Le soir, dans ma rue

Lorsque la nuit tombe, et que ceux qui n’ont rien d’autre à faire que de fréquenter les bars, ce lieux de dépravation humaine, où de la musique médiocre et surtout trop forte les empêche de réellement discuter, sans par exemple avoir à brailler, tout en buvant des quantités considérables d’alcool, j’entends de chez moi des bruits de bêtes, des grognements, des cris qui n’ont presque plus rien d’humain et qui de plus viennent mordre sur l’espace privé d’une personne qui par exemple a besoin de calme pour se reposer ou travailler. Ces individus qui passent dans les rues avec leur sono à fond en se croyant intelligents, ne cherchent en fait qu’à compenser, à sortir de tous les conditionnements, de toutes les pressions exercées sur leur vie, sans en prendre conscience, et au final, produisent plus de résultat négatif car en dérangeant les gens en imposant leur musique à par exemple toute une rue, cela provoque à la place de la curiosité un phénomène de résistance et de rejet car une rue n’est pas une salle de concert ou chacun a choisi avec liberté de s’y rendre, ils ne font pas un réel travail de compréhension, puisque par exemple ils consomment des quantités de programmes télévisés sans vraiment comprendre et analyser ce se passe sur l’écran, et que du reste, leur plus grand rêve et de passer eux aussi sur ce petit écran en proposant leur production « culturelle » et en essayant, par la même occasion, de tirer profit du système qu’ils critiquent en gagnant le plus d’argent possible, qui est ce qu’il est, et qui est avant tout une revendication « brute », comme le ferait un représentant syndical qui s’exprime devant un micro. Mais ce n’est pas en proposant dans un langage « atrophié », où l’étendue lexicale se résume à quelques centaines ou au grand maximum quelques milliers de mots en comptant large, que l’on s’y prend de la bonne manière.

C’est la conséquence de notre société de consommation où tout le monde souhaite consommer toujours plus de produits et dont ils finissent par s’apercevoir, soit un mois après les avoir achetés, soit lorsqu’ils arrivent en fin de vie et qu’ils atteignent une extrême lucidité à l’aide de l’expérience, sans même réfléchir un seul instant à qui dirige vraiment tout ça et surtout à qui ça profite réellement, et qui sont aussi les perdants qui « subissent ». L’homme retourne à ses plus bas instincts , en se gavant de tout ce qui est inutile, dont ces bars font partie avec quasiment tous de la musique à un niveau sonore élevé qui fait que parler doucement, normalement, est impossible car l’autre n’entend rien, donc tout le monde hurle pour faire passer le moindre mot, où l’on y trouve pêle-mêle des individus qui proviennent des classes populaires cherchant à comprendre comment fonctionne la société, car ce sont avant tout des jeunes, et aussi des étudiants de la petite et moyenne bourgeoisie, car les jeunes de la grande bourgeoisie ne fréquentent pas ces lieux publics, ils ont par exemple des lieux comme le Rotary et d’autres endroits de la même catégorie, où tous les individus sont un jour piégés à s’y rendre, comme également les boîtes de nuit qui ne sont qu’une manière de fuir quelque chose, en s’illusionnant avec des lumières d’une multitude de formes, mais dans le film « mythique » qui traite précisément de ce sujet et qui est la fameuse « Fièvre du samedi soir » très peu de ces personnes ont vraiment fait attention, c’est passé comme passent les images d’une pellicule à 24 photographies par seconde, que le rôle joué par John Travolta est un simple vendeur en quincaillerie, et encore même pas, c’est juste un employé qui s’occupe à ranger des objets que son patron lui demande de ranger, sans avoir de réel contact comme un vendeur avec les clients, et que jouer « la star » sur une piste de danse en faisant des concours n’est qu’une manière de faire de l’art sans art, une création sans création, et le tout dans la compétition, c’est « l’art » de ceux qui ne connaissent que le nom de cette chose, en un mot c’est l’art des opprimés, de ceux qui sont totalement aliénés, qui doivent faire n’importe quel job dans l’urgence parce qu’ils n’ont par exemple pas « de filet de protection » et se retrouvent sans avoir de possibilité de choix, comme ceux qui n’ont pas droit à certaines protections sociales, dans un système américain qui a ses caractéristiques particulières ou par ailleurs dans la fiction cinématographique le personnage danse d’une manière conformiste et médiocre, un personnage qui n’est jamais allé ou qui n’a jamais pris connaissance de ce qui s’invente dans le domaine de la danse puisqu’à priori ça l’intéresse, et qui se retrouve à jouer la star sur une piste de danse en levant le doigt, alors que des artistes, des « vrais », se produisent sur des scènes et ne « diffusent » pas leurs créations sur toute la planète comme ce fut le cas pour ce film et bien d’autres, qui ne font partie que de la superproduction en masse depuis très longtemps déjà. Les milliardaires ne perdent pas leur temps sur une piste de danse de boîte de nuit, à la rigueur, je dis bien à la rigueur pour les plus originaux, ils feraient un spectacle, avec une scène et tout le matériel qui va avec. La piste de danse est un endroit commun, où chacun improvise comme il peut en cherchant à évacuer tout le stress d’une semaine de travail en n’étant par ailleurs pas « une scène ». La boîte de nuit est aussi un lieu où les gens cherchent à faire des rencontres, mais il y a bien d’autres moyens de faire des rencontres pour ceux qui le souhaitent, et les plus fructueuses se font sur les lieux de travail, d’études ou de loisirs autres qu’une boite de nuit, car hurler pour se faire comprendre et bien d’autres choses du même genre, est quand on y réfléchit bien, une absurdité totale ou beaucoup se font piéger, je me suis moi-même fait piéger comme une souris (et des personnes de 40 ans et plus continuent parfois à fréquenter ces endroits qui par ailleurs commencent à suivre une sorte de dégringolade, qui ne sont faits que pour des personnes de vingt ans maximum encore naïves. Mais à 40 ans, il faut vraiment ne rien avoir dans la cervelle pour aller dans un lieu pareil où les décibels sont à la limite d’endommager les tympans), comme le ferait un spectacle comme celui des Stomp, lequel ne remplit pas en une soirée un stade de 100 000 personnes, et bien d’autres artistes, où des personnes font « de la musique » avec des balais et des lavabos, ce qui nécessite de réfléchir, d’avoir de la réelle créativité sans vouloir s’exprimer juste pour évacuer « le trop plein social ». Faire de la musique avec des lavabos ou jouer du saxophone dans un orchestre de jazz, ce n’est pas faire de la « revendication brute », encore plus brute que ceux qui font de l’art brut en arts plastiques. On entend dans leurs cris tous les reflets de la barbarie du monde capitaliste qu’ils subissent, où tout se vend, même le poison. Ils hurlent en tentant de se soulager de toute cette absurdité dont ils ne prennent pas vraiment conscience. Car s’ils en avaient conscience, ils ne hurleraient pas, ne pousseraient pas des cris parfois stridents, bref, auraient la maîtrise et le contrôle d’eux-mêmes, en sachant que tel acte est la résultante  de telle ou telle chose, mais pour comprendre cela, il faut avoir certaines informations qu’ils ne possèdent pas, où l’on enseigne « les industries culturelles » qui rapportent à certains de grandes sommes d’argent dont par ailleurs parlait déjà Adorno, et où dés l’âge de cinq ans nous sommes presque tous « obligés » de regarder la télévision, avec son nivellement, sa médiocrité, ses chanteurs qui ne réfléchissent pas un seul instant si par exemple le chant est totalement compatible avec la musique, mais ils veulent à tout prix chanter, en appelant ça d’autre part poésie, et au final ils ne font réellement ni de la musique, ni de la poésie, car il y a beaucoup de musiques où il n’y a pas de chants, le jazz et toutes ses variantes, la musique symphonique, une partie de la musique électronique réellement créatrice, et non pas la  musique basée sur des boucles artificielles avec une répétitivité constante, toute cette médiocrité que propose la télévision alors qu’elle aurait la possibilité de proposer des créations moins conventionnelles, en un mot moins commerciales mais qui auraient au départ une très faible audience, ce fameux problème de l’audimat, depuis très longtemps déjà, que j’ai dû aussi un peu subir quand j’étais enfant, avec ces Jaques Martin, ces Drucker et d’autres, en étant payés parfois avec des salaires astronomiques, toutes ces personnes qui « volaient » le temps aux gens qui auraient pu faire autre chose et qui malheureusement étaient attirés par cette lucarne, comme les adolescents d’aujourd’hui sont attirés par TIKTOK, par Instagram et autres, qui utilisent en fait le même procédé que la télévision pour attirer des « clients », au lieu de par exemple, s’ils veulent utiliser Internet pour s’informer, savoir utiliser pleinement toutes les ressources du web en ayant également une très bonne maîtrise de l’informatique dans toutes ses dimensions et connaissant également ses limites, etc, en passant sous silence tout ce qui est réellement créatif, ces chanteurs que je n’écoute plus depuis des lustres et qui à chaque génération sont toujours les mêmes et ressassent la même chose pour la plupart, qui ne son pas inventifs, et puisqu’ils utilisent la chanson n’inventent rien comme les inventions des Pink Floyd qui utilisaient des techniques que personne sur la planète n’avait encore utilisées, comme le magnétophone à bande, certains synthétiseurs, faire chanter un chien, incorporer des bruits de sous-marin ou de caisse-enregistreuse, la liste est très longue sur tout ce qu’ils ont pu inventer. Que proposent les « nouveaux chanteurs », puisqu’ils choisissent de chanter? Rien sinon la même soupe qui se vend à des millions d’exemplaires et qui remplissent également les stades. Quel est le pourcentage de gens qui écoutent par exemple Steve Roach pour parler de ce qui se fait aujourd’hui? Ou qui écoute Edgard Varese dans les « anciennes créations? La télévision, quand elle s’aventure à proposer son fameux répertoire dit « classique » est en fait toujours le même, les Mozart à ne plus savoir qu’en faire, et toute la liste de ces musiciens dont tout le monde a entendu parler. Et le public qui regarde la télé se méprend, il y a aussi des « Johnny Halliday » et autres musiciens du même tonneau dans ce qu’on appelle le classique, des sortes de musique de gare qui sont proposées par les chaînes de télévision et qui proviennent très souvent des mêmes compositeurs. Et à chaque époque c’est la même chose. Voilà ce qu’on nous impose dès les plus jeunes années de notre vie, le tout arrosé de publicités sur la dernière cafetière électrique à 500 euros que certains achèteront au prix parfois de certains efforts, ou du dernier téléphone Apple dont ils ne connaissent pas vraiment les pratiques, mais qu’ils achèteront, pour certains, pour se « distinguer » alors qu’ils se font avoir. Et la petite secrétaire se privera par exemple de certaines choses, pour se payer le dernier téléphone Apple parce que la pression publicitaire est tellement forte qu’elle n’a pas d’autre moyen de se libérer intérieurement qu’en achetant ce produit dont les publicités sont partout. Aussi ceux qui tentent de nous imposer ces chaînes en argumentant de diverses façons sur les vertus de l’audiovisuel, qu’il soit public ou privé, et qui n’est en fait qu’une forme d’autoritarisme pour obliger les individus à regarder cet écran avec ce qui y est proposé et dont il est très difficile de se défaire car les abonnement à Internet utilisent tous les stratagèmes pour obliger les clients à opter pour une ou plusieurs chaînes de télévision, alors que l’élite de la société, ceux qui ont un « très fort capital culturel » ne regardent pas la télévision, car ils ont un autre mode de consommation des produits « réellement » culturels, et non pas de ceux fabriqués en série, dont les artistes savent par ailleurs qu’ils peuvent gagner des sommes très importantes d’argent avec leur marchandise avariée (les joueurs de jazz n’ont par exemple jamais été très riches comme l’ont été de nombreux chanteurs de rock. Ils jouaient dans de petits clubs de quelques centaines de personnes, et ça continue du reste aujourd’hui, et non sur des scènes de 80 000 personnes qui sont le lot de certains artistes dont je ne mentionnerai pas les noms et qui font pour la plupart des choses très médiocres, car si ça plaît à « tout le monde » c’est justement parce qu’ils n’innovent pas. Car en utilisant un minimum de logique, ce qui innove vraiment dérange en même temps, est confronté à des barrières, à des résistances liées à nos habitudes, à la tradition. Proposer par exemple quelques extraits de la production de l’INA-GRM – dont par ailleurs personne ne sait ce qu’est ce « machin », ce « INA-GRM, à la télévision est une impossibilité pratique qu’il ne faut même pas envisager, et cette élite à très fort capital culturel ne crie également pas sur les toits qu’elle ne regarde pas la télévision, elle le cache secrètement en évitant le sujet lorsqu’on tente de lui poser la question en public. Pour le savoir, il faut avoir eu la possibilité d’entrer en contact de quelque manière avec elle, lorsqu’il s’agit d’une fameuse émission « culturelle » il est toujours fait référence à ces auteurs qui sont des « habitués » de la télévision, que par exemple Pierre Bourdieu a très bien analysés, mais aussi Serge Halimi dans son petit opuscule intitulé « Les nouveaux chiens de garde », etc, laquelle télévision, possède en outre, par la structure même du média, ses limites, où on survole tout comme un avion à très haute altitude à l’aide d’un déferlement d’images avec la stratégie pour qu’elles soient le plus spectaculaire et en réduisant le langage naturel au strict minimum, et où d’autre part on diffuse un même message à des millions de personnes, alors qu’il y a plein de choses à voir, à écouter, à lire, et que cette vie « culturelle » dont traitent ces fameuses émissions, comme jadis l’émission « Bouillon de culture » qui n’était en fait qu’un pâle vernis médiocre de ce que font les gens à l’université depuis très longtemps, où Bernard Pivot distribuait au peuple, à ceux qui n’avaient par exemple pas fait beaucoup d’études, une image de la culture et de ses fameux intellectuels savamment triés, alors qu’il est bien préférable, si l’on n’est pas démagogue, de généraliser et de massifier l’enseignement tout en réduisant les inégalités économiques, dans notre société qui reste la plus élitiste d’Europe, où dix romanciers en même temps étaient invités, comme si l’on pouvait parler en une heure de dix « romans » et donner  réellement la parole à ces personnes qui n’étaient d’autre part là que pour la promotion de leur livre en ayant l’opportunité de s’adresser à des millions de personnes à la fois, comme un marchand de poisson vante sa morue sur un marché. Ces industries qui fabriquent des séries télévisées en masse, avec toujours plus d’épisodes qu’ils appellent « saisons », ce débordement du capitalisme ayant atteint un sommet encore jamais inégalé, avec ces Buffy et les vampires et toutes ces séries que presque tout le monde connaît sauf peut-être une frange de l’élite à très fort capital culturel qui ne s’attarde pas sur ce genre de « choses », qui se comptent pas centaines et qui ne sont pas réellement du cinéma, qui s’étirent sans fin dans le rien, dans l’insignifiant, en faisant « des micro variations », pour justement constituer ce qu’on appelle « une série ». Tout le non-sens de notre monde se retrouve dans ces cris et ces grognements lancés par ces personnes. Et je suis donc obligé de fermer la fenêtre pour préserver ma zone de vie personnelle et privée dont chacun a droit. Et je refuse d’autre part de payer les abonnements à des chaînes de télévision où les gens qui y travaillent sont en outre très largement payés. Je ne veux donc pas participer à l’argent qu’ils gagnent, c’est mon choix et chercher à me l’imposer fait partie des prémices d’une certaine forme d’autoritarisme.

