « une idole »  comme ça a été le cas à son époque. Les pratiques sociales ont changé pour de très nombreuses raisons, mais certainement pas grâce aux théories du genre. Les inventions par exemple des ingénieurs (qui étaient au départ des hommes) et qui ont conçu des objets comme la machine à laver électrique et divers objets devenus ensuite très répandus, ont été plus importants pour modifier le comportement des gens. Et de nos jours les hommes aussi bien que les femmes utilisent la machine à laver. Et ce résultat comportemental a plus sa source dans le développement de la technique que dans les théories du genre. Elle n’a pas réfléchi sur des domaines aussi variés que l’épistémologie, les questions soulevées par la physique de son époque, bref, la liste serait interminable pour énumérer tous les champs de la connaissance où la philosophie peut donner un éclairage différent sur ces différents domaines. En ce sens, pour prendre l’exemple français, elle a été moins utile que Marie Curie qui, elle, a donné l’exemple » sans faire de théorie du genre en faisant progresser la physique.

Je conclurai donc en disant que le livre de Judith Butler Trouble dans le genre, est une démarche « stérile », dans tous les sens du terme, et que sa « réflexion philosophique », laquelle est bien souvent erronée, ne fait absolument rien progresser dans l’égalité homme/femme . Elle reste une actrice mineure qui a brassé beaucoup d’air, en ne produisant que du vent, et parfois même la tempête dans certains médias en proposant par exemple des théories philosophiques sur les transgenres alors que les sciences humaines sont encore confrontées sur ce sujet à quelque chose de totalement inexplicable. Les transgenres existant en outre depuis très longtemps dans l’histoire de l’humanité. Les transgenres existaient bien avant qu’on parle de « LGBT »! Dans un futur proche, plus aucune femme ne se souviendra d’elle et de son discours creux. Alors qu’on se souviendra beaucoup plus d’une femme comme Jeanne d’Arc. Ces femmes riront peut-être, lorsqu’elles verront le chemin parcouru sans écrire la moindre ligne sur la théorie féministe et du genre. Je souhaite donc une bonne continuation à Judith Butler dans son travail de « philosophe du genre » (je ne savais pas que cette spécialisation existait. Il y a la philosophie des sciences, la philosophie politique, la philosophie de l’histoire, etc. Mais la philosophie « du genre » m’était tout à fait inconnue et je ne pensais pas qu’on pouvait faire du genre une branche de la philosophie! Pourquoi pas. Peut-être existera-t-il un jour de nouvelles spécialités de la philosophie, comme par exemple « la philosophie de la machine à laver » (laquelle machine à laver relève plus de l’histoire des techniques) ou d’autres spécialisations. Tout est possible.) et aussi un grand succès auprès de ses étudiantes.

© Serge Muscat – avril 2025.

Les romanciers, les nouvellistes et l’intrigue

Il ne semble plus possible aujourd’hui, pour les romanciers et les nouvellistes, d’écrire autre chose que des fictions à intrigue. Cette dernière est devenue dans bien des cas le ressort principal du succès des auteurs de littérature romanesque. La vie quotidienne étant bien souvent d’une banalité profonde pour ceux qui ne savent pas la regarder et la décrypter dans ses moindres détails, nombre de lecteurs ont besoin d’une intrigue pour ne pas bâiller une fois arrivés à la dixième ou la vingtième page, et même avant lorsqu’il s’agit d’une nouvelle.

La littérature reposant depuis bien longtemps sur le procédé du miroir «  plus ou moins déformant » de la réalité, est-il vraiment nécessaire d’inventer des situations alambiquées pour avoir quelque chose à dire ? La vie et son cortège de malheurs et de souffrances et aussi, plus rarement, de grandes joies, ne ressemblent en rien à ces intrigues toujours plus complexes inventées par les auteurs, comme un acrobate de cirque invente des numéros toujours plus époustouflants au risque de sa vie pour faire saliver le public.

Les romans et les nouvelles sans intrigue deviennent aussi rares que les métaux précieux. De ce fait, je suis souvent déçu par la littérature actuelle qui n’a que le mot « thriller » à la bouche. Il reste heureusement des auteurs comme Annie Ernaux qui n’ont pas besoin de créer une multitude de rebondissements imbriqués les uns dans les autres jusqu’à ressembler à une narration en plat de spaghettis dont, par ailleurs, beaucoup de lecteurs se délectent. Cependant cette littérature sans intrigue autre que celle de la vie devient plus rare. Si je me souviens bien, Fernando Pessoa écrivait qu’il préférait se frotter les yeux avec du sable plutôt que de lire un roman à intrigue. J’ai donc au moins la consolation que cet écrivain et d’autres partagent mon point de vue.

