Réflexions sur « Trouble dans le genre » de Judith Butler

L’ouvrage « Trouble dans le genre » soulève de nombreuses questions. La réflexion de Judith Butler se voudrait être philosophique. Il est très difficile de définir ce qu’est la philosophie. On peut cependant dire que la philosophie n’est par exemple pas un art plastique car le philosophe utilise pour s’exprimer le langage naturel, c’est-à-dire la parole. Avec cette parole la philosophie tente de réfléchir sur le monde physique au sens large.

Judith Butler parle de « trouble dans le genre », le genre étant ce que certaines langues ont décidé de nommer « le masculin » et « le féminin ». Le langage est une création humaine. Au commencement, d’après ce que nous apprennent la paléontologie, et plus éloigné encore dans le temps avec l’astrophysique, n’était pas le verbe, comme le prétend une certaine religion, mais la matière inanimée puis, plus tard, la vie dans sa plus simple expression. Je n’ai pas la prétention ni la place, dans ce bref article, de retracer l’histoire de l’évolution du vivant. Il ressort cependant que le vivant a commencé à se complexifier d’une façon très importante à partir de la reproduction sexuée, c’est-à-dire lorsque le vivant s’est différencié entre ce que l’on a décidé de nommer arbitrairement (car le langage est arbitraire, comme l’a montré Saussure) des organes mâles et femelles, ou masculins et féminin chez les humains. Il n’y a dans le monde animal que très peu de « trouble dans le genre ». L’escargot est hermaphrodite avons-nous constaté. Cependant l’hermaphrodisme est peu répandu dans le monde vivant. Et chez les humains, l’hermaphrodisme n’existe tout simplement pas. L’être humain se reproduit uniquement à partir de la combinaison de cellules générées par un homme et une femme. Et cette réalité existe en dehors de notre langage qui, je le redis, est très imparfait et, surtout, est arbitraire. Jusque là il n’y a pas de trouble dans le genre chez l’humain. C’est une réalité tangible et perceptible. Deux personnes du même sexe ne peuvent pas se reproduire, c’est un fait incontournable.

L’ouvrage en entier de Judith Butler revient à opérer une tentative de démonstration que l’homme cherche à dominer la femme. Cependant son livre n’apporte pas grand-chose pour déclencher une situation plus égalitaire. Je n’ai quasiment jamais lu d’ouvrages traitant du féminisme. Pourtant il a toujours été clair pour moi que les femmes doivent avoir les mêmes droits que ceux des hommes. Et ce qui est à mes yeux une évidence depuis l’âge où j’ai commencé à réellement réfléchir n’a jamais été le résultat de la lecture de livres sur les théories féministes qui sont situées dans le temps et géographiquement. L’histoire nous montre des sociétés patriarcales. La même histoire nous montre également, en beaucoup plus faible nombre, des sociétés matriarcales. Pour le moment c’est encore le patriarcat qui est le plus généralisé dans le monde. Je ne nie pas cette réalité. Cependant Judith Butler ne s’y prend pas de la bonne façon pour générer un changement. Le travail réalisé par exemple par Marie Curie ou les livres d’Annie Ernaux sont beaucoup plus aptes à modifier les comportements et à faire voir l’égalité homme/femme et leurs potentialités identiques.

Il est par ailleurs bien clair également que le langage naturel utilisé pour communiquer est pour une bonne part totalement absurde sur ce qui concerne son caractère genré. S’il existe bien un genre dans la réalité perceptible des hommes et des femmes (les attributs extérieurs et donc visibles du genre étant eux aussi parfois assez brouillés selon les époques et les sociétés), je ne comprends toutefois pas pourquoi une table est dite du genre féminin et un avion du genre masculin. Il faudrait utiliser la notion de « neutre » qui n’existe plus en français. Les langues reflètent bien souvent les rapports de force entre les hommes et les femmes. Je pense pour ma part que tous les objets, donc inanimés et qui ne relèvent pas du vivant sexué, devraient être neutres dans les définitions des dictionnaires et des encyclopédies. Une « table » n’a pas de sexe et n’a donc pas de genre. Pas plus qu’un « bureau ». Il y a par conséquent tout à revoir et à modifier dans l’évolution future des langues et notamment du français. On ne devrait conserver les anciennes définitions que comme traces de l’évolution historique des langues. C’est aussi de cette manière, parmi beaucoup d’autres, que l’on instaure une égalité réelle entre hommes et femmes. Ce n’est pas un hasard si les conservateurs ne veulent pas modifier les langues. Ils ne veulent pas modifier les langues car ils ne veulent pas non plus modifier leurs comportements.