Drôle d’époque

Le 21e siècle est un curieux mélange de nombreuses choses. S’entrecroisent les livres de la culture la plus ancienne et les revues qui traitent des dernières découvertes faites dans le domaine de l’électronique. Ce siècle qui utilise toutes les ressources de l’invention de l’électricité est bien différent des autres siècles. Ce qui le caractérise le plus est son développement de l’informatique. Certains écrivains ont beau faire semblant de faire comme si toutes ces inventions n’existaient pas, il n’en demeure pas moins qu’ils les utilisent au quotidien. Ainsi nous lisons un livre d’Aristote, écrit il y a plus de 2000 ans, acheté sur une librairie en ligne grâce à Internet. Ce n’est plus la même chose qu’au 19e siècle. L’électricité est passée par là et cela modifie tout. Qu’il le veuille ou non, l’écrivain ne peut plus faire comme s’il s’éclairait à la bougie ou à la lampe à huile. Le contexte n’est plus le même. Et dans ce 21e siècle, l’informatique a radicalement tout changé, comme lorsque Marshall Mcluhan, dans son livre intitulé La galaxie Gutenberg, avait analysé les différents médias à son époque. Il y a un changement de paradigme avec l’utilisation massive de l’électronique. Il n’y a par exemple quasiment plus de correspondances par lettres postales. Ceux qui s’échangent des lettres sont devenus les derniers dinosaures avant l’extinction finale. Car le courrier postal est très long à acheminer et a un coût dans l’ensemble plus élevé que le courrier électronique et reste plus polluant car fabriquer du papier nécessite toute une chimie particulière qui consomme une grande quantité d’eau en plus du fait qu’il faut bien entendu couper des arbres. Il est donc préférable d’utiliser le papier pour les emballages et l’impression de livres.

Comme à toutes les époques, nous faisons beaucoup d’erreurs, nous tâtonnons, sans savoir où nous allons. Malgré tout on continue à enseigner l’écriture car il semble que celle-ci possède des qualités et une grande utilité pour le développement d’un individu. Écrire sur un simple bout de papier semble être encore de la « haute technologie ». Notre époque est cependant pleine de contradictions, et l’on ne sait pas ce qu’il faut changer, faire évoluer, et ce qu’il faut conserver. Tout devient de plus en plus complexe et nous devons assimiler de plus en plus de disciplines, alors que le temps qui nous est imparti est toujours le même, c’est-à-dire les vingt-quatre heures d’une journée. On se demande si nous n’allons pas un peu trop vite. Car comment déterminer ce qui est essentiel et ce qui est superflu, voire nuisible ? Ce n’est pas une tâche aisée.

Le philosophe du 21e doit aussi avoir quelques connaissances de base dans diverses techniques, comme par exemple l’électronique (qui est présente partout dans la vie quotidienne), ainsi qu’en informatique, laquelle est utilisée pour toute la gestion de la société ainsi que pour une quantité considérable d’autres activités. Il doit par conséquent avoir un minimum de connaissances sur la façon sont faits les programmes, lesquels influencent toutes nos décisions, notre manière de travailler, de nous nourrir, bref, toutes les choses qui constituent notre vie quotidienne. Ces petites puces électroniques, qui sont moins grandes que la taille d’une main, ont un impact considérable sur toute l’activité humaine. Le tracteur qui permet de labourer un champs pour au final produire ce qui permet de nous nourrir, contient de nos jours des technologies électriques, lesquels technologies électriques ont été fabriquées à partir d’autres technologies comme celle de l’informatique dont je parlais plus haut. La liste ainsi s’allonge sur tout ce qu’il faut connaître. Car il y a plus accumulation que substitution des techniques et des connaissances. Il s’opère une sorte d’empilement où les choses du passé continuent à exister avec celles du présent. Ainsi l’éolienne actuelle qui produit de l’électricité n’est en fait, dans son principe de base, que l’ancien moulin à vent de jadis. Il n’y a donc pas substitution. Et tout vient ainsi s’accumuler dans une complexité toujours plus grande. On voudrait réduire cette complexité croissante en remplaçant certaines choses par d’autres, mais on finit par s’apercevoir qu’il y a en fait juxtaposition plus qu’une simplification. Pour ceux qui étudient le très lointain passé, comme par exemple les égyptologues ou les archéologues, ils utilisent pour mener à bien leurs travaux des techniques basées sur la science actuelle. Et plus cette science et ces techniques seront développées, et plus ils seront en mesure de mieux comprendre ce passé. Ainsi le présent et les projets futures, permettent en même temps d’explorer mieux le passé. Par conséquent, mal connaître le fonctionnement et les outils du présent revient également à mal, ou moins bien connaître le passé pour ceux qui se consacrent à cette tâche. Il y a un empilement des connaissances et des pratiques dans un mécanisme de rétroaction. Et au final, on finit par s’apercevoir qu’il y a plus de nouvelles questions que de réponses.

Pour reprendre le phénomène de l’accumulation, on peut par exemple prendre l’exemple de la bicyclette. L’invention de l’automobile jusqu’à son évolution actuelle n’a pas fait disparaître la bicyclette. Et nous nous retrouvons aujourd’hui avec un nombre croissant de modes de transport dans une accumulation toujours plus grande de possibilités, sans procéder forcément à une substitution de l’une par l’autre. Il en est de même avec les disciplines où il n’y a pas forcément substitutions des unes par les autres. Il faut au contraire en connaître de toujours plus nombreuses car dans la démarche inverse on risque d’être de plus en plus aliéné en maîtrisant moins bien nos choix et nos réalisations que nous opérons au quotidien. C’est aussi pour cette raison qu’il est très difficile de savoir où nous allons. Plus on se spécialise en restreignant notre champs d’investigation et moins, paradoxalement, on est apte à comprendre la réalité du monde dans lequel nous participons.

(A suivre)

Le locataire et les deux propriétaires associés

Herbert Fringant devait se rendre à un cours sur l’histoire de l’art à l’université. Bien qu’étant étudiant en littérature, il avait choisi de suivre ce cours en auditeur libre. Il estimait que les disciplines étaient bien trop spécialisées et assistait de ce fait à de nombreux cours en dehors de son cursus de lettres.

Il habitait un petit studio qu’il louait à deux propriétaires associés iraniens. L’un d’eux était ingénieur et ils avaient entrepris d’acheter ce logement pour le louer, en tirant donc un petit bénéfice de cette mise en location. Dans la capitale, l’immobilier demeurait un secteur très lucratif où, comme au 19e siècle, des propriétaires arrondissaient leurs revenus en louant des appartements. Pour certains propriétaires c’était même devenu une activité principale de commerce de la location sur des durées courtes. Ces locations essentiellement réservées aux touristes avaient été vivement critiquées par le gouvernement qui considérait que cela portait préjudice à ceux qui cherchaient un logement plus stable, s’étendant dans la durée.