Les journalistes actuels pensent bien souvent pimenter leurs articles sur les romans en précisant que tel ou tel livre est un « thriller », et par conséquent qu’il vaut la peine d’être lu. Cela devient presque un label, comme il y en a sur les poulets vendus au supermarché. Pour ma part cette mention plus ou moins mise en avant dans la présentation des romans me permet de savoir immédiatement ce que je ne lirai pas et qui est sans aucun intérêt. Je remercie donc les journalistes de me mâcher le travail de sélection, lesquels s’imaginent vanter les vertus de ce genre de littérature. Celle-ci ne m’émeut pas et ne franchit pas la frontière qui sépare ma raison de ma sensibilité.

J’ai toujours détesté les fleurs artificielles et les détesterai probablement jusqu’à mon dernier souffle, même si de grands progrès seront faits pour les rendre plus « vraisemblables ».

© Serge Muscat – avril 2025.

Réflexions sur l’évolution de l’individualisme et sur les nouveaux médias

Lorsque nous lisons les livres de Gilles Lipovetsky, un thème récurent est abordé : le développement de l’individualisme dans nos sociétés actuelles. L’auteur traite cette question avec, « dans la voix », des accents de tristesse et surtout de regret. Je ne vois pourtant pas en quoi l’individualisme serait plus néfaste que, par exemple, un comportement collectiviste. Dans son livre « L’écran global » (publié aux éditions du Seuil), il parle par exemple de ces gens qui, autrefois, regardaient la télévision en famille, alors que de nos jours chacun s’occupe d’une manière plus individualisée. Il me semble au contraire, pour parler seulement de la télévision, que « le même programme pour tous », ou bien souvent, pour un très grand nombre de personnes en même temps, conduit à une pensée stérile et à des comportements stéréotypés. Lorsqu’il traite du monde « écranique » qui est devenu le notre, je ne suis toutefois pas pessimiste concernant son évolution. Il y a bien entendu beaucoup trop de gens qui « gaspillent » leur temps en regardant des films de fiction qui ne leur permettent jamais, pour ne prendre que cet exemple, de s’exprimer correctement dans une langue et à l’écrit, de développer également un esprit critique que seuls l’écrit et le livre permettent. L’informatique et les réseaux, s’ils peuvent être néfastes en incitant à regarder toujours plus de fictions, dans une surabondance qui semble sans limite, permettent en même temps la diffusion d’une pensée critique, en facilitant par exemple l’achat en ligne de livres et de revues qui, eux, travaillent sur un temps plus long que l’immédiateté de la télévision, laquelle ne peut pas non plus entrer dans les détails ni traiter de « tous les sujets ».

Ainsi pour un prix modique, le lecteur peut commander en ligne un livre au format de poche d’un clic de souris et accéder à une information ou à une œuvre qui lui permettra d’échapper à la télévision et à son caractère excessivement superficiel et simplificateur, tout en ne traitant aussi qu’une partie incroyablement infime du savoir humain. La télévision ne propose la plupart du temps que trois choses : les films de fiction, l’actualité politique et le sport, les autres sujets restant mis en arrière plan. Le jour où il sera par exemple présentée une émission sur la sociolinguistique ou sur d’autres domaines qui ne passionnent pas les foules, probablement la fin du monde sera-t-elle proche !

Pour revenir sur le sujet de l’individualisme souvent évoqué par Gilles Lipovetsky, je pense pour ma part que ce changement est plutôt bénéfique par rapport à « l’esprit de masse » qui fut le lot des années 60 et 70, où n’existaient que quelques chaînes de télévision pour toute la population et où également l’enseignement supérieur était encore réservé à une faible fraction de la population. Cet esprit de masse n’a toutefois pas disparu de nos jours, comme en témoigne le succès de nombreuses séries télévisées regardées par des millions de téléspectateurs. Cependant la pensée et la structure en rhizomes dont parlait Gilles Deleuze progressent avec l’essor de l’informatique et des réseaux, ainsi qu’avec le développement de la « micro édition » rendue possible avec l’ordinateur individuel. Et même si ces ordinateurs sont fabriqués par seulement quelques entreprises dans le monde (ce qui changera peut-être par la suite), il n’en demeure pas moins qu’ils permettent également de communiquer une pensée plurielle et diversifiée, qui s’écarte de l’esprit de troupeau qui caractérisait la période des premiers médias électroniques, mais aussi de la presse du 19e siècle qui diffusait à des millions d’exemplaires certains journaux, même s’il existait un très grand nombre de titres tirés à de faibles exemplaires. Si aujourd’hui l’édition est concentrée entre les mains de quelques grands groupes, il reste néanmoins une place non négligeable pour les petits éditeurs. Ceux-ci ont toujours existé et existeront probablement encore pendant très longtemps, du moins tant qu’existeront des sociétés démocratiques.