D’autre part la croyance en la toute puissance du langage naturel reste aussi une croyance. On peut très bien conserver les écrits anciens comme on conserve les écrits en grec ou en latin pour comprendre la pensée de cette époque, tout en faisant également évoluer les langues actuelles. Le langage naturel n’est qu’une invention humaine au même titre qu’il invente des objets fabriqués de sa main par l’intermédiaire d’outils. Il n’y a rien d’immuable dans le langage naturel. Faire évoluer le langage, c’est en même temps faire évoluer les rapports entre les hommes et les femmes. Ainsi Platon se fourvoie-t-il en plaçant le langage naturel comme moyen « suprême » pour comprendre le monde et la société de son époque. Ce n’est qu’un outil parmi d’autres. Le langage qui se réfère en boucle au langage ne finit que par aboutir à un non sens. C’est ce qu’ont compris par exemple ceux et celles qui s’occupent de sciences naturelles et qui observent la nature tout autant qu’ils utilisent le langage pour réfléchir et créer des hypothèses. L’avenir de la philosophie fera probablement beaucoup plus intervenir la perception et l’expérience. Et le langage naturel doit donc être modifié pour « traduire » ce perçu et cette expérience, même si certains épistémologues nous disent que les anciens « sauvages » ne perçoivent pas du tout de la même façon qu’un homme « civilisé » (ce sont les termes employés par ces épistémologues) un simple objet comme par exemple un ordinateur ou un téléphone portable. Je pense pour ma part que toute perception et toute expérience est a prendre en considération, et qu’elles nous apprennent beaucoup plus de choses qu’on pourrait le penser au premier abord. Si Marcel Mauss n’avait pas pris en considération les pratiques du don dans certaines sociétés dont il cherchait à comprendre le fonctionnement, il n’aurait jamais pu prendre conscience de son importance dans la vie sociale. Il ne s’agit pas tant de faire « entrer » la réalité perçue dans le langage naturel, comme si celui-ci était immuable alors qu’il n’est qu’arbitraire, mais de faire « correspondre » le langage naturel à la réalité perçue, comme lorsqu’on invente un nouveau mot pour désigner une nouvelle planète observée par le télescope, ou une nouvelle particule observée par des moyens détournés et divers dans un accélérateur ou enfin une nouvelle espèce animale.  « L’intelligence » préexiste avant le langage naturel. Le savoir-faire est par exemple une des nombreuses facettes de l’intelligence qui ne fait pas intervenir le langage. On apprend à faire du vélo sans avoir besoin du langage. Et cet apprentissage fait partie des possibilités de l’intelligence. Le langage est avant tout utilisé pour communiquer entre les humains, même s’il n’est pas exclusif. C’est surtout le vécu, donc l’expérience au sens large, qui est source de connaissance. Et ce vécu, s’étalant dans le temps, modifie également tout au long de notre vie notre manière de comprendre les choses. Le langage naturel est par exemple utilisé par le droit pour nous conformer à des règles sociales. Sans le langage naturel le droit n’existerait pas. Cependant notre comportement au quotidien dépasse largement le cadre du langage naturel en faisant appel à notre perception par nos cinq sens. Cette perception par nos cinq sens est beaucoup plus influencée par notre vécu antérieur (vécu sans cesse réactualisé) que par le langage. Si une personne a été par exemple aimable avec vous (et qui donc a manifesté cette amabilité par toute sa personne et non uniquement par le langage) vous aurez une certaine pensée à l’égard de cette personne. Et peu importe ce que diront cinq-cents autres individus sur cette personne, les discours ne seront pas pris en considération car vous avez vécu une expérience avec cette personne qui vous informe mieux que tous les discours. Quoi que l’on fasse, on s’en remet toujours plus à l’expérience qu’aux seuls discours. Le langage n’est utilisé que pour tenter de communiquer cette expérience, laquelle dépasse largement l’acte de parole, même si cette dernière est importante. Les anthropologues l’ont bien compris. Pour prendre l’exemple du racisme, celui-ci puise toujours sa source dans une expérience qui a été négative, ou alors dans une non expérience (n’avoir jamais vécu d’expérience avec ceux que l’on déteste et dont on se refuse à réellement vivre une expérience), ces expériences ou ces non expériences étant par exemple faites durant l’enfance, mais aussi réactualisées tout au long de la vie. Les statistiques montrent d’une façon indéniable, et ce dans tous les pays, que le