Le loyer que payait Herbert restait dans la moyenne des prix pratiqués pour un studio. En tant qu’étudiant il bénéficiait des allocations logement dont le montant s’élevait à la moitié du prix du loyer. Il était de ce fait obligé d’avoir un job à temps partiel pour subvenir à ses besoins. Il avait trouvé un travail d’aide documentaliste dans un lycée proche de chez lui. Dans l’établissement les élèves venaient plus en salle de lecture pour s’occuper avec leur ordinateur portable que pour lire des livres. Ils préparaient également des travaux écrits demandés par leurs professeurs. Quelques uns seulement empruntaient des livres pour les lire chez eux. Le prêt à domicile avait surtout du succès avec les élèves qui avaient le moins de ressources économiques, car les livres demeuraient dans l’ensemble assez chers. La bibliothèque était une façon de rendre plus facilement accessible la lecture aux élèves et de leur donner également des idées en découvrant des auteurs. Car lire deux cent ou trois cent pages d’un livre à partir d’un document par exemple PDF ou ebook d’un ordinateur était quasiment impossible tellement cela produisait une fatigue visuelle et aussi physique, car on pouvait lire un livre en étant par exemple dans une position allongé qui est moins fatigante que celle d’être assis devant un ordinateur portable ou fixe. Et de plus, très peu de textes contemporains étaient disponibles au format électronique, qui d’autre part n’étaient pas libres de droits en comportant des DRM.

Bien que les tâches qu’il avait à faire ne fussent pas très passionnantes, comme celles de ranger les ouvrages ou de s’occuper du prêt à domicile, il se sentait néanmoins utile et son activité avait pour lui du sens. Il préférait faire ce job plutôt que d’être vendeur à temps partiel dans une boutique quelconque. Le seul domaine commercial qui l’intéressait était celui du livre. Parmi ses formations, il en avait suivi une de documentaliste et s’était donc mis à chercher un emploi dans les bibliothèques. Son salaire horaire équivalent au SMIC lui permettait tout juste de régler la part du loyer non financée par les allocations logement ainsi que l’électricité. Il arrivait à peine à boucler les fins de mois en ayant tout de même suffisamment de temps libre pour suivre les cours à l’université.

*

Depuis quelques mois, Herbert avait accumulé des dettes de loyer. Il n’arrivait plus à tout payer et rognait de ce fait sur le loyer car les autres dépenses, comme la nourriture et l’électricité restaient vitales. Les deux propriétaires, qui étaient des associés de nationalité iranienne, ne tardèrent pas à se présenter chez lui pour réclamer la somme manquante.

Ils lui rendirent visite un mercredi après-midi, un jour où il ne travaillait pas à la bibliothèque. Habillés tous les deux en costume, dont l’un, de taille plus petite que l’autre associé qui était mince et très grand, avec un ensemble trois pièces avec un gilet assorti, ils semblaient sortir d’un roman du 19e siècle représentant la bourgeoisie cupide qui s’enrichissait en exploitant le prolétariat. Ils avaient l’air menaçant. L’homme de plus petite taille avait pris la parole en faisant des gestes presque identiques à ceux de certains voyous qui n’hésitaient pas à en venir rapidement à la violence physique.

Herbert leur expliqua qu’il avait des difficultés financières et qu’il leur réglerait la dette en plusieurs mensualités, car il ne pouvait pas la payer en une seule fois. L’homme au costume trois pièces rétorqua en élevant voix et avec un très fort accent iranien qu’il voulait être payé tout de suite en lui faisant un chèque. Herbert dit une nouvelle fois qu’il n’était pas en mesure de payer en une fois et que faire un chèque sans provision l’amènerait à avoir des problèmes avec sa banque.

Lorsqu’il eut fini sa phrase, l’associé au costume trois pièces s’avança brusquement vers lui et jeta ses mains sur son cou en l’étranglant. Herbert se libéra de son emprise d’un geste vif et lui lança :

_ Non mais ça va pas la tête !

La situation avait pris une tournure à laquelle il ne s’attendait pas. Il ne savait plus quoi faire et, instinctivement, recula de quelques pas. Puis il reprit la parole :

_ Dès que j’aurai mon salaire, je vous paierai une partie de ce que je vous dois en vous envoyant un chèque. Je ne peux pas faire mieux pour le moment.

Il y eut un silence, puis l’homme au costume trois pièces répondit :

_ J’attends donc votre chèque dans les plus brefs délais. Si vous ne payez pas, vous quitterez les lieux, j’espère que c’est clair !

_ A la fin du mois, lorsque j’aurai mon salaire, je vous enverrai un chèque comme je vous l’ai dit, insista Herbert.

Les deux hommes semblèrent satisfaits de cette réponse et quittèrent le studio. Herbert était inquiet. Ces individus se comportaient comme des mafieux en n’hésitant pas à utiliser les menaces physiques. Il restait perplexe et c’est avec soulagement qu’il referma la porte d’entrée une fois qu’ils furent dans l’escalier.

Lorsque Herbert perçut son salaire en fin de mois, il envoya un chèque au propriétaire. Comme il l’avait dit, il régla, en plus du loyer en cours, cent euros qui permettaient d’alléger un peu sa dette. Ce n’était pas beaucoup, mais il se disait que cela le rassurerait, tout en montrant également sa bonne foi.

Le travail à la bibliothèque se passait bien. Les élèves avaient la fâcheuse tendance à utiliser avec excès leur ordinateur portable, en ne prenant presque plus de notes manuscrites. Par ailleurs ils ne savaient pas non plus comment étaient construits les logiciels qu’ils utilisaient et pensaient cependant que rédiger des textes sur leur ordinateur était bien plus pratique, en ne voyant pas la liberté d’expression qu’offrait une feuille de papier dans certains cas, et qu’il ne fallait pas remplacer exclusivement l’un par l’autre mais utiliser les deux avec leurs potentialités respectives. Chaque époque contenait ses contradictions et l’informatique n’avait toutefois pas fait disparaître les artistes peintres qui réalisaient toujours leurs œuvres sur des toiles en plus des images de synthèse que produisaient d’autres artistes.

*

Deux mois plus tard, Herbert eut un congé de quinze jours. Cela correspondait à la période des vacances scolaires. Il avait décidé d’aller rendre visite à une tante qui habitait dans le sud de la France et qui l’invitait à séjourner chez elle. C’était également l’occasion de revoir deux cousins avec qui il avait passé une partie de sa petite enfance.

*

Herbert fut de retour quinze jours plus tard dans la capitale. Son séjour chez sa tante avait été agréable, et il s’apprêtait à présent à regagner son domicile en remontant la rue qui menait à son studio. Arrivé dans le hall de l’immeuble, il consulta son courrier. La boite aux lettres regorgeait de prospectus et il constata qu’il n’y avait pas de lettres. Il monta ensuite l’escalier jusqu’au premier étage et introduisit la clef pour ouvrir la porte. A sa grande surprise, il s’aperçut que la serrure n’acceptait pas la clef. Il eut un moment d’hésitation puis il se rendit à l’évidence : La serrure avait été changée. Et cela provenait obligatoirement de son propriétaire. Il réfléchit et prit la décision de téléphoner à ses parents. Sa mère décrocha le téléphone et lui expliqua que le propriétaire de son studio avait mis toutes ses affaires au garde-meuble et qu’il était à présent sans logement. Herbert dit à sa mère qu’il allait immédiatement passer la voir. Il lui fallait donc trouver une autre location et ne savait pas comment il allait s’y prendre. Ces propriétaires n’avaient pas respecté les lois concernant la location et la façon d’y mettre un terme. Car normalement, la procédure était assez longue pour aboutir à une expulsion dans le cas où un locataire ne pouvait pas payer son loyer par divers moyens. Cependant Herbert était épuisé et n’avait plus la force de déposer une plainte. Ces deux individus, qui s’étaient rendus au domicile de ses parents et aussi chez l’un de ses oncles avec un comportement d’une grande violence, lui avaient donné à réfléchir sur la réalité de la vie. Il avait par exemple compris pourquoi, dans certains cas, une guerre est inévitable face à un « ennemi » qui cherche à imposer sa force et à anéantir les autres. Et cette expérience qu’il venait de vivre, comme d’autres expériences qu’il eut par la suite, avait été plus pédagogique que n’importe quel cours d’histoire et de géographie, sur par exemple le comportement des européens sur les diverses colonisations de la planète en employant la force et la violence, en tuant des gens, ou sur la révolution française lorsqu’une partie du peuple mourrait de faim, bref, sur tous les conflits que l’histoire présentait, où la vie n’était qu’une succession de guerres interminables en s’étripant avec une cruauté sans limites, où les livres d’histoire ruisselaient de sang à effrayer un enfant de dix ans qui ne comprend pas ce que font tous ces hommes qui se versent de l’huile brûlante par catapulte qui produit une douleur intense, qui s’écartèlent avec des machines diaboliques, qui s’envoient des décharges électriques, qui se coupent la tête, qui s’envoient de l’acide sur le visage, qui se découpent au scalpel, qui s’envoient des gaz mortels qui produisent des douleurs extrêmes, qui se brûlent vivants dans une souffrance atroce, qui perdent des bras, des jambes, également dans une extrême douleur et qui font mille horreurs qui dépassent l’entendement et qu’ils trouvent tout à fait normales tout en buvant une tasse de thé. Rien de tel que la mise en danger de la survie, avec cet instinct de conservation qui nous pousse vers la prolongation de la vie jusqu’à son terme naturel final tant que nous ne souffrons pas trop, pour comprendre beaucoup de choses, et notamment qu’il est très difficile d’éviter les conflits à partir du moment où des hommes considèrent que la vie d’autres hommes est sans importance. Car la frontière qui sépare la vie de la mort est un critère primordial. C’est une sorte de concept universel qui est la clef de tout. Tant que l’on fait certaines choses sans trop mettre en danger la vie d’autrui, tout reste négociable. Mais lorsque la vie de tout homme est mise en danger par des moyens divers, alors là nous touchons à un problème insoluble, comme les indiens d’Amérique du nord qui ont été tués en masse pour ne prendre que cet exemple, et qui n’ont pas pu se défendre, au lieu de chercher à trouver un terrain d’entente ou chacun pouvait apporter à l’autre quelque chose de complémentaire. La diplomatie avait ses limites lorsque plus personne ne voulait commercer mais souhaitait tout simplement piller, s’accaparer et exterminer. Car il fallait pour cela que tous les humains se disent en même temps que la vie d’autrui avait une importance. Ainsi les femmes étaient-elles plus dans la bonne direction, dans la bonne voie pour comprendre cela, car elles connaissaient mieux que les hommes la valeur de la vie et étaient moins meurtrières qu’eux, même s’il y avait des femmes soldats comme les femmes israéliennes de nos jours et dans d’autres pays, des femmes policières, des femmes qui tuaient leurs enfants, etc. Mais statistiquement elles étaient moins nombreuses à avoir envie de faire le choix, justifié ou non, de mettre un terme à la vie d’une autre personne. Elles respectaient plus tout ce qui était vivant. Même s’il avait existé des femmes SS, elles restaient tout de même moins nombreuses à avoir ce type de comportement, c’est-à-dire à penser que la vie d’autrui était sans aucune importance. Même dans l’histoire de la Grèce antique, puisque tout l’occident se référait à cette nation, les femmes étaient moins meurtrières que les hommes, et celles qui enlevaient la vie d’autrui, par jalousie et pour diverses raisons, respectaient encore une fois de plus la vie d’autrui. J’imagine mal un Napoléon  femme, un Franco femme, un Mussolini femme, un Staline femme, bref, il suffit de regarder ceux qui ont supprimé la vie du plus grand nombre d’humains sur la planète, ils étaient tous des hommes. Et bien que connaissant mal l’histoire de certaines très anciennes femmes égyptiennes qui avaient un grand pouvoir, il me semble qu’aucune n’a pris la décision de tuer en masse, comme par exemple Staline, Hitler, etc, d’autres humains. Pour tuer une personne, il faut avoir un état d’esprit bien particulier, même si la mort est « propre » comme certains disent, en ne provocant pas trop de souffrance chez celui qui meurt comme une simple balle de pistolet à la place d’un lance-flamme ou autre jouet de la mort. Et Herbert, qui avait effectué une courte partie de son service militaire très jeune à dix huit ans en Allemagne, c’est-à-dire durant trois mois avant d’être réformé pour tentative de suicide – car c’était la seule façon qu’il avait trouvé pour échapper à ces individus complètement fous qui lui apprenaient à tuer en faisant de l’humour ou comme on faisait une partie de cartes ou de jeux d’échecs – avait compris certaines choses avec l’expérience qu’il venait de traverser.