Il est bon de ne pas oublier que les premiers acteurs de l’informatique et des réseaux étaient à l’origine de fervents défenseurs de la pensée plurielle, même si cela a rapidement changé avec les « réseaux sociaux ». Cependant la toile tissée avec Internet reste encore assez libre et chacun possède encore le choix de ne pas fréquenter ces « réseaux sociaux » et d’utiliser le web comme il l’était au départ, c’est-à-dire sans ces réseaux sociaux destinés, pour la plupart du temps, à faire gagner de l’argent à leurs propriétaires et à favoriser cet esprit de masse.

Telle une pièce de monnaie, la liberté comporte deux faces. C’est à chacun de choisir la face qui lui semble la meilleure et la plus propice à la réflexion.

© Serge Muscat – avril 2025.

Vive les vacances!

Les vacances approchent. Aussi je n’ai pas trouvé mieux que de lire un livre qui n’est pas tout récent mais qui reste tout de même d’actualité. Je veux parler du livre d’Alain Paucard intitulé : Le cauchemar des vacances, publié en 1993 aux éditions l’Age d’Homme.

Ce petit livre de 85 pages résume parfaitement la société des loisirs dans laquelle nous vivons. L’auteur y dépeint avec lucidité la frénésie touristique, qui de nos jours est encore aggravée, avec des individus qui courent dans tous les sens en photographiant tout et n’importe quoi, la seule satisfaction étant d’entendre le clic de l’appareil photo. Les activités les plus répandues des touristes sont passées en revue : les visites guidées, le bain de soleil sur la plage, le sport, les agences de voyages, bref, toutes ces distractions dont je parle également dans certains de mes textes, et qui de nos jours ont été multipliées par dix.

Ce livre où l’auteur ne mâche pas ses mots a été, à sa lecture, une bouffée d’oxygène dans un monde où cet élément chimique risque de devenir rare pour les années à venir. Alain Paucard a osé dire tout haut ce que certains ne font que chuchoter par crainte de déranger les conventions et le commerce ambiant. Cet ouvrage pourra servir de vaccin à ceux qui partiront en vacances dans les pays tropicaux ou d’autres endroits où il fait très chaud. Ces 85 pages seront probablement plus efficaces qu’une seringue enfoncée dans le bras par une infirmière ou une pharmacienne. Vous serez protégé ainsi de cette agitation qui caractérise tous les touristes avides de tout manger des yeux, en ne digérant malheureusement rien, et même parfois en vomissant.

Vous trouverez facilement ce livre sur des sites de vente en ligne qu’il n’est pas besoin de mentionner tellement ils sont connus de tous. J’espère que la piqûre ne vous fera pas trop mal et que vous ne serez pas pris de vertiges, comme cela se produit parfois avec certains vaccins

Phrase entendue de la part d’une infirmière

« L’université est devenue une véritable poubelle ». Phrase anodine à laquelle nous pourrions ne pas faire attention. Pourtant si l’université est devenue une véritable poubelle, c’est qu’elle contient des ordures. Et ces ordures sont en quelque sorte ceux qui auparavant ne se trouvaient pas dans l’université, c’est-à-dire « la masse », avec la généralisation de l’accès aux études supérieures. Donc la masse est en quelque sorte une ordure, identique aux ordures ménagères dont on cherche à se débarrasser. Quel va être le comportement de cette infirmière lorsqu’elle devra soigner une personne qui fait partie, d’après ce qu’elle dit, des ordures ? Cette infirmière, de plus, travaillait dans un hôpital un peu particulier qui était un hôpital psychiatrique, c’est-à-dire un lieu où les gens ont apparemment « perdu la raison ». Que va-t-elle dire lorsqu’elle se trouvera confrontée à « une ordure » qu’elle devra soigner ? Sera-t-elle réellement neutre ? Pratiquera-t-elle exactement les mêmes soins à ceux qui sont « des ordures » et ceux qui ne sont pas des ordures, c’est-à-dire ceux qui accédaient à l’université avant « l’éducation de masse » ? Je n’ai pas les réponses à ces questions. Cependant cette simple constatation, qui est d’une certaine manière une sorte de micro-sociologie de la vie quotidienne, nous permet de prendre conscience que tout n’est pas aussi simple que voudrait nous le faire croire les grandes théories généralisantes qui oublient trop souvent de regarder les « détails ». Ainsi « l’infirmière » du point de vue du concept général que l’on entend par ce mot n’existe pas. Il y a « des » infirmières, avec un gouffre abyssal entre chacune de ces personnes qui font au premier abord le même travail. Et le rôle, de par exemple la littérature, est de montrer cette réalité qui semble ne pas rentrer dans les théories générales qui sont la plupart du temps imparfaites. On pourrait presque dire que l’on choisit la littérature lorsqu’on a été déçu de toutes les sciences humaines, lesquelles tentent de produire des théories générales sur l’homme sans regarder celui-ci dans son unicité.