plus fort taux de votes d’extrême droite est situé dans des régions où il y a très peu de fréquentations de populations dites « étrangères » (ce terme d’étranger étant bien compliqué à définir malgré les définitions simplistes qu’en donnent les dictionnaires. Dans un monde hypothétique qui serait constitué d’un seul État, nous pourrions dire qu’il n’y aurait plus d’étrangers. Mais chaque individu peut être également considéré comme étant un étranger s’il est par exemple du nord ou du sud d’un même pays. Donc ce terme d’étranger est un mot creux qui ne signifie en fait rien). Des grandes villes cosmopolites comme Paris ou New York recueillent peu de votes d’extrême droite. Alors que des villes comme Saint Cloud ou une petite ville du Texas ont un taux plus élevé de votes d’extrême droite. Car il y a moins de contacts et de brassage, ce sont des villes plus homogènes. Une personne qui grandit au contact d’une population, va accumuler des expériences avec cette population, et aura donc un regard différent de celui d’une personne qui n’a pas été en contact avec cette population. Les « regroupements » ou pour le dire autrement les ghettos divers formés dans les villes et aussi le territoire au sens plus large, mènent à une impasse sociologique. Il y a des ghettos pour blancs, des ghettos pour noirs, des ghettos pour riches, des ghettos pour pauvres, et ainsi de suite. Le logement est aussi conçu sur le modèle du ghetto, avec une très forte proportion de logements sociaux dans certaines parties du territoire, et une inexistence dans d’autres parties du territoire. Ce qui fait qu’on privilégie la propriété privée à certains endroits, alors que dans d’autres elle est presque inexistante. Il n’y a pas de mélanges des deux. Un immeuble qui ne relèverait pas de la propriété privée dans un arrondissement de Paris comme le 8ème, est considéré comme étant une véritable « provocation » pour la plupart des personnes qui vivent dans cet arrondissement. Etc. Et les individus composant cette myriade de ghettos ne partagent bien souvent pas une expérience avec les autres individus des autres ghettos. On peut étendre le concept de ghetto d’une manière assez large. Dans un même immeuble il n’y a pas non plus de mélanges, ou très peu. Certains nomment également cela « l’entre soi », ce qui est une autre manière de désigner la même chose. L’entre soi des écoles privées pour l’enseignement secondaire, l’entre soi des grandes écoles (cette spécificité française) qui filtrent à l’entrée selon l’origine sociale plutôt que pendant le parcours et sur des critères qui n’ont aucune valeur d’universalité et qui de plus sont moins performantes que les universités en ce qui concerne les résultats de la recherche, l’entre soi dans les grandes entreprises qui elles aussi filtrent sur des critères qui leur sont personnels et que l’on nomme également « la culture d’entreprise » et où les dirigeants sont choisis « comme par hasard » parmi ceux qui proviennent de ces grandes écoles que je viens de mentionner, ce qui est une manière de perpétuer l’entre soi tout au long de la vie comme il existe pour les autres une « formation tout au long de la vie », l’entre soi communautariste chez ceux qui pratiquent une religion, bref, je n’en dis pas plus, je pense que vous pourrez constater tout cela dans votre vie quotidienne.

Si une bonne partie des exemples que donne Judith Butler sont assez pertinents, comme le caractère genré des mots, d’autres propos sont également soit excessifs (car niant la réalité de la différence homme/femme. Car sans faire un excès de biologisme, comme les différentes variétés d’apparences des être humains mais dont on sait que toutes ces variétés ont toutes le dénominateur commun « l’homme », il y a tout de même une réalité matérielle et biologique qui fait que l’espèce humaine peut se reproduire. N’importe quel homme sur la planète peut engendrer avec n’importe quelle femme sur la planète, il y a donc un universel de l’espèce humaine), soit tout à fait superflus et inutiles pour faire avancer l’égalité effective des droits entre les femmes et les hommes. Toutes les théories produites par des « hommes » ne sont pas forcément réfutables juste parce que produites par eux. Notre société doit seulement instaurer l’égalité effective (et non de principe) entre hommes et femmes pour faire émerger par exemple plus de Marie Curie et des femmes également au sommet de l’État, puisque nous sommes désormais dans un système démocratique, même si cette démocratie est fragile et pourrait basculer à chaque instant vers un totalitarisme toujours possible.