© Serge Muscat – juin 2025.

Vous n’avez pas mis les dates sur votre CV!

Payé à l’heure, le salarié est l’esclave du temps. On lui vole ce temps si précieux, ce temps qui devient la propriété du patron. Le travailleur voudrait faire voler en éclats toutes les pointeuses du monde qui mesurent le temps d’une vie. Vie perdue dans un chronographe, où est déjà loin le temps discontinu de l’enfance passée à jouer.

On dit d’une arme qu’on la « pointe » sur une cible. Pointer est donc quelque chose de meurtrier. C’est le tir du temps dans le cœur de l’âme. La pointeuse fait des trous dans l’esprit des hommes. Et ce temps ne s’arrête pas là ; il nous poursuit partout, jusque dans nos rêves.

Mettre les dates sur un curriculum vitae, c’est encore être l’esclave du temps, être poursuivi par ce temps que tout le monde veut acheter. On veut vous voler votre temps, votre vie, ne rien laisser au hasard dans le grand planning universel. Le cosmos est une horloge qui compte sans fin le temps sur ses grandes aiguilles étoilées.

Sur le CV doit être représentée la suite chronologique de ce qui « devait » advenir. Comme si tout était prévu d’avance par on ne sait quel déterminisme. Le temps aurait donc une logique ? Le recruteur est en quête de sens. Car selon lui tout s’ordonne par le temps. Il en est tellement persuadé qu’il construit des courbes et des graphes pour s’y retrouver dans ce temps dont personne ne sait ce qu’il est exactement. Il a pour se rassurer une grosse montre au poignet qui indique les dixièmes et les centièmes de seconde. Pour lui, il n’y a aucun doute : sa montre dit la vérité. Avec ses soixante minutes il s’imagine régner sur son entreprise. Il sait cependant que tant d’heures réalisées par les salariés lui rapporteront telle somme d’argent avec cette fameuse valeur ajoutée produite par le temps des travailleurs.

Serge n’a pas mis de dates sur son CV. Car il n’a jamais su avec précision quelle heure il était ni quel âge il avait. Il se doute que quelque chose se passe que certains appellent « temps » mais il ne veut pas en savoir plus sur ce sujet. Il laisse couler les jours au fil du lever du soleil et se couche lorsque les étoiles brillent dans l’obscurité du ciel. Il mettra quelques dates erronées sur son curriculum vitae qui ira même ainsi à la corbeille étant donné qu’il ne rentre pas dans la fameuse « norme » décidée par le recruteur.

Mais la nuit tombe et il faut aller se coucher. Peut-être demain Serge se réveillera-t-il avec l’espoir d’entamer une meilleure journée


J’ai rédigé ce texte mélangeant réalité vécue et fiction pour montrer diverses choses. Je soulève la question du conformisme dans le monde de l’entreprise, où par ailleurs on apprend aux personnes à rédiger un CV, donc à se conformer à une certaine présentation de son parcours pour se conformer aux attentes de telle ou telle personnes. Or, la « bonne présentation » n’existe pas, toute « bonne présentation » est totalement arbitraire et ne correspond en fait qu’à une vision particulière que chacun a de la connaissance au sens large, et donc de ce qui prime et de qui est superflu J’ai fait intervenir les « dates » pour montrer que la question du temps, de la chronologie, du sens que l’on donne à la succession des événements est en fait arbitraire. D’autre part, la « dictature »  du temps mort , du « trou dans le CV », donc de l’obligation de n’avoir pas eu de cessation d’activité, cette cessation, ce trou dans le parcours étant considéré comme une perte de compétence et de plus comme un « trou forcément voulu » (ce qui est vrai dans certains cas mais pas dans d’autres), alors que l’individu est confronté à une multitude d’aléas liés à la vie économique et sociale, etc, que ces trous que l’on doit cacher, car il y a un rapport de force et de pouvoir entre le recruteur et le recruté et que c’est le recruteur qui impose sa vision du monde au recruté, où en fait chacun utilise une stratégie différente pour obtenir la même chose, c’est-à-dire une quantité d’argent (le salaire pour le salarié et les bénéfices pour l’entreprise), bref, j’ai voulu montrer le monde de l’entreprise commerciale, où les recrutés sont obligés de se conformer à une certaine vision de l’économie et de la  société pour pouvoir survivre, où d’autre part le recruteur a un pouvoir total sur le recruté, sur sa vie privée, où l’on doit indiquer dans le CV ses loisirs et une multitude de choses qui sont en fait « une atteinte à la liberté de chacun ». La composition d’un CV qui doit tenir « sur une page », ou deux au maximum,  sinon il va à la corbeille. Comment en outre résumer une vie sur « une page »? Démarche totalement insensée à laquelle les recrutés doivent cependant se plier. Je vous laisse réfléchir sur ces questions. Car on pourrait aussi parler de la  succession dans le temps qui aurait « une logique » dans les différentes formations que suit un individu. Il n’y a pas de logique universelle, il n’y a que la logique du recruteur qui pense que certaines choses sont utiles pour le développement de son entreprise, alors que le recruté pense quant à lui que certaines autres choses sont utiles pour l’épanouissement de sa vie personnelle, comme par exemple avoir du temps libre, et qui suit une « stratégie épistémologique » bien souvent différente de celle du recruteur dont l’objectif premier est la croissance rapide des bénéfices de son entreprise. Quant à savoir si l’activité qu’il propose à ses « clients » est réellement utile ou nuisible, c’est au marché d’en décider. Des travailleurs se retrouvent parfois à faire n’importe quel travail, dans des activités que par ailleurs ils détestent, juste pour avoir un salaire.

 

Lentement le soleil se couche

Au fil des jours, lentement, très lentement, je sens le temps se diffuser en moi, comme un liquide imprégnant progressivement un tissu. Je perds l’attirance envers les gens et le monde tout entier, tout en commençant à comprendre que la vie n’était qu’un mirage, que toutes les lumières ne brillaient que pour mieux tromper les papillons de nuit.

Ainsi il n’y avait rien à découvrir derrière les ampoules électriques colorées. Seuls apparaissent mes parents morts dont je me souviens avec difficulté de leurs visages. Quand ils étaient encore jeunes, qu’ils riaient, lorsque je suivais ma mère partout et que mon frère, légèrement plus âgé que moi, n’avait pas encore acquis cette expérience de la vie qui est source de malheur et de désenchantement. Nous jouions aux petites voitures en suivant un parcours dans l’appartement, il me faisait des séances de projection d’images qu’il commentait en imitant des personnages. Je m’aperçois à présent que mon frère, ma mère, mon père et moi étions dans la même illusion concernant l’existence. La seule différence, et qui demeure très mince, c’est que je témoigne de leur présence par ces quelques lignes.

Peu à peu la force me quitte, tout en voyant partout des personnes disparaître. Mes anciens professeurs, des amis, ils sont tous aspirés dans le grand entonnoir du temps qui n’en n’épargne aucun. Et de les voir transformés en spectres un à un me fait chaque jour un peu plus souffrir. C’est une partie de ma mémoire qui s’en va, dans le grand kaléidoscope de mon esprit. Presque une dizaine d’enseignants dont je suivais les cours dans un passé pas très éloigné ont disparu et d’autres sont en train de perdre le peu d’énergie qu’il leur reste. Je n’ose plus consulter leurs livres comme on craint d’ouvrir un cercueil. Ça prend des allures de cauchemars auxquels j’ai du mal à croire. Je n’arrive plus à trouver le sommeil et je passe des nuits entières sans dormir. Même la fameuse sagesse dont parlaient les anciens demeurait une illusion comme les autres. Toute l’existence n’était en fait que décors en carton-pâte qui se déchirait progressivement jusqu’à tomber en poussière.

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Je n’ai pas réussi à dormir, pas même à m’allonger tellement je me sens préoccupé par ce temps qui passe comme la lame d’un rasoir sur une joue, tout en pouvant à chaque instant dévier pour s’enfoncer dans la chair molle. Je n’ai plus la même énergie qu’autrefois et cette baisse de ma vivacité motrice déclenche de nombreux questionnements. Je ne sais pas avec certitude ce qui se passe en moi, il me semble cependant que je suis écartelé entre la mort de très nombreuses personnes et ma propre mort, avec entre les deux une sorte de balancier temporel qui oscille de l’un à l’autre sans que rien ne puisse être modifié. Je suis tout autant effrayé par la mort de ces personnes que par ma finitude. Et les deux réunies provoquent une tempête dans tout mon être. Ainsi il me semble un peu avoir fait un tour complet sur les éventuelles découvertes encore à faire et ce qui relève d’une nouvelle illusion en ne voulant pas admettre que je suis arrivé au terminus des mirages, comme il existait un terminus dans le monde ferroviaire.

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La vie est aussi courte qu’un flash d’appareil photo lancé dans les années-lumières de l’univers Et pourtant j’ai pu découvrir durant cette durée dérisoire quelques éléments de cette incompréhensible aventure humaine, où les hommes meurent à chaque instant prématurément, où ils se font la guerre pour des morceaux de territoire et inventent également des techniques ainsi que ce qu’ils appellent « des cultures ». Et ils se font aussi la guerre pour ces techniques et ces cultures.

Mon père, qui était loin d’être parfait, comme tous les humains sur cette planète, est mort à soixante-cinq ans. Je ne sais pas si je vais vivre la même durée que lui. Si je suis ici vivant pour regarder cette boule bleue qu’on appelle la Terre, c’est grâce à lui puisqu’il m’a engendré et que je ne suis pas venu au monde par génération spontanée, comme du reste tout le vivant. Il était ce qu’il était, c’est à dire franchement de droite, il méprisait les syndicats, il dominait ma mère en ne lui laissant aucun espace de liberté, il se comportait avec violence à l’égard de mon frère et moi lorsque nous étions enfants, bref, je ne veux pas le juger car j’ai eu aussi de merveilleux moments en sa compagnie. Même si je demeurais rarement d’accord avec lui, il n’en demeure pas moins que si je suis ici en vie c’est grâce ou à cause de lui, je ne suis pas né d’un lapin, d’une poule ou d’un éléphant. J’essaie de vivre comme je peux et selon mes souhaits. J’approche de l’âge où il est mort et j’arrive à le comprendre un peu mieux. Souvent je pense à lui et je me dis qu’après tout il avait lui aussi le droit de faire des choix, comme moi j’ai fait des choix avec une certaine liberté et qui ne correspondaient pas aux siens.

J’ai pu découvrir durant cette minuscule portion de temps qu’est l’espace d’une vie l’absurdité de tout ce qui nous entoure et que l’homme cherche désespéramment à expliquer d’une manière malheureusement bien souvent autoritaire. Les hommes se font également la guerre pour des théories tout autant que pour des morceaux de territoire. Et personne ne semble échapper à ce fait, pas même moi qui suis aussi inclus dans le monde des humains. J’essaie souvent de prendre du recul, sans savoir si je réussis à être « à la bonne distance ». Mais dans tous les cas lorsque je vois un homme ou femme confronté à la mort, je n’ai plus alors aucune hypothèse, aucune théorie et je sombre dans le doute complet pour aboutir à cette absurdité qui m’accompagne depuis de très nombreuses années. La mort ne produit aucune réponse. Ceux qui sont morts invitent toujours à ceux qui sont vivants à se poser des questions dont les réponses sont sans consistance, car être confronté à la mort d’une personne est la situation ultime que l’homme cherche à comprendre depuis toujours.