LES POÈTES FACE A LEUR ORDINATEUR

Ce XXIe siècle est bien singulier. Radicalement différent des autres, les poètes mènent cependant une vie aussi rude que celle des périodes passées. Siècle de l’informatique, toute activité d’écriture passe désormais par l’ordinateur. Cet objet est devenu incontournable, comme l’était la plume au XIXe siècle. Ainsi nous mettons nos souffrances, nos doutes, nos illusions mais aussi nos espoirs qui nous font croire que demain sera meilleur alors que tout nous montre le contraire, nous écrivons toutes ces contradictions à l’aide d’un logiciel de traitement de texte, lui aussi programmé par des êtres se disant que « la vraie vie » est celle passée devant l’écran de ces machines qui promettent la richesse, la gloire et de nombreuses choses dont rêvent les hommes en voulant être heureux.

Les poètes et les romanciers deviennent donc, un peu malgré eux, également des informaticiens en maîtrisant plus ou moins les codes et les langages de cet ordinateur que chacun possède pour pouvoir vivre et même survivre au quotidien. Cette machine a un caractère presque messianique et les poètes tentent de l’apprivoiser pour réussir à exprimer ce qu’ils ont vu et entendu tout au long de la vie qu’ils traversent bien souvent d’une manière différente de ceux qui se contentent simplement d’éprouver chaque instant sans ressentir la nécessité impérieuse de symboliser par des mots l’expérience traversée.

Les poètes et les romanciers sont dans bien des cas des individus qui ont la chair à vif, et qui voient derrière la fausse évidence de ce qui se présente à eux. Ils le perçoivent avec une telle intensité, aussi bien pour le malheur que pour la joie, qu’ils leur faut l’écrire, comme pour se rassurer que tout cela était bien vrai, tout en partageant avec le lecteur cette réalité qu’ils pensent être importante. Car avant d’écrire, ces personnes ont aussi une façon particulière de traverser l’existence. Ils ne la traversent par exemple pas de la même façon que les informaticiens, dont certains sont très célèbres, qui, eux, éprouvent une grande satisfaction lorsqu’un programme fonctionne correctement, tout en ayant aussi des loisirs totalement différents de ceux des poètes et des romanciers. Ces derniers « rencontrent » les informaticiens par le biais de cette machine logique posée sur leur bureau, mais leur système de pensée et la manière d’appréhender la vie sont totalement divergents. Les uns voient dans cet outil un moyen alors que les autres y voient une fin.

Comme l’écrivait un professeur de littérature, « sale temps pour les poètes ». Pour ceux qui ne perçoivent pas le monde et la vie comme ceux qui sont simplement à l’intérieur de leurs actions, sans avoir un regard surplombant sur chaque situation qu’ils vivent ou qu’ils observent. Ce que perçoivent ces personnes ne prend pas des proportions démesurées et ils chassent ces pensées d’un geste vague de la main. Ce ne sont pour eux que des épiphénomènes sans aucune importance, qu’ils oublient bien vite en réalisant diverses activités. Même s’ils apprécient parfois de lire un roman ou de la poésie, ils considèrent qu’en écrire eux-mêmes est tout à fait superflu et déplacé, et préfèrent faire une partie de tennis, bricoler ou bien d’autres choses encore. Ils sont « dans une autre réalité », qui change quelquefois en avançant dans l’âge.

J’ai entendu un jour un technicien en électronique qui s’exprimait en ces termes à propos des livres : « Je lis utile ». Mais chacun a une compréhension différente de ce qui est « utile ». Et en regardant de plus près, tous les livres sont utiles. Ils aident également parfois à mieux comprendre le caractère mystérieux de l’existence ; aussi bien pour ceux qui les écrivent que pour ceux qui les lisent, les deux catégories étant parfois réunies en un seul et même individu.