D’autre part, refuser la binarité homme/femme c’est nier la réalité dont on fait l’expérience chaque jour. Cette binarité existe, contrairement à ce que dit Judith Butler. Tout n’est cependant pas binaire dans la nature. L’eau peut par exemple avoir trois états : liquide, solide et gazeux. Mais l’humain n’a que deux « états » pour se reproduire : soit homme soit femme. Les autres états « troubles » ne permettant pas la reproduction. Je ne nie toutefois pas que ces états existent et qu’ils ont toujours existé. Certaines de ces personnes « troubles dans le genre » ont également produit de très grandes œuvres et en ce sens ont contribué au développement de l’humanité. Les individus qui ne se perpétuent pas sont tout autant utiles que ceux qui se perpétuent. Et parmi ces personnes qui ne se perpétuent pas, il y en a aussi qui ont une « identité sexuelle » bien stable et en correspondance avec leur système biologique d’homme ou de femme. Cioran, pour ne prendre que cet exemple, n’a pas eu d’enfants. Et ce n’est pas pour autant qu’il était homosexuel. Son identité sexuelle n’était pas « trouble » mais il ne voulait tout simplement pas avoir d’enfants. Mieux vaut cela plutôt que de faire des enfants pour se conformer, par la pression sociale, « au plus grand nombre » et en finissant par les abandonner comme l’a fait Rousseau. Il faut être « convaincu » de certaines choses pour consacrer une bonne partie de sa vie à s’occuper de ses enfants. Ce n’est pas une décision prise à la légère. Et tout le monde n’a pas les mêmes convictions. En tant qu’animal humain doté d’une certaine conscience et aussi d’une certaine liberté, Cioran a donc fait ce choix. Ce choix n’est pas corrélé à un « trouble dans l’identité sexuelle » comme le pensaient et le pensent encore certains psychanalystes qui s’imaginent que leur discipline est tout en haut d’une sorte de pyramide des connaissances. L’observation nous apprend que dans le monde du vivant, seul l’humain est capable d’opérer le choix de la reproduction ou de la non reproduction. C’est le développement exceptionnel de ses facultés par rapport aux autres animaux (lorsqu’on suit des études de biologie on appelle « biologie animale » toute la biologie, y compris la biologie de l’humain, car l’homme a beaucoup de points communs au niveau de la biologie cellulaire et de la génétique mais il est également très différent par sa station verticale, ses capacités plus développées que celles des animaux à s’adapter, et aussi par sa capacité à parler qui est le produit d’une longue évolution) qui lui permet de choisir, en élaborant par exemple des stratagèmes comme les divers moyens contraceptifs, sans être totalement dépendant de ses instincts. Ce n’est par ailleurs pas le caractère manifeste d’homosexualité chez Léonard de Vinci qui a fait qu’il était autant exceptionnel. Il y a beaucoup d’homosexuels, même la plupart, qui n’atteindront jamais le degré de génie créatif atteint par Léonard de Vinci. Le trouble dans le genre n’explique donc absolument rien. Et l’analyse de Freud sur l’homosexualité de Léonard de Vinci est tout à fait sans aucun intérêt  pour tenter de comprendre le génie et cette soif inépuisable de chercher à comprendre tout ce qui l’entourait. Freud nous explique juste qu’il était homosexuel et ça ne va pas plus loin. Il élabore des explications qui, toutes, ont pour principal objet le caractère sexuel qu’il prétend trouver dans les comportements des individus. Car la psychanalyse ne propose pas grand chose de plus que ce genre de découvertes et d’informations. La psychanalyse est une sorte de psychologie qui a pour fondement le genre et qui bâtit toutes ses explications à partir de ce genre. Il en est par exemple ainsi du complexe d’œdipe où le fils serait attiré par sa mère alors qu’il aurait un tout autre comportement avec son père. Que l’individu soit homosexuel ou hétérosexuel n’a aucune importance car ça n’explique rien. Albert Einstein était hétérosexuel sans aucun trouble dans le genre, et a même eu des enfants. Et là encore ce genre d’information n’a strictement aucune importance et n’explique en rien pourquoi il était également très créatif comme l’était Léonard de Vinci. Réfléchir sur le genre et ses troubles est sans aucun intérêt pour tenter de comprendre les actions humaines. Bref, je ne m’étends pas sur un sujet que chacun et chacune peut constater au quotidien en ce XXIe siècle.