© Serge Muscat – Mars 2025.

L’explosion de l’enseignement à distance avec le développement du numérique

L’enseignement à distance existe depuis très longtemps. Selon Wikipédia, l’enseignement à distance remonte à 1840, fondé en Angleterre par Isaac Pitman. Puis, progressivement, il s’est développé, avec pour unique outil de médiation les services postaux. Puis l’invention de l’électronique, avec par exemple la radio et ensuite la télévision, permit une communication en temps réel tout en y ajoutant l’audio et le visuel dans la transmission d’informations, en plus des informations manuscrites et imprimées. Et c’est avec la réalisation de l’électronique numérique (qui auparavant était intégralement analogique) et du développement des réseaux (dont Internet est le plus abouti, même si avant Internet il y avait le réseau téléphonique et la communication par ondes radio) que se fit jour un enseignement à distance très répandu. Nous en arrivons donc à aujourd’hui.

De nos jours un très grand nombres d’universités proposent des formations à distance et de très nombreuses recherches sont menées en informatique et en sciences de l’éducation pour améliorer ce mode d’enseignement. Même les cours en présentiel font de plus en plus appel à des compléments en ligne par le biais de l’informatique. L’électronique numérique est une révolution aussi importante que ne le fut l’invention de l’imprimerie (laquelle imprimerie est également de nos jours numérique).

Après ce bref historique, nous trouvons dans tous les pays du monde un enseignement à distance basé sur l’ordinateur personnel et le réseau Internet (auquel on accède soit par la fibre optique soit par ondes radio). En ne regardant que la France, on trouve un portail où sont rassemblées les formations à distance des différentes universités. Ce portail, qu’il reste à améliorer, héberge la FIED qui a été créée en 1987. Vous pourrez le consulter et y trouver, si toutefois il est mis régulièrement à jour, les formations disponibles en EAD. Cela évolue régulièrement, au fil des innovations informatiques et pédagogiques. Il y a également la question du financement. Car l’infrastructure technique, comme le matériel informatique avec les logiciels, les informaticiens pour s’occuper des serveurs, etc. Ce mode d’enseignement est surtout utilisé pour la formation continue, afin d’acquérir de nouvelles compétences tout au long de la vie, car nous vivons dans un monde qui change vite et où chacun doit posséder une pluridisciplinarité de plus en plus grande qui nécessite une approche de la complexité, comme en parle Edgard Morin avec son concept de « pensée complexe ». Toutes les disciplines ne sont pas encore enseignées en EAD, mais cela progresse tout de même. Cela nécessite de nouvelles approches pédagogiques et aussi une connaissance généralisée à tous les enseignants, y compris ceux des disciplines littéraires qui ne connaissent que très peu de choses en sciences dures et informatiques, l’informatique ayant comme substrat les sciences dures (c’est aussi pour cette raison que ceux qui étudient les sciences dures sont beaucoup plus à l’aise avec l’informatique que ceux qui ont fait un parcours « exclusivement littéraire » en connaissant à peine les lois de base de l’électricité et l’algèbre de Boole qui participent au fonctionnement d’un ordinateur, l’idéal étant de connaître aussi bien cela que les théories littéraires pour ceux qui s’occupent de littérature et de philosophie (la philosophie étant une variante du discours littéraire, ces deux disciplines étant la plupart du temps regroupées au sein d’une même UFR). Nous voyons donc bien vite les difficultés que cela soulève étant donné la spécialisation actuelle des formations. Je pourrais presque dire que c’est à chacun de ne pas aller dans la direction épistémologique actuellement proposée et de s’inspirer de certains personnages de l’histoire comme par exemple Léonard de Vinci.  Pour réellement « créer », il faut parfois être un peu rebelle et sortir de la pensée conservatrice et fixiste, comme l’avait fait Maria Montessori à son époque en inventant de nouvelles formes d’éducation, et également Celestin Freinet. En ce XXIe siècle, il ne suffit plus d’avoir « une tête bien faite », il faut surtout avoir une tête bien pleine et surtout remplie de connaissances très variées, et donc en ne respectant pas l’idéologie dominante qui énonce qu’un individu ne peut pas « faire  plusieurs choses et étudier plusieurs disciplines à la fois ». Car, par exemple, savoir faire plusieurs choses permet d’opérer un roulement dans une entreprise, ce qui fait que le pouvoir de décision est moins entre les mains de quelques uns, c’est-à-dire le petit noyau constitué par le PDG et les différents directeurs. Pour en revenir à l’EAD, c’est donc une formule très utile parmi d’autres qui pourra vous permettre de parfaire votre pluridisciplinarité, si toutefois le système d’EAD est bien conçu.

Je vous souhaite donc un bon travail et des loisirs studieux par le biais de l’EAD. Et je rêve d’un monde où toutes les universités pratiqueraient l’EAD, et ceci dans l’intégralité des disciplines, ce qui permettrait une diffusion massive des connaissances avec des échanges sur la planète tout entière. Ce qui permettrait, au lieu de consommer des loisirs abrutissants et qui détruisent également l’environnement, comme faire par exemple une croisière sur un paquebot contenant 10000 passagers, ou passer quatre heures par jour à regarder la télévision et bien d’autres activités qui obscurcissent l’esprit, d’apprendre des choses qui aident réellement à vivre mieux, comme prendre connaissance des travaux réalisés par les anthropologues, comprendre un système biologique et écologique, où tout interagit sur tout, ou comment fonctionne le langage naturel par le biais d’une discipline comme la linguistique. Ce sont ici quelques exemples. Je vous conseille vivement les cours de Yves Muller pour une initiation à la biologie. Ce professeur est un excellent pédagogue qui de plus maîtrise parfaitement les ressources et les outils de l’informatique. Bien que cela soit une introduction à la biologie, vous aurez avec ces différentes vidéos les bases nécessaires pour comprendre le vivant. C’est ici: Cours du DAEU-B. C’est beaucoup plus intéressant qu’une mauvaise série télé ou que les réseaux sociaux. Vous pourrez compléter votre initiation avec quelques cours de licence de biologie animale: Cours de biologie animale. Je vous souhaite un bon visionnement avec l’espoir que vous serez émerveillé en voyant comment la nature a réalisé certaines choses.

TNT (Poème télévisé)

Un cyclone s’est abattu sur la Floride, de grosses pluies provoquent des inondations dans le sud de la France, un raz de marée a dévasté plusieurs îles du Pacifique, le Premier ministre a souhaité s’entretenir avec son homologue allemand, les nombreux départs en vacances rendent la circulation automobile difficile, un nouvel attentat a fait cinq morts et quinze blessés, la vague de froid frappe les plus démunis, le procès de la star du rock s’ouvre aujourd’hui, cette semaine il y aura des précipitations sur toute la France, il ne vous reste que cinq jours pour envoyer votre déclaration de revenus, le Président de la République poursuit sa visite en Chine, un camion est sorti de la chaussée faisant trois morts et cinq blessés, l’équipe de France gagne trois à zéro, un foyer d’hébergement est ouvert aux sans-abri, l’alcool au volant provoque plusieurs milliers de morts par an, les prochaines récoltes seront compromises à cause de la sécheresse, un nouvel attentat a fait huit morts et trente blessés, le ministre de l’Économie se rendra cette semaine à Bruxelles, il n’a pas fait aussi froid depuis quarante ans, un wagon a déraillé faisant trente morts et cent blessés, la grève des employés bloque une bonne partie des autoroutes, le constructeur automobile présente son nouveau modèle fabriqué pour le moment à cinquante exemplaires, les salariés revendiquent une hausse de leur pouvoir d’achat, il n’existe pas de preuve pouvant compromettre la star du rock, le lancement de la Télévision Numérique Terrestre sera effectif à partir de la semaine prochaine.

En résonance avec ce texte qui traite de la télévision et de sa médiocrité, je vous propose une conférence de Serge Tisseron sur l’utilisation de l’image dans la publicité et la propagande. C’est ici. Méfiez-vous de la télévision et aussi des réseaux sociaux qui sont entre les mains de seulement quelques propriétaires. Pour le microblogging, le seul actuellement valable est Mastodon dont son financement n’est pas basé sur le profit et où les informations ne sont pas filtrées et dont, aussi, la construction informatique est la mieux conçue avec par exemple la décentralisation. Il n’est pas parfait non plus, puisqu’il propose par exemple d’utiliser des services de Apple, mais c’est toujours mieux que X par exemple.

Pourquoi le logiciel libre est-il plus performant que le logiciel à brevets.

Le logiciel libre, comme GNU/Linux, est bien plus performant qu’un logiciel privateur comme Windows (reposant sur des brevets) pour la simple raison qu’il est justement libre. Le système du brevet n’est qu’une façon parmi d’autres pour financer les créateurs de logiciels. Or la licence libre autorise à tout le monde d’obtenir le code source d’un logiciel, de le modifier et de le redistribuer, et donc aussi de le faire évoluer. Dans ce processus intervient immédiatement la question de savoir comment rémunérer les développeurs, puisque leurs créations ne sont pas brevetées, le brevet permettant une rémunération et une exclusivité sur le logiciel. C’est bien là l’épineux problème soulevé par le logiciel libre, le problème de son économie. C’est une question que n’entrevoie pas immédiatement l’utilisateur de logiciels libres. Pour lui, bien souvent, c’est un « logiciel gratuit ». Or il y a des logiciels gratuits qui ne sont pas libres. C’est même ce qui oriente son choix vers un logiciel libre : le fait qu’il soit gratuit. Il ne perçoit pas l’économie qu’il y a derrière. Je ne vais pas faire un exposé sur les théories économiques car ça nous mènerait bien trop loin. Cependant il est utile de remarquer que le logiciel libre repose sur une économie particulière qui est totalement différente de celle du logiciel privateur. Et cette économie repose sur le don. Même lorsqu’un développeur fait évoluer un programme sans ne rien demander en retour, il n’empêche qu’il est lui aussi inscrit dans un système économique: il fait cette activité durant son temps libre qui est limité, mais il a également un métier, a des factures à payer, bref, il est inscrit dans un système économique. Toute activité humaine fait intervenir l’économique. Et s’il réussi à obtenir une aide financière pour le travail qu’il fait, ça ne fera que l’aider à mieux travailler pour le développement de ces logiciels. Les logiciels libres ne peuvent pas se développer dans la longue durée sans le système de dons. Ceci n’est la plupart du temps pas parfaitement clair pour l’utilisateur de logiciels libres qui pense, comme le mettent en avant certains médias, que le logiciel libre est gratuit. Or la liberté a également un coût. Pour maintenir la liberté du logiciel, il faut également participer économiquement au maintient de cette liberté. Pour que les logiciels soient libres et n’appartiennent pas à une entreprise privée quelconque, il faut également soutenir économiquement les développeurs, les associations et les fondations qui produisent ces logiciels libres. Et les associations et les fondations ne sont pas à but lucratif. Ce qui n’est pas immédiatement perçu par pas mal de gens. Elles n’ont pas pour but premier de faire du profit et d’enrichir quelques personnes, comme c’était le cas avec Bill Gates lorsqu’il a fondé l’entreprise Microsoft. Lorsqu’une personne fait un don à une association ou à une fondation, cet argent est redistribué d’une manière bien différente de celle faite dans une entreprise qui est à but lucratif. Pour en prendre pleinement conscience dans toutes les dimensions, il faut avoir quelques connaissances sur la constitution juridique d’une association ou d’une fondation par rapport à la constitution juridique d’une entreprise à but lucratif. Or tout le monde n’a pas encore clairement ces connaissances. Ils savent qu’une association est de la loi 1901 et qu’elle est à but non lucratif, mais ça ne va pas plus loin. Ils ne voient pas en fait pourquoi elle est dite à but non lucratif. Certains ne savent par exemple pas faire la différence entre une SARL et une SA ou une coopérative. Sans m’attarder sur ce sujet pourtant très important, il est donc nécessaire de prendre conscience, pour tout nouvel utilisateur de logiciels libres, que l’existence de ces derniers repose sur les dons que chacun fait à ces associations et ces fondations qui produisent ces logiciels libres, et donc sans la restriction des systèmes de brevets qui fait que les logiciels appartiennent à une entreprise privée bien particulière dont, au final, l’utilisateur dépend. De plus, on peut adapter selon ses besoins un logiciel libre puisqu’on possède le code source et qu’on peut le modifier librement, ou demander à une personne de le faire si l’on n’a pas les connaissances nécessaires en programmation.