Je ne sais pas s’il y aura encore des poètes parmi ceux qui réussiront dans un futur incertain à vivre sur la Lune ou sur Mars. Il est cependant probable que les hommes et les femmes qui vivront durant un temps assez prolongé se poseront les mêmes questions et auront les mêmes besoins que ceux et celles qui vivent sur Terre. Le papier ne sera peut-être plus utilisé mais les futurs habitants de ces astres, du moins pour une partie d’entre eux, trouveront encore du sens à lire un poème en prose ou une nouvelle. Et il fera également « un sale temps pour les poètes », lesquels ont traversé toute l’histoire sous un ciel perpétuellement sombre et orageux.

© Serge Muscat – avril 2025.

Etre en mouvement pour ne pas voir le réel

La meilleure façon d’être optimiste est d’être perpétuellement en mouvement. Les utopies positives germent bien souvent dans l’esprit des hommes qui voyagent.

Ainsi, dans chaque nouveau lieu où l’on arrive, comme par exemple lors d’un déménagement, nous percevons seulement l’épiderme de la réalité en ne nous souciant pas de toute la machinerie qui se trouve dessous. Et c’est au fil des jours, des mois et des années que l’on découvre progressivement un réel différent. Ceux qui ont le goût du voyage sont, quelque part, des hommes qui croient en une humanité meilleure que ce qu’elle est. Et pour confirmer leur croyance, ils arpentent sans cesse de nouveaux endroits en se laissant prendre au piège de l’émerveillement.

Dieu est dans les détails, a-t-on écrit. Dans les détails se trouve également l’horreur. Le cauchemar de la vie commence à partir du moment où l’on commence à regarder le monde avec une loupe.

Dès la naissance, l’homme pousse des cris de terreur en percevant indistinctement ce qui l’attend. Il commence ensuite à explorer le monde qui l’entoure pour ne pas voir le sordide de l’existence.

Comme le défilement des images fixes procure l’illusion du mouvement avec le cinéma, le voyage donne l’illusion que le monde n’est pas ce qu’il est. Traverser la vie comme dans un train permet de ne pas voir tout en regardant ce qui se passe derrière la vitre.

La plus grande souffrance que l’on puisse infliger à un homme est de l’empêcher de se déplacer, de se mouvoir. Car immobiliser un homme revient à lui ôter toute illusion sur l’existence, à lui faire percevoir l’absurdité de la condition d’être vivant. C’est aussi pour cette raison que les individus aiment sortir de chez eux, depuis la simple promenade dans la ville où ils vont prendre un verre quelque part, aller voir un film au cinéma ou mille autres sorties du même genre, jusqu’au voyage pour prendre, comme ils disent, « des vacances ». Puis un jour ils s’aperçoivent, souvent lorsqu’ils ont un âge avancé, qu’ils n’ont fait que se fuir eux-mêmes, tout en ne voulant pas voir la réalité des choses, qu’ils commencent tout doucement à percevoir, lorsque leur jeunesse se trouve éloignée et qu’ils s’approchent d’une autre vérité. Certains découvrent ce qui se dissimule derrière l’apparente joie de vivre à vingt ans, d’autres à trente ans ou plus tard, beaucoup plus tard. Mais presque tous font cette découverte avant de mourir. Ceux qui entraperçoivent entre vingt et trente ans le non-sens de tout ce qu’ils entreprennent tout en n’y croyant pas vraiment, en réalisant des activités sur lesquelles ils réfléchissent à certains moments avec un doute profond, prennent des chemins chaotiques et désordonnés. Pour les autres, la vie leur semble d’une « évidence » parfaite et ils exercent durant quarante ans le même métier, ont des enfants et prennent leur retraite au bord de la mer ou ailleurs. Mais vient le jour, tôt ou tard, où ils prennent alors conscience qu’ils n’ont fait que travailler pour survivre, ou parfois aussi pour s’enrichir, et non pour se réaliser dans un emploi comme ils le disent souvent, et que de nombreuses des activités humaines sont absurdes ou inutiles. Faire du ski, du saut en parachute, assister à une course de voitures, jouer à des jeux vidéo jusqu’à l’âge de quarante ans, perdre du temps à discuter de choses futiles pendant des heures dans des réunions diverses ou amicales où chacun se trouve en fait seul bien que parlant avec les autres, et qui n’est en fait qu’une manière de ne pas accepter ce qu’ils pressentent réellement, lorsqu’ils disent par exemple « ça m’évite de penser » ; toute cette myriade d’activités réalisées pendant le week-end, le soir lorsqu’ils rentrent du travail ou pendant les congés payés, en regardant la télévision, en bricolant, en jouant à des jeux de société, en s’occupant de leurs enfants qui très souvent les déçoivent lorsqu’ils deviennent adultes en ne pensant pas du tout comme eux, perdent un jour la signification qu’ils pensaient que tout cela semblait avoir. Ce n’est qu’une question de temps. Si ça ne se produit pas à trente ans, cela se produit à quarante ans ou plus tard, lorsqu’ils sont à la retraite et qu’ils sont libérés du travail en n’ayant plus à gagner leur vie. Et ils n’éprouvent alors plus le besoin d’être en mouvement, d’aller voir ailleurs ce que d’autres personnes font, et qui la plupart du temps sont arrivées aux mêmes conclusions qu’eux bien qu’étant situées à des milliers de kilomètres. Ils ne vont plus également dans cette machine à illusions qu’est le cinéma, lequel a besoin de sommes d’argent parfois pharaoniques pour fabriquer des fictions médiocres et qui doivent également être rentables. Ils cessent alors de s’agiter et d’être perpétuellement en mouvement en se perdant dans des distractions douteuses et dont ils s’aperçoivent qu’elle n’ont aucun sens. Ils essaient de continuer à vivre, car il faut bien laisser le temps biologique se réaliser, en ayant toutefois les yeux cette fois-ci bien ouverts sur ce que propose la vie sociale et les multiples activités des hommes. Ils entreprennent d’autres activités qu’ils n’ont par exemple pas pu réaliser parce qu’ils étaient obligés de faire n’importe quel travail pour gagner leur vie. Chacun a une horloge qui sonne à des heures très différentes de la vie. La seule certitude est que l’horloge sonne un jour; et qu’elle finit également par s’arrêter.