Par ailleurs, l’exemple que prend Judith Butler sur la mélancolie « expliquée » par Freud, et dont elle essaie de réfuter la théorie, n’est pas plus cohérente que celle de Freud lui-même. La sensation de mélancolie n’est pas obligatoirement produite par la perte d’un être « aimé ». La mélancolie peut avoir de multiples causes, comme par exemple le regret, par le souvenir, de la perception que l’on avait du monde lorsqu’on était enfant. Cette perception ne s’attache pas forcément à des êtres en particulier. Cela peut être la perception de la nature, des roches, de la flore ou de la faune, ou aussi des expériences éprouvées avec le monde des objets fabriqués par l’humain. Si les psychanalystes ramènent tout l’être humain à ses pulsions sexuelles, Judith Butler, quant à elle, tombe dans le même travers en voulant « féminiser » par la critique qu’elle fait de Freud des sensations comme la mélancolie que tous les humains ressentent au moins une fois dans leur vie. Et sur ce sujet, Judith Butler fait aussi bien fausse route que Freud. Il est par exemple important de mentionner que l’état mélancolique est aussi un état d’intense lucidité, où la sexualité tient une place infinitésimale, voire inexistante. La différence sexuée n’a dans ce cas aucune importance. Aussi porter son regard sur les théories de Freud pour, à son tour, remodeler une autre théorie plus « féministe » est-il un travail vain, car le phénomène de la mélancolie n’a pas pour causalité le genre. Lorsqu’un homme ou une femme regarde une montagne, cette montagne perçue n’est pas genrée. Même si le mot « montagne » est du genre féminin par l’absurdité de notre langue française et aussi d’autres langues qui attribuent un genre à tous les noms communs. La montagne est une montagne « perçue », quel que soit le nom qu’on lui donne. Et elle est sans sexe car un minéral n’est pas un être vivant. Et la vue de ce minéral peut produire en nous une multitude de sensations. Ces sensations remémorées après un temps plus ou moins long peuvent produire ce que l’on appelle la mélancolie. Et dans cette mélancolie n’intervient pas le « désir hétérosexuel » dont parle Judith Butler en faisant la critique de Freud. Si Freud a la fâcheuse tendance à voir du sexe partout, y compris dans nos moindres actions et nos moindres raisonnements, Judith Butler voit, elle, de l’indifférenciation partout et également, comme Freud, du sexuel dissimulé sous chaque pierre retournée. Il n’en demeure pas moins qu’elle reste une femme dans certaines de ses caractéristiques élémentaires. Et que c’est une très bonne chose. En poussant le raisonnement jusqu’à son extrême limite en ce qui concerne le concept d’indifférenciation, la totale indifférenciation serait absurde puisque ça reviendrait à dire qu’il n’y aurait absolument plus aucune différence entre un homme et une femme, il y aurait à la place une sorte de clone unique reproduit par on ne sait quelle machine. Et lorsqu’on réfléchit, puisque c’est sa fonction de philosophe, on s’aperçoit également bien vite qu’il est impossible de produire deux objets « totalement identiques », y compris pour les objets dits « fabriqués en série ». Donc le concept de totale indifférenciation ne correspond en fait pas à ce que nous montre l’expérimentation. Chaque objet possède donc des caractéristiques propres et différenciées, et dans le vivant c’est la même chose. Après cet exemple, je dis donc qu’il existera toujours une différence entre un homme et une femme, et que c’est grâce à cette différence que l’homme et la femme existent depuis les débuts de l’humanité. Le seul progrès possible est de mettre le plus d’éléments en commun, en ayant bien à l’esprit que « tout mettre en commun » est impossible et que ce projet conduit à une situation absurde et impossible. L’égalité totale des droits est déjà une bonne avancée. Cependant un congé maternité ne peut être attribué par exemple qu’à une femme car c’est elle qui porte l’enfant. On pourrait appliquer ce congé aussi à son compagnon dans un souci « d’égalité ». C’est une piste possible car la présence de l’autre dans cette situation est aussi très importante. Bref, on voit bien vite le très grand nombre de questions que soulève le concept de totale indifférenciation entre l’homme et la femme.