J’espère que ces quelques explications auront apporté un éclairage sur le logiciel libre et son mode d’existence, et donc, de son économie et de son financement. Économie qui est par ailleurs plus vertueuse que celle basée sur le profit car elle repose sur le bien-être du plus grand nombre alors que l’économie du profit repose sur la richesse de quelques uns qui imposent leur loi au plus grand nombre, comme l’a fait Bill Gates avec Microsoft en imposant Windows sur tous les ordinateurs achetés, c’est à dire en pratiquant la vente forcée, où Windows est préinstallé sur les ordinateurs et où les clients paient la licence sans avoir d’alternative.

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Voici les liens de deux sites utiles pour s’informer et contribuer au logiciel libre. Le premier est « LinuxFr.org » où l’on trouve beaucoup d’informations sur l’actualité de GNU/Linux. Et le deuxième est un site de financement participatif qui s’intitule « Open Collective » sur lequel sont présentés une multitude de projets de logiciels libres sans cesse réactualisés, dont bien entendu ceux qui concernent GNU/Linux. Il faut comprendre que participer, en donnant même quelques euros, s’avère très efficace lorsque le nombre de donateurs est très élevé. Cela permet aux développeurs d’écrire les programmes dans de bonnes conditions.

PS: Je conseille vivement la lecture de l’ouvrage de François Elie intitulé: Économie du logiciel libre, publié aux éditions Eyrolles, pour obtenir une étude beaucoup plus approfondie sur le financement du logiciel libre. Car sur n’importe quel sujet, partout où l’on se tourne, revient l’éternel problème de l’argent: qui paie? Et quand « personne ne veut payer » il n’y a tout simplement aucune création, le terme création étant pris au sens large. Car même lorsqu’il y a une aide publique, bien c’est justement quelqu’un qui paie encore, c’est-à-dire l’État, et donc les divers impôts. Et le logiciel libre ne peut pas réellement se développer sans financement. Mais son système est vertueux car il s’oppose au système de la propriété intellectuelle en faisant appel par exemple aux dons, ou chacun donne ce qu’il veut, quand il veut et selon ses moyens, donc dans une totale liberté en n’imposant pas »un prix » comme dans un système commercial classique. Cela fait appel à « votre implication personnelle » beaucoup plus que quand vous achetez une brosse à dent ou autre chose, où vous êtes totalement « détaché » du produit et de sa fabrication par le fait que vous payez avec « un prix fixé » et que ce prix que vous payez vous place dans une totale distance et même indifférence à l’égard de beaucoup de choses. Ca serait trop long à expliquer mais le système de dons est basé sur un échange, celui qui donne attend quelque chose en retour et ce quelque chose peut prendre des formes d’une très grande variété, parfois même qui sont très difficiles à identifier, et se déclenche alors un contre-don dans un mécanisme d’échange, alors que quand vous payez votre brosse à dent, une fois que vous l’avez payée il ne se passe plus rien après avoir réglé le montant à la caisse, ce qui est totalement différent du système d’échange commercial où vous échangez de l’argent pour un prix fixé pour obtenir un « produit » ou un « service ». Lisez Marcel Mauss qui a pas mal défriché le sujet, mais il n’a cependant pas tout compris – si toutefois la totalité existe d’une manière définitive – de ce qu’est un don mais ça vous fera prendre connaissance de son travail.

Le livre

Le livre est un objet étrange. Dans ce rectangle de papier, l’homme y dépose ce qui lui est spécifique, c’est-à-dire la faculté de parler. Ce qui fait que l’homme est homme, et non pas un autre animal, c’est la possibilité, pour lui, de parler et de fabriquer des outils. Une fois que l’on a bien « pris conscience » de ces deux seules aptitudes pour agir sur le monde, notre comportement pour traverser le cours de notre vie, même dans les activités les plus ordinaires, s’en trouve profondément modifié.

Le livre, donc, est une sorte de réceptacle de tout ce que peut dire l’homme, depuis ses débuts, lorsqu’il apprend à parler. Cette mémoire permanente de la parole que l’on place dans des rayonnages de bibliothèque ou que l’on empile sur une table, m’a toujours semblé un peu mystérieuse. Peu importe que l’on ne comprenne pas tout dans un livre. Du reste, comprendre tout ne veut rien dire. L’essentiel est la permanence, la pérennité de ces feuilles de papier qui conservent ce que les hommes disent. Partout, dans le monde, un livre est rangé quelque part, dans l’attente qu’un lecteur vienne l’ouvrir et le lire. Si ce n’est pas dans un instant proche, cela sera le mois prochain ou dans cinq ans, ou encore beaucoup plus tard. Cette capacité de patienter, d’attendre et de s’accorder avec le désir et la volonté d’un lecteur à venir, sont ce qui fait toute sa force.

Il y a toujours à découvrir sur la seule chose que possède l’homme, c’est-à-dire la parole, et qui est déposée sur un support comme le papier. Même en ce XXIe siècle où l’ordinateur est devenu indispensable dans notre vie quotidienne, le livre est toujours cet objet privilégié qui conserve la parole des hommes. Tel un phare dans une grande tempête, il guide les individus qui s’égarent sur l’océan du devenir.

Un livre dépasse beaucoup plus ce que dit son auteur. Il est la trace laissée par toute l’humanité. Car l’auteur, bien qu’exprimant une parole personnelle et singulière, est en même temps le témoin du spectacle du monde et de toutes les paroles prononcées au cours d’une vie et aussi écrites sur divers supports. Il est aussi porteur, par le biais de la langue qu’il utilise, d’une partie de l’histoire de l’humanité. Il est la preuve de son évolution et, également, de ses errements.

Bien entendu la parole ne peut pas communiquer les sensations qu’éprouvent les hommes. Parler d’un frisson ou de l’angoisse ne peut pas faire percevoir ces deux sensations. C’est là la limite de la communication entre les individus et les générations successives. Cependant tous ont au moins une fois eu un frisson ou ont senti un moment d’angoisse. Ce qui fait que la parole n’échoue pas totalement, même pour exprimer ce que nous ressentons. Bien qu’imparfaite, elle nous permet tout de même de réaliser un grand nombre de choses en commun. Et le livre est cet objet dans lequel nous déposons toutes ces choses, en attendant patiemment.

L’animal humain est en fait très démuni. Il n’a que la parole et la main avec laquelle il fabrique des outils. Et avec ces deux éléments, il a tout de même réussi à créer des civilisations diverses. A force d’acharnement, il a su compenser ses modestes moyens donnés par la nature. Et la parole fait partie de ces moyens. Une parole que l’on utilise dans toutes les activités humaines et dont le livre est la mémoire.

A chaque moment de la vie, il y a des livres différents qui nous accompagnent. Lorsque nous en délaissons certains au fil du temps pour diverses raisons, nous en reprenons néanmoins d’autres plus en accord avec l’évolution de notre pensée et de la compréhension de ce qui nous entoure. Tout homme possède de nos jours au moins quelques livres, même pour les plus modestes. L’écriture, qui autrefois était réservée aux clercs, est à présent acquise par tous. Ce qui est un énorme progrès pour la civilisation. Toutes les langues du monde, aussi variées qu’elles soient, ont fini par être adaptées à un système d’écriture. Depuis l’invention de l’imprimerie, le livre est donc devenu un objet universel capable de conserver et de diffuser toutes les paroles des hommes. Ce fait, à présent banal, est pourtant d’une importance capitale. Et l’informatique repose sur ce fondement qu’est l’écriture sous toutes ses formes pour ses conceptions et ses réalisations.

Aussi le livre, bien qu’étant un objet assez ancien, est également très moderne et d’actualité. Il s’adapte au fil du temps, en devenant par exemple plus petit dans ses dimensions, mais il est toujours présent, et même de plus en plus présent, aux côtés de nos ordinateurs qui caractérisent ce XXIe siècle. Il accompagne nos médias électroniques évolués et complexes . Quant à savoir si le livre existera encore dans plusieurs siècles, je n’ai malheureusement pas la réponse.

Les romanciers, les nouvellistes et l’intrigue

Il ne semble plus possible aujourd’hui, pour les romanciers et les nouvellistes, d’écrire autre chose que des fictions à intrigue. Cette dernière est devenue dans bien des cas le ressort principal du succès des auteurs de littérature romanesque. La vie quotidienne étant bien souvent d’une banalité profonde pour ceux qui ne savent pas la regarder et la décrypter dans ses moindres détails, nombre de lecteurs ont besoin d’une intrigue pour ne pas bâiller une fois arrivés à la dixième ou la vingtième page, et même avant lorsqu’il s’agit d’une nouvelle.

La littérature reposant depuis bien longtemps sur le procédé du miroir «  plus ou moins déformant » de la réalité, est-il vraiment nécessaire d’inventer des situations alambiquées pour avoir quelque chose à dire ? La vie et son cortège de malheurs et de souffrances et aussi, plus rarement, de grandes joies, ne ressemblent en rien à ces intrigues toujours plus complexes inventées par les auteurs, comme un acrobate de cirque invente des numéros toujours plus époustouflants au risque de sa vie pour faire saliver le public.

Les romans et les nouvelles sans intrigue deviennent aussi rares que les métaux précieux. De ce fait, je suis souvent déçu par la littérature actuelle qui n’a que le mot « thriller » à la bouche. Il reste heureusement des auteurs comme Annie Ernaux qui n’ont pas besoin de créer une multitude de rebondissements imbriqués les uns dans les autres jusqu’à ressembler à une narration en plat de spaghettis dont, par ailleurs, beaucoup de lecteurs se délectent. Cependant cette littérature sans intrigue autre que celle de la vie devient plus rare. Si je me souviens bien, Fernando Pessoa écrivait qu’il préférait se frotter les yeux avec du sable plutôt que de lire un roman à intrigue. J’ai donc au moins la consolation que cet écrivain et d’autres partagent mon point de vue.