© Serge Muscat – avril 2025.

Le professeur de littérature germaniste

Toujours vêtu de costumes à rayures impeccables avec des chemises blanches à col ouvert, il semblait venir d’un autre monde. Il ne correspondait pas au style répandu dans l’université où il enseignait. Ses cheveux assez longs ne demeuraient plus en correspondance avec la mode ambiante de son époque. Les années 70 étaient assez éloignées et l’on sentait chez lui son appartenance à cette période de la société. Lors du premier cours auquel j’avais assisté, après avoir pénétré dans la salle, il était resté un long moment sans rien dire, avec un comportement dénotant l’embarras. C’était un peu comme s’il se demandait ce qu’il faisait là, dans cette salle étroite et bondée d’étudiants de tous les âges. Cet homme m’intriguait ; il n’était pas comme les autres professeurs. On sentait chez lui comme un certain mal de vivre, une sorte d’inquiétude inscrite dans les tréfonds de son être. Le silence se prolongea, puis il finit par prendre la parole. Il commença par nous parler du dadaïsme et du surréalisme, avec une voix légèrement teintée de mélancolie. Il paraissait ne pas vraiment croire à ce qu’il disait, et les aventures du mouvement surréaliste semblaient être, dans ses propos, comme des distractions d’artistes coupées de la réalité sociale. On sentait qu’il n’était pas totalement convaincu par les expérimentations d’André Breton et que tout ça n’était qu’une sorte d’activité d’écrivains qui trompaient l’ennui en s’amusant comme des enfants.

Tout au long de son exposé, il faisait des gestes avec les bras qui étaient en dissonance avec ce qu’il essayait de dire. Il nous parlait du surréalisme parce qu’il fallait bien mentionner ce mouvement littéraire et artistique qui avait marqué l’histoire des créations, mais on percevait qu’au fond de lui quelque chose d’autre le préoccupait beaucoup plus. Ces amusements intellectuels n’entraient pas en résonance avec cette conscience tragique qui émanait de sa personne. Il paraissait en fait, alors que je l’observais attentivement, être revenu de tout et ne plus croire en rien, et surtout ne pas croire à ce qu’il exprimait en retraçant l’histoire du surréalisme. Dans cette salle, il vivait en quelque sorte par procuration l’aventure d’écrivains et de plasticiens qui s’étaient amusés tels des adolescents pour tromper l’absurdité et la douleur d’être au monde. Le surréalisme ne donnait pas à mieux voir et comprendre le réel, il cherchait au contraire à s’en éloigner le plus loin possible en présentant de faux paradoxes qui évitaient soigneusement de faire face aux véritables contradictions de la vie, avec son lot d’ennui, de désespoir et de mirages surgissant dans la conscience de tous les hommes, au moment où ils s’y attendaient le moins, dans la plupart de leurs activités frénétiques.