La « pulsion de savoir » dont parle Freud, dépasse largement la sexualité et le désir de « regarder sous les jupes des filles », pour ne prendre que cet exemple d’une totale absurdité. L’explication simpliste que propose Freud est probablement très éloignée des causes réelles qui poussent les humains à toujours chercher à comprendre et à explorer toujours plus loin le monde. Le vertige qui nous prend lorsque nous regardons les images collectées par les télescopes n’a absolument plus rien de genré, et donc de sexuel. Les petites histoires de libido et « d’objet sexuel » semblent bien ridicules lorsqu’on explore l’univers, les étoiles, les planètes, les trous noirs et bien d’autres objets cosmiques que nous ne savons pas interpréter. Les causes des comportements humains semblent d’une complexité bien plus grande lorsqu’on regarde le ciel. Il apparaît en effet que toute la matière est habitée par un perpétuel mouvement de transformation sans explication apparente, et que l’homme est également l’objet de ce processus. Et la sexualité serait en quelque sorte incluse dans cette grande transformation de la matière. Il est difficile de dire si l’être humain est le sommet de cette transformation et de cet agencement de la matière. Car il peut très bien exister dans l’univers une vie encore bien plus complexe que celle constituée par l’être humain. Même peut-être infiniment plus complexe et différente de celle qui existe sur Terre. Mais le simple fait de pouvoir en émettre l’hypothèse nous fait relativiser nos petites mesquineries humaines. Cela nous fait également prendre conscience, mieux que ne le fait Judith Butler, que l’homme et la femme doivent participer, ensemble et à égalité, à cette aventure qui est celle du monde vivant et en dépassant les notions de « troubles dans le genre ». Travailler sur ce sujet est du temps perdu qui produit plus de résistances et de mauvaises réactions que de réaliser de grandes choses. Pour reprendre cet exemple, Marie Curie n’écrivait pas de livres sur la théorie féministe. Elle a fait mieux en faisant s’émerveiller et s’incliner tous les « hommes » avec son acharnement et son génie. Les actes sont souvent plus convaincants que les théories de l’action. Une femme brillante trouvera toujours des hommes qui la soutiendront. Car le talent n’a pas de sexe.

Dans notre société actuelle où se diffuse un peu partout un système démocratique, les théories sur le féminisme sont totalement dépassées. Le droit de vote des femmes a été par exemple bien plus important et est antérieur à l’éclosion des théoriciennes du féminisme. Depuis, beaucoup de femmes ont réalisé une multitude de choses : elles ont créé des grands magazines, réalisé des grandes découvertes scientifiques, ont été des exploratrices, ont eu de nombreux prix Nobel (même si je considère que ce prix n’est pas forcément un gage de grande valeur intellectuelle) , et la liste serait longue à détailler. Dans le domaine de l’égalité homme/femme, rien ne remplace l’action sur le terrain du social, au lieu de tenter de faire « une théorie de l’égalité ». Présenter par exemple à un informaticien (lesquels sont encore majoritairement des hommes) un programme performant, et en ne se le faisant pas voler tout en le proposant, est un moyen de convaincre mille fois plus efficace que toutes les théories féministes. Réaliser un film comme Matrix (dont deux femmes sont les créatrices) est un autre exemple. Tout « homme » finit par s’incliner devant le talent créatif. C’est une redoutable façon de convaincre à laquelle les « hommes » finiront toujours, à un moment ou à un autre, à se rallier. La lutte n’est pas facile et commence dés l’enfance, avec « l’endoctrinement » de certains parents. Il y a aussi le poids très lourd des religions qui donnent une fausse vision de la femme. Les religions sont toutes « des histoires d’hommes », où les femmes sont représentées d’une manière bien précise. Il n’y a qu’à vérifier par l’observation ce qui se passe en ce moment avec le pape et tous les représentants de cette religion. Il n’y a aucune femme. Mais aussi dans toutes les religions. L’égalité passe donc, mais pas uniquement, par le fait d’être athée. Ne pas vouloir accepter cela de la part des femmes, c’est également nier de voir qu’il reste un dernier maillon de la longue chaîne qui maintient l’inégalité entre les hommes et les femmes. Par exemple les