Les journalistes actuels pensent bien souvent pimenter leurs articles sur les romans en précisant que tel ou tel livre est un « thriller », et par conséquent qu’il vaut la peine d’être lu. Cela devient presque un label, comme il y en a sur les poulets vendus au supermarché. Pour ma part cette mention plus ou moins mise en avant dans la présentation des romans me permet de savoir immédiatement ce que je ne lirai pas et qui est sans aucun intérêt. Je remercie donc les journalistes de me mâcher le travail de sélection, lesquels s’imaginent vanter les vertus de ce genre de littérature. Celle-ci ne m’émeut pas et ne franchit pas la frontière qui sépare ma raison de ma sensibilité.

J’ai toujours détesté les fleurs artificielles et les détesterai probablement jusqu’à mon dernier souffle, même si de grands progrès seront faits pour les rendre plus « vraisemblables ».

 

Vive les vacances!

Les vacances approchent. Aussi je n’ai pas trouvé mieux que de lire un livre qui n’est pas tout récent mais qui reste tout de même d’actualité. Je veux parler du livre d’Alain Paucard intitulé : Le cauchemar des vacances, publié en 1993 aux éditions l’Age d’Homme.

Ce petit livre de 85 pages résume parfaitement la société des loisirs dans laquelle nous vivons. L’auteur y dépeint avec lucidité la frénésie touristique, qui de nos jours est encore aggravée, avec des individus qui courent dans tous les sens en photographiant tout et n’importe quoi, la seule satisfaction étant d’entendre le clic de l’appareil photo. Les activités les plus répandues des touristes sont passées en revue : les visites guidées, le bain de soleil sur la plage, le sport, les agences de voyages, bref, toutes ces distractions dont je parle également dans certains de mes textes, et qui de nos jours ont été multipliées par dix.

Ce livre où l’auteur ne mâche pas ses mots a été, à sa lecture, une bouffée d’oxygène dans un monde où cet élément chimique risque de devenir rare pour les années à venir. Alain Paucard a osé dire tout haut ce que certains ne font que chuchoter par crainte de déranger les conventions et le commerce ambiant. Cet ouvrage pourra servir de vaccin à ceux qui partiront en vacances dans les pays tropicaux ou d’autres endroits où il fait très chaud. Ces 85 pages seront probablement plus efficaces qu’une seringue enfoncée dans le bras par une infirmière ou une pharmacienne. Vous serez protégé ainsi de cette agitation qui caractérise tous les touristes avides de tout manger des yeux, en ne digérant malheureusement rien, et même parfois en vomissant.

J’espère que la piqûre ne vous fera pas trop mal et que vous ne serez pas pris de vertiges, comme cela se produit parfois avec certains vaccins

Phrase entendue prononcée par une infirmière

« L’université est devenue une véritable poubelle ». Phrase anodine à laquelle nous pourrions ne pas faire attention. Pourtant si l’université est devenue une véritable poubelle, c’est qu’elle contient des ordures. Et ces ordures sont en quelque sorte ceux qui auparavant ne se trouvaient pas dans l’université, c’est-à-dire « la masse », avec la généralisation de l’accès aux études supérieures. Donc la masse est en quelque sorte une ordure, identique aux ordures ménagères dont on cherche à se débarrasser. Quel va être le comportement de cette infirmière lorsqu’elle devra soigner une personne qui fait partie, d’après ce qu’elle dit, des ordures ? Cette infirmière, de plus, travaillait dans un hôpital un peu particulier qui était un hôpital psychiatrique, c’est-à-dire un lieu où les gens ont apparemment « perdu la raison ». Que va-t-elle dire lorsqu’elle se trouvera confrontée à « une ordure » qu’elle devra soigner ? Sera-t-elle réellement neutre ? Pratiquera-t-elle exactement les mêmes soins à ceux qui sont « des ordures » et ceux qui ne sont pas des ordures, c’est-à-dire ceux qui accédaient à l’université avant « l’éducation de masse » ? Je n’ai pas les réponses à ces questions. Cependant cette simple constatation, qui est d’une certaine manière une sorte de micro-sociologie de la vie quotidienne, nous permet de prendre conscience que tout n’est pas aussi simple que voudrait nous le faire croire les grandes théories généralisantes qui oublient trop souvent de regarder les « détails ». Ainsi « l’infirmière » du point de vue du concept général que l’on entend par ce mot n’existe pas. Il y a « des » infirmières, avec un gouffre abyssal entre chacune de ces personnes qui font au premier abord le même travail. Et le rôle, de par exemple la littérature, devrait être de montrer cette réalité qui semble ne pas rentrer dans les théories générales.

La conquête de l’espace intérieur

Une femme un peu naïve me disait : « Il y a tout dans les livres. » Je ne savais pas, si toutes les réponses étaient dans les livres, si l’homme serait enfin en paix et accepterait mieux la vie en lisant des livres. Cette femme disait cela peut-être parce qu’elle n’avait pas la force de chercher elle-même les réponses à ses questions. Elle trouvait cependant agréable et libérateur le fait de trouver des réponses dans les livres, comme d’autres cherchaient des réponses en regardant la télévision ou en faisant une promenade en forêt. Elle disait qu’on trouvait tout dans les livres aussi parce qu’elle n’avait pas encore pris conscience que d’autres qu’elle cherchaient aussi des réponses. Ainsi elle découvrait qu’elle n’était pas seule, malgré son profond sentiment de solitude. Des hommes et des femmes lui donnaient quelques réponses à ses questions. Sans en prendre pleinement conscience, elle découvrait ce que l’on appelait le social. Car les livres étaient écrits par des humains comme elle, alors qu’elle avait cette indescriptible impression que les livres venaient d’un autre monde, comme si des dieux les écrivaient, en ne s’imaginant pas un seul instant que leurs auteurs prenaient le métro comme elle, lorsqu’elle allait au travail, et qu’ils faisaient également la queue au supermarché. Elle attribuait sans s’en apercevoir un caractère divin aux livres, comme si ceux-ci provenaient du monde des cieux et dont les auteurs n’avaient pas de corps.

Ainsi lorsqu’elle apprenait la mort d’un auteur qu’elle appréciait, elle ne voulait pas y croire vraiment, car pour elle ceux qui apportaient des réponses dans les livres demeuraient comme immortels et n’étaient pas soumis aux lois de la difficile condition humaine. Puis, après quelques instants, elle finissait par accepter que cet auteur dont elle avait appris la mort n’était en effet plus de ce monde et qu’il était aussi vulnérable qu’elle. Il ne serait plus là pour lui apporter des réponses. Et à ce moment précis, elle se trouvait alors dans une solitude extrême. Il n’y aurait plus de réponses dans les livres de cet auteur qu’elle lisait, et s’apercevait alors qu’elle devait trouver elle-même des réponses aux questions qu’elle se posait. C’était une épreuve redoutable. Elle comprenait alors que tout n’était pas dans les livres et que de plus leurs auteurs mourraient.

Ainsi la prise de conscience du social s’accompagnait également de la constatation que l’homme ne pouvait pas se passer de ses semblables et qu’ils apportaient un sens à la vie de chacun. L’homme était seul sans pouvoir toutefois vivre sans les autres.

Les réponses aux questions ne se trouvaient pas uniquement dans les livres. Elle se manifestaient partout, dans le sourire de la boulangère, chez le facteur à qui l’on disait bonjour, chez ceux aussi qui ne pouvaient pas lire de livres en étant trop épuisés par le travail, chez ceux également qui essayaient de survivre dans une misère profonde, chez ces naufragés de la vie perdus dans une société dont ils ne comprenaient pas les rouages.

Cette femme qui pensait que toutes les réponses se trouvaient dans les livres était encore jeune. Dix ans plus tard elle se mit elle aussi à écrire des livres. Elle avait appris à chercher des réponses par elle-même, et le fait de partager ces réponses lui procurait une certaine joie. En retour les lecteurs lui apportaient d’autres réponses dont elle n’avait pas elle-même trouvé de solution. Et elle se disait que c’était là le seul et unique sens de la vie.

James Bond et la technologie

Lorsque nous regardons les adaptations faites au cinéma des romans de James Bond écrits par Ian Fleming, le spectateur est souvent sous la fascination d’un déluge technologique. Ainsi lui sont montrés des gadgets à profusion et des hommes qui dominent le monde par l’intermédiaire de la technologie. Il y a en quelque sorte une bonne technologie, celle que possède James Bond, et une mauvaise technologie, celle qui sert à asservir l’humanité et dont s’empare le méchant combattu par James Bond.

Il est à remarquer que l’objet de chaque mission entreprise par l’agent secret est d’empêcher l’appropriation par le méchant d’une nouvelle technologie qui, dans les mains de ce dernier, nuira à la société. Ainsi on comprend assez rapidement que la technologie en elle-même n’est pas forcément négative et porteuse de dystopie, et qu’elle dépend avant tout de l’utilisation qui en est faite par l’homme. Dans la plupart des technologies réalisées, rarement sont réellement pensées les utilisations et les conséquences qui sont engendrées par ces technologies. La quête de la nouveauté et de l’innovation pour l’innovation sont avant tout le moteur de celui qui innove, comme ceux qui font de l’art pour l’art avec le simple objectif de faire du nouveau.

Ainsi dans les films de James Bond c’est le méchant qui révèle l’utilisation possible d’une technologie à laquelle son créateur n’avait pas pensé. L’utilisation faite par le méchant de la technologie est toujours détournée et différente de celle imaginée par son créateur. Par exemple les médias de masse sont utilisés pour diriger l’opinion de la planète, et non pour éclairer le citoyen. Ou alors un fanatique partisan de l’eugénisme veut utiliser certaines inventions pour faire disparaître une partie des hommes et ne conserver qu’un groupe d’élus qui, selon lui, sont les plus aptes à perpétuer une espèce humaine parfaite.

Ainsi, sans être vraiment de la science-fiction, les James Bond questionnent le rôle et l’utilité de la techno-science dans la société. Et l’utilité de cette dernière est toujours positive entre les mains de James Bond, alors qu’elle est destructrice entre les mains de celui qui joue le rôle de méchant et qui incarne le mal. Bien utilisée, cette techno-science semble utile et capable de résoudre de nombreux problèmes tout en étant porteuse d’espoir. Contrairement aux films qui traitent de la dystopie, la techno-science est envisagée comme une sorte de fin ultime de l’humanité. Du reste les James Bond se terminent toujours avec une note d’espoir où l’amour et le bien triomphent sur le mal. Et ce bien est du côté de la technologie et de ceux qui la font.

Nous retrouvons là l’utopie américaine, mais aussi de nos jours mondiale dans une certaine mesure, que la technologie va résoudre tous les problèmes de la condition humaine, et qu’elle va lui faire accéder à ce fameux bonheur dont tout le monde parle et dont personne ne sait exactement ce qu’il est, de quoi il est constitué. James Bond est donc une apologie de la techno-science, comme les transhumanistes voient en cette dernière le salut pour l’humanité. Quant à savoir ce à quoi serait confronté l’homme qui réussirait à devenir immortel par le biais de la technologie, c’est une question que ne semblent pas se poser les transhumanistes ou les films de James Bond.

Mettre sa pensée à plat

Mettre sa pensée à plat donc. Dans le vacarme des villes, trouver un lieu calme et paisible pour tout mettre à plat. Ce n’est pas une chose facile. Comment rendre intelligibles les souvenirs, les propos entendus ou lus, les images par milliers, tout ce que l’homme peut engrammer au cours d’une vie ? Et cette trivialité du quotidien dans lequel nous sommes englués ; pris en étau entre les journaux, la radio, la télévision et les affiches publicitaires nous incitant à consommer des produits inutiles toujours plus nombreux. Comment, dans cette pagaille, réussir à mettre sa pensée à plat ?