Je revis ce professeur en le croisant un jour dans la rue, en plein centre-ville. Toujours habillé d’un costume élégant, il marchait les mains dans les poches avec, sur le visage, l’expression d’un homme égaré et seul, comme perdu dans l’existence, cette existence qu’il tentait de nous expliquer, dans ses cours, par le bais des auteurs surréalistes et d’une multitude d’autres écrivains, comme par exemple Walter Benjamin qu’il affectionnait particulièrement et dont il nous dépeignait la vie tragique.

Quelques années plus tard ce professeur décéda d’un cancer. Je fus affecté lorsque j’appris sa mort. Avant de s’éteindre, il avait écrit quelques pages sur son lit d’hôpital. Ces textes furent publiés. Dans cette mince plaquette il n’était plus question de théories littéraires ou de littérature tout court. Il parlait de choses simples et ordinaires de sa vie à l’hôpital. Il s’accrochait comme tous les hommes aux derniers instants de l’existence, en voulant témoigner, sur des feuilles griffonnées à la hâte, de cette absurdité et de l’espoir qui traversent l’espèce humaine. Ce professeur s’appelait Jean-Michel Palmier.

© Serge Muscat – mai 2025.

Mettre sa pensée à plat

Mettre sa pensée à plat donc. Dans le vacarme des villes, trouver un lieu calme et paisible pour tout mettre à plat. Ce n’est pas une chose facile. Comment rendre intelligibles les souvenirs, les propos entendus ou lus, les images par milliers, tout ce que l’homme peut engrammer au cours d’une vie ? Et cette trivialité du quotidien dans lequel nous sommes englués ; pris en étau entre les journaux, la radio, la télévision et les affiches publicitaires nous incitant à consommer des produits inutiles toujours plus nombreux. Comment, dans cette pagaille, réussir à mettre sa pensée à plat ?

A peine pense-t-on s’isoler que déjà le téléphone mobile sonne pour nous annoncer mille mauvaises nouvelles. Pas d’intemporalité dans cette vie où tout est surdaté. Que ferait un écrivain avec une machine à écrire mécanique à l’aube du XXIe siècle ? Les jeunes et les autres gens se moqueraient de lui ! Le temps nous met des chaînes aux pieds jusqu’à ne plus pouvoir avancer dès que l’axe temporel se décale de dix années. Comment, dans ces conditions, être dans l’universel ? Nous sommes dévorés par l’actualité. Pourtant mettre sa pensée à plat nécessite de se dégager de ce temps trop présent. S’inscrire dans la durée, regarder en arrière pour mieux comprendre l’histoire qui a réalisé cet ici et maintenant. Comment savoir où nous allons si nous effaçons nos traces au fur et à mesure que nous avançons ? Notre angle de vision se rétrécit toujours plus, et l’année dernière nous semble un passé loin et poussiéreux. De ce fait, mettre sa pensée à plat devient un exercice périlleux. Impossible de coucher sa pensée sur le papier sans un minimum de profondeur temporelle. Impossible d’être un pur présent et de parler en même temps. Impossible également de satisfaire aux tâches quotidiennes tout en parlant. Un lavabo bouché et voilà que toute notre attention est mobilisée, tout comme une coupure d’électricité ! Le quotidien semble vulgaire. Les penseurs ont-t-ils des fuites d’eau dans leur appartements ? Comment, donc, mettre sa pensée à plat lorsque la plomberie est défaillante ? Deleuze dirait que toute affaire de ce genre relève de la bêtise. Pourtant rien de plus concret qu’une plomberie défectueuse. Ce concret qui lui est si cher lorsqu’il parle de philosophie.

Surtout ne pas se regarder. S’oublier en vivant sa pensée. Dès que l’on se regarde dans une glace, tout est perdu. Impossible de se voir et d’être en même temps.

Mettre sa pensée à plat nécessite également de ne pas être plongé dans l’oisiveté. Rien de bon n’a jamais été fait chez les gens qui s’ennuient. Chez eux les pires tares se développent, comme par exemple la pratique des jeux, qu’ils soient classiques ou vidéo. Le jeu a toujours été le fléau de la société. Une société qui joue est une société malade.