pays où la religion est prédominante, comme l’Inde (où il y a en plus un système de castes totalement inégalitaire et où également les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes), les pays arabes, etc. Tout homme qui refuse les mêmes droits entre hommes et femmes, est aussi celui qui refusera un jour l’égalité des droits entres les différents « hommes ». Donc défendre l’égalité homme/femme c’est également se battre contre des tyrans en germe ou déjà en place. Rendre une « femme » esclave c’est exactement le même processus que de rendre un « homme » esclave, c’est la même conception de l’être humain. Les hommes qui réduisent les autres hommes en esclaves, se comportent de la même façon avec leur épouse. C’est donc important d’en prendre conscience. Il faut bien couper à un moment donné la boucle systémique des générations. Et ce n’est pas en « excluant » les hommes que l’on arrive à cet objectif. On arrive à cet objectif en déclenchant chez eux l’admiration pour une réalisation quelconque. C’est un moteur bien plus puissant et où les femmes se font de plus en plus d’alliés masculins. J’ouvre d’autre part une parenthèse; Judith Butler ne doit également pas oublier que le pays dans lequel elle vit a été habité avant elle par des indiens. Les américains ont malheureusement tendance à l’oublier, et à oublier aussi ce qu’ont fait ces hommes et ces femmes dits « américains ». Il n’était pas nécessaire de créer « des réserves » pour la population indienne qui était là avant eux. Des solutions moins radicales étaient possibles, autrement que par l’extermination des indiens. La compréhension et la conservation de leur culture, en la laissant évoluer à son propre rythme, sans imposer la force meurtrière aurait été possibles et aurait été aussi très bénéfiques. Sur un territoire aussi vaste que celui de l’Amérique du nord, il y avait largement la place pour une « cohabitation » et une vie commune avec les indiens, en essayant d’être complémentaires et en bénéficiant, de chaque côté, de la culture de l’autre sans ne rien imposer et en prenant en considération l’avis et les souhaits des indiens, comme il y a eu une vie commune avec ceux qui ont décidé de vivre aux États-Unis sans y être nés après la lutte sanglante avec ces indiens qui n’ont bénéficié, dans cet « échange culturel », que de très peu de choses réellement utiles et malheureusement aussi de l’alcool fabriqué par les colons et qui a fini par les dépraver. Bref, je ferme ici la parenthèse, je ne suis pas un fin connaisseur de toute l’histoire de l’Amérique du Nord. Mais je possède tout de même les connaissances de base, comme le rôle de Christophe Colomb dans la découverte de l’Amérique.

Toutes les femmes ne sont toutefois pas sur le même plan. Par exemple une Margaret Tatcher est bien différente d’une Ursula von der Leyen ou encore d’une Angéla Merkel ou, pour finir, d’une Georgia Méloni. Il y a des abysses entre ces différentes femmes qui ne pensent pas du tout la même chose et avec qui on est d’accord ou pas d’accord. Cependant leur point commun est qu’elles n’ont pas écrit de livres sur la théorie du féminisme. Et il en est de même pour de nombreuses autres femmes, notamment chez les artistes où les intellectuelles. Simone de Beauvoir n’a fait qu’écrire des réflexions sur la condition de la femme dans la société de son époque, et n’a rien fait d’autre. Elle a généralisé la domination de l’homme sur la femme sans prendre en considération par exemple l’histoire des reines dans les temps très anciens ou encore les sociétés matriarcales qui ont bien existé et qui doivent exister encore (je ne m’avance pas, je n’ai pas de référence précise sur ce point). Et certaines de ces femmes qui avaient un très grand pouvoir n’étaient pas toujours « meilleures » que les hommes. Si les hommes ne sont pas plus éclairés que les femmes, l’inverse est aussi vrai. Donc la dénonciation faite par Simone de Beauvoir correspond à une époque bien précise et une géographie également bien précise. Son regard n’est pas réellement « panoramique ». Elle fait par exemple des analogies avec l’araignée femelle qui est beaucoup plus grosse que le mâle et le mange. Mais une araignée n’est pas un être humain. Cette disproportion n’existe pas chez l’humain. Aussi faut-il regarder avant tout l’humain pour comprendre certaines choses. Le rapprochement avec les animaux est vite limité. L’homme