A peine pense-t-on s’isoler que déjà le téléphone mobile sonne pour nous annoncer mille mauvaises nouvelles. Pas d’intemporalité dans cette vie où tout est surdaté. Que ferait un écrivain avec une machine à écrire mécanique à l’aube du XXIe siècle ? Les jeunes et les autres gens se moqueraient de lui ! Le temps nous met des chaînes aux pieds jusqu’à ne plus pouvoir avancer dès que l’axe temporel se décale de dix années. Comment, dans ces conditions, être dans l’universel ? Nous sommes dévorés par l’actualité. Pourtant mettre sa pensée à plat nécessite de se dégager de ce temps trop présent. S’inscrire dans la durée, regarder en arrière pour mieux comprendre l’histoire qui a réalisé cet ici et maintenant. Comment savoir où nous allons si nous effaçons nos traces au fur et à mesure que nous avançons ? Notre angle de vision se rétrécit toujours plus, et l’année dernière nous semble un passé loin et poussiéreux. De ce fait, mettre sa pensée à plat devient un exercice périlleux. Impossible de coucher sa pensée sur le papier sans un minimum de profondeur temporelle. Impossible d’être un pur présent et de parler en même temps. Impossible également de satisfaire aux tâches quotidiennes tout en parlant. Un lavabo bouché et voilà que toute notre attention est mobilisée, tout comme une coupure d’électricité ! Le quotidien semble vulgaire. Les penseurs ont-t-ils des fuites d’eau dans leur appartements ? Comment, donc, mettre sa pensée à plat lorsque la plomberie est défaillante ? Deleuze dirait que toute affaire de ce genre relève de la bêtise. Pourtant rien de plus concret qu’une plomberie défectueuse. Ce concret qui lui est si cher lorsqu’il parle de philosophie.

Surtout ne pas se regarder. S’oublier en vivant sa pensée. Dès que l’on se regarde dans une glace, tout est perdu. Impossible de se voir et d’être en même temps.

Mettre sa pensée à plat nécessite également de ne pas être plongé dans l’oisiveté. Rien de bon n’a jamais été fait chez les gens qui s’ennuient. Chez eux les pires tares se développent, comme par exemple la pratique des jeux, qu’ils soient classiques ou vidéo. Le jeu a toujours été le fléau de la société. Une société qui joue est une société malade.

Mettre sa pensée à plat implique de se poser certaines questions. Mais une question amenant rapidement à une autre question jusqu’à l’infini, il est bon de ne pas se laisser prendre au jeu d’une méditation douteuse. On se perd vite dans ce labyrinthe dont la seule sortie est le sommeil. Le quotidien nous aide à ne pas tomber dans ce gouffre. La pensée pratique et ingénieuse oblige à résoudre des problèmes. Pas de tourbillons lorsqu’il faut se plier à la logique d’un ordinateur, cette merveilleuse invention du XXe siècle. Nous sommes là confrontés à un monde qui résiste. Et c’est bien pour cela que les philosophes n’aiment guère les ingénieurs, même s’il existe des philosophes de la technique.

De plus, mettre sa pensée à plat relève quelque part de l’exploit. Comment être assis devant son bureau lorsque nous sommes pris de vertige devant le non-sens de l’existence ? Comme l’écrivait Cioran, la seule position raisonnable est celle d’être allongé. Car nous sommes pris d’effroi face à l’absurdité de notre condition de vivant. Comment se lever du lit lorsqu’on a la sensation d’avoir un poids de cent kilos sur le ventre ? L’appel à la vie ? Ou plutôt l’instinct de conservation… Cet instinct qui nous pousse vers une journée de plus en criant plus fort que notre raison qui nous dit : « à quoi bon ? ». La faim est plus forte que notre entendement ; et à certains moments nous donnerions n’importe quoi pour un morceau de fromage…

Coincé entre le nihilisme et l’instinct de survie, mettre sa pensée à plat demande un certain héroïsme. Se jeter dans la gueule ouverte de la vie, pour être ensuite digéré par une vieillesse qui s’étire indéfiniment en nous remémorant nos vingt ans.

On peut passer toute une vie à mettre sa pensée à plat. Une vie entière à faire le bilan de chaque journée écoulée, à faire le calcul de nos doutes, de nos erreurs, de nos folies aussi. Jusqu’à, surtout, écrire une littérature qui ne fasse pas appel au mythe de l’écrivain, comme l’a si bien montré Roland Barthes. Mettre sa pensée à plat ne consiste pas à bâtir un mythe supplémentaire, mais plutôt à s’approcher le plus près possible du réel. Exercice périlleux car le mot n’est pas l’objet. Et parler revient à prendre du recul, à s’éloigner des choses. Il n’y a pourtant pas d’autre biais pour comprendre le réel, si toutefois ce mot signifie quelque chose. Car nous sommes tous conviés à faire de la surenchère sur ce réel que cependant personne n’arrive à percevoir clairement. « Il faut voir la réalité en face » nous disent des personnes qui semblent éclairées. Et pourtant, sait-on vraiment de quoi l’on parle ?

Mettre sa pensée à plat c’est également se retirer de toute compétition. Cette compétition qui commence à l’école primaire pour se terminer dans la tombe. Cette folie sportive qui fait de tout romancier un compétiteur dans la longue hiérarchie de la littérature, avec ses prix, ses honneurs, ses distinctions diverses et futiles. L’homme est condamné à avoir des chefs, des grades, des échelons, jusqu’à faire des cauchemars de pyramides s’étalant à perte de vue. La pyramide, cette tare de l’homme socialisé contre laquelle j’oppose l’architecture en rhizomes. Pas d’idoles, pas de maîtres, seulement des passeurs, des amis qui ne font qu’accepter une pensée originale sans jouer le rôle d’individus supérieurs. Une géographie sans centre, où chacun peut circuler sans entrave parmi les humains ; où chacun apprend à l’autre une parcelle de connaissance dans un échange mutuel. Être la voix du multiple en laissant parler les autres dans notre parole. Interpréter cette cacophonie pour en dégager du sens et une histoire, en commençant d’ailleurs par notre propre histoire. Réussir à voir les êtres et les choses en étant à la bonne distance.

Comment tenir un stylo lorsqu’à chaque instant un homme meurt d’une balle de fusil, ou de faim et de soif ? Monde de terreur où chacun se demande ce qu’il pourrait bien faire pour stopper la barbarie. Et pourtant le monde continue de tourner pendant que les politiciens somnolent dans les amphithéâtres. La littérature est une parole qui n’a pas de prise sur les choses. C’est une parole molle qui prend la forme du monde à son contact. Il est donc bien difficile de changer nos sociétés en écrivant des fictions romanesques. Nous sommes loin du discours performatif où dire c’est faire. Ici ce qui se dit n’a aucune incidence sur le réel. C’est avouer son impuissance à modifier le comportement du lecteur. C’est prendre en compte cet échec cuisant que ne connaissent pas les politiciens et les juristes pour qui une virgule transforme la vie de millions de gens. C’est écrire dans le sable juste avant la tempête. Tout s’efface… Je m’efface… Tout a disparu

PS: Je vous conseille vivement de lire les livres de David Graeber, qui malheureusement est mort trop tôt. Vous comprendrez ainsi que de nos jours les sciences sociales sont souvent plus puissantes pour changer une société que la littérature des romanciers.

Demain les posthumains ou pourquoi le futur a encore besoin de nous

Que va devenir l’humanité avec le développement croissant des machines ? Question lancinante que Jean-Michel Besnier se pose et dont il propose des réponses face à cette rencontre avec le non-humain. Pour lui, le non-humain est digne d’une morale et il nous présente une éthique des robots. Car les machines dont il parle sont douées des capacités d’interagir avec l’environnement comme les êtres vivants.

Les robots n’ont pas la capacité de souffrir, cependant rien n’empêche d’imaginer que dans les développements futurs les machines n’auront pas peut-être atteint une telle complexité qu’elles s’apparenteront à la complexité du vivant. C’est du moins ce dont parle l’auteur en tentant de prendre des exemples sur les technologies actuelles et leurs potentialités. Il reste toutefois prudent sur certains développements de la technique, comme par exemple l’escamotage du corps dans l’imaginaire transhumaniste. Dans le désir de fluidité, le corps devient encombrant à partir du moment où l’on peut uploader la pensée dans une machine. Une « deuxième vie » est possible lorsqu’on se débarrasse du corps. Ce corps qui nous fait prendre conscience de notre finitude. Une fois la conscience téléchargée dans une machine, nous voilà promus au rang des immortels !

D’autre part, pour Jean-Michel Besnier la transgression serait à la base de la culture. La culture est une transgression à l’endroit de la Nature. La Nature n’est pas clémente envers l’homme, contrairement à ce que pensait Rousseau. La culture est nécessaire pour libérer l’homme de l’emprise de la Nature. Et il est difficile de dire où s’arrête la culture et si elle ne doit pas totalement renverser la Nature en la désacralisant. La technique ne s’oppose pas de façon radicale à la Nature. Il y a en fait une intrication entre les deux. Et opter pour l’extrémisme est néfaste dans les deux cas pour l’homme.

L’androïde ou le cyborg ne puisent leurs sources que dans un désir ancestral de fabriquer des machines, des plus rudimentaires jusqu’aux plus sophistiquées. La différence c’est qu’en ce début de 21e siècle nous atteignons un stade encore jamais atteint auparavant. Le robot se rapproche de plus en plus de l’humain, jusqu’à créer un phénomène de malaise chez l’homme. Ce dernier cherche à faire ressembler la machine à son image, mais arrivé à un certain point il y a un mécanisme de rejet car l’homme se sent comme humilié. Il ne semble pas y avoir de limites à l’évolution des machines, et c’est ce qui commence à en inquiéter certains. Car, par exemple, dans une usine automatisée, l’homme devient un élément gênant et non nécessaire au bon fonctionnement des machines. De plus la technique concerne aussi le vivant avec les biotechnologies. Ainsi l’homme qui se croyait supérieur à la machine par le fait qu’il soit biologique en vient à être concurrencé avec des techniques comme le clonage.

L’externalisation de notre mémoire par la biais des machines informatiques est un danger pour la préservation de notre histoire. Les partisans du transhumanisme ont le regard uniquement porté vers le futur. Pourtant les archéologues sont tout autant utiles à la société que les ingénieurs et les informaticiens. Une civilisation qui ne cherche pas à comprendre ce qu’il y avait avant, comme par exemple l’origine de la Terre ou l’origine de la vie prend de grands risques.

A partir du moment où la conscience ne serait plus le propre de l’homme, tout peut prendre une orientation différente. La conscience étant basée sur un système de rétroactions permanentes, rien n’empêche de concevoir une machine ayant ces caractéristiques. C’est du moins la thèse que défendent certains transhumanistes lorsque les machines auront atteint ce fameux seuil de la « singularité ». Et le réseau Internet transforme progressivement la terre en gigantesque cerveau planétaire électronique.

Cette mésestime de soi, comme le dit Jean-Michel Besnier, pour aboutir à un cyborg dénué de toute métaphysique est-elle la suite logique de l’évolution de l’espèce humaine ? Il est bien délicat de s’avancer sur ce terrain glissant et incertain. Ce que l’on peut dire, néanmoins, est que l’homme va devoir apprendre à vivre avec des machines de plus en plus évoluées. Et de ce fait, il va lui falloir développer une nouvelle éthique qui prenne en considération ces machines. Tout est affaire de modération et c’est la juste mesure qui nous aidera