Mettre sa pensée à plat implique de se poser certaines questions. Mais une question amenant rapidement à une autre question jusqu’à l’infini, il est bon de ne pas se laisser prendre au jeu d’une méditation douteuse. On se perd vite dans ce labyrinthe dont la seule sortie est le sommeil. Le quotidien nous aide à ne pas tomber dans ce gouffre. La pensée pratique et ingénieuse oblige à résoudre des problèmes. Pas de tourbillons lorsqu’il faut se plier à la logique d’un ordinateur, cette merveilleuse invention du XXe siècle. Nous sommes là confrontés à un monde qui résiste. Et c’est bien pour cela que les philosophes n’aiment guère les ingénieurs, même s’il existe des philosophes de la technique.

De plus, mettre sa pensée à plat relève quelque part de l’exploit. Comment être assis devant son bureau lorsque nous sommes pris de vertige devant le non-sens de l’existence ? Comme l’écrivait Cioran, la seule position raisonnable est celle d’être allongé. Car nous sommes pris d’effroi face à l’absurdité de notre condition de vivant. Comment se lever du lit lorsqu’on a la sensation d’avoir un poids de cent kilos sur le ventre ? L’appel à la vie ? Ou plutôt l’instinct de conservation… Cet instinct qui nous pousse vers une journée de plus en criant plus fort que notre raison qui nous dit : « à quoi bon ? ». La faim est plus forte que notre entendement ; et à certains moments nous donnerions n’importe quoi pour un morceau de fromage…

Coincé entre le nihilisme et l’instinct de survie, mettre sa pensée à plat demande un certain héroïsme. Se jeter dans la gueule ouverte de la vie, pour être ensuite digéré par une vieillesse qui s’étire indéfiniment en nous remémorant nos vingt ans.

On peut passer toute une vie à mettre sa pensée à plat. Une vie entière à faire le bilan de chaque journée écoulée, à faire le calcul de nos doutes, de nos erreurs, de nos folies aussi. Jusqu’à, surtout, écrire une littérature qui ne fasse pas appel au mythe de l’écrivain, comme l’a si bien montré Roland Barthes. Mettre sa pensée à plat ne consiste pas à bâtir un mythe supplémentaire, mais plutôt à s’approcher le plus près possible du réel. Exercice périlleux car le mot n’est pas l’objet. Et parler revient à prendre du recul, à s’éloigner des choses. Il n’y a pourtant pas d’autre biais pour comprendre le réel, si toutefois ce mot signifie quelque chose. Car nous sommes tous conviés à faire de la surenchère sur ce réel que cependant personne n’arrive à percevoir clairement. « Il faut voir la réalité en face » nous disent des personnes qui semblent éclairées. Et pourtant, sait-on vraiment de quoi l’on parle ?…

Mettre sa pensée à plat c’est également se retirer de toute compétition. Cette compétition qui commence à l’école primaire pour se terminer dans la tombe. Cette folie sportive qui fait de tout romancier un compétiteur dans la longue hiérarchie de la littérature, avec ses prix, ses honneurs, ses distinctions diverses et futiles. L’homme est condamné à avoir des chefs, des grades, des échelons, jusqu’à faire des cauchemars de pyramides s’étalant à perte de vue. La pyramide, cette tare de l’homme socialisé contre laquelle j’oppose l’architecture en rhizomes. Pas d’idoles pas de maîtres, seulement des passeurs, des amis qui ne font qu’accepter une pensée originale sans jouer le rôle d’individus supérieurs. Une géographie sans centre, où chacun peut circuler sans entrave parmi les humains ; où chacun apprend à l’autre une parcelle de connaissance dans un échange mutuel. Être la voix du multiple en laissant parler les autres dans notre parole. Interpréter cette cacophonie pour en dégager du sens et une histoire, en commençant d’ailleurs par notre propre histoire. Réussir à voir les êtres et les choses en étant à la bonne distance.

Comment tenir un stylo lorsqu’à chaque instant un homme meurt d’une balle de fusil, ou de faim et de soif ? Monde de terreur où chacun se demande ce qu’il pourrait bien faire pour stopper la barbarie. Et pourtant le monde continue de tourner pendant que les politiciens somnolent dans les amphithéâtres. La littérature est une parole qui n’a pas de prise sur les choses. C’est une parole molle qui prend la forme du monde à son contact. Il est donc bien difficile de changer nos sociétés en écrivant des fictions romanesques. Nous sommes loin du discours performatif où dire c’est faire. Ici ce qui se dit n’a aucune incidence sur le réel. C’est avouer son impuissance à modifier le comportement du lecteur. C’est prendre en compte cet échec cuisant que ne connaissent pas les politiciens et les juristes pour qui une virgule transforme la vie de millions de gens. C’est écrire dans le sable juste avant la tempête. Tout s’efface… Je m’efface… Tout a disparu

© Serge Muscat février 2015.