est différent d’un animal, même s’il a des points communs au niveau des cellules biologiques et de son code génétique. L’humain est un être vivant qui se reproduit de façon sexuée. Ensuite les comportements des hommes et des femmes sont un autre sujet. Et ils sont beaucoup plus variés dans le temps et l’espace que la façon monolithique dont elle en parle. Elle aussi fait les mêmes erreurs que Judtith Butler. Il y a des réalités qui sont incontournables, comme le fait par exemple que c’est la femme qui met au monde un enfant et non pas l’homme. Donc à partir des réalités incontournables comme celle-ci, il faut voir ce qu’on peut modifier et faire évoluer dans ce qui est modifiable, comme les comportements, les droits, etc. Elle n’a pas parlé des femmes guerrières non plus. Quant à Judith Butler elle ne parle pas non plus des femmes qui sont par exemple dans la police et qui ont une arme. Mais pour revenir à Simone de Beauvoir, celle-ci critique avec virulence certaines réalités qui sont spécifiques à chaque sexe de l’être humain. Elle énumère juste des constats qui correspondent à une certaine période et à un certain lieu. C’est une « philosophe du genre » comme Judith Butler. Mais tout ce travail n’apporte en fait pas grand chose et n’est pas à brandir comme le petit livre rouge de Mao qui pensait lui aussi avoir l’explication à tout. Il n’y a rien de vraiment révolutionnaire dans tout ça. Il n’y a pas de quoi en faire « une idole »  comme ça a été le cas à son époque. Les pratiques sociales ont changé pour de très nombreuses raisons, mais certainement pas grâce aux théories du genre. Les inventions par exemple des ingénieurs (qui étaient au départ des hommes) et qui ont conçu des objets comme la machine à laver électrique et divers objets devenus ensuite très répandus, ont été plus importants pour modifier le comportement des gens. Et de nos jours les hommes aussi bien que les femmes utilisent la machine à laver. Et ce résultat comportemental a plus sa source dans le développement de la technique que dans les théories du genre. Elle n’a pas réfléchi sur des domaines aussi variés que l’épistémologie, les questions soulevées par la physique de son époque, bref, la liste serait interminable pour énumérer tous les champs de la connaissance où la philosophie peut donner un éclairage différent sur ces différents domaines. En ce sens, pour prendre l’exemple français, elle a été moins utile que Marie Curie qui, elle, a donné l’exemple » sans faire de théorie du genre en faisant progresser la physique.

Je conclurai donc en disant que le livre de Judith Butler Trouble dans le genre, est une démarche « stérile », dans tous les sens du terme, et que sa « réflexion philosophique », laquelle est bien souvent erronée, ne fait absolument rien progresser dans l’égalité homme/femme . Elle reste une actrice mineure qui a brassé beaucoup d’air, en ne produisant que du vent, et parfois même la tempête dans certains médias en proposant par exemple des théories philosophiques sur les transgenres alors que les sciences humaines sont encore confrontées sur ce sujet à quelque chose de totalement inexplicable. Les transgenres existant en outre depuis très longtemps dans l’histoire de l’humanité. Les transgenres existaient bien avant qu’on parle de « LGBT »! Dans un futur proche, plus aucune femme ne se souviendra d’elle et de son discours creux. Alors qu’on se souviendra beaucoup plus d’une femme comme Jeanne d’Arc. Ces femmes riront peut-être, lorsqu’elles verront le chemin parcouru sans écrire la moindre ligne sur la théorie féministe et du genre. Je souhaite donc une bonne continuation à Judith Butler dans son travail de « philosophe du genre » (je ne savais pas que cette spécialisation existait. Il y a la philosophie des sciences, la philosophie politique, la philosophie de l’histoire, etc. Mais la philosophie « du genre » m’était tout à fait inconnue et je ne pensais pas qu’on pouvait faire du genre une branche de la philosophie! Pourquoi pas. Peut-être existera-t-il un jour de nouvelles spécialités de la philosophie, comme par exemple « la philosophie de la machine à laver » (laquelle machine à laver relève plus de l’histoire des techniques) ou d’autres spécialisations. Tout est possible.) et aussi un grand succès auprès de ses étudiantes.

© Serge Muscat – avril 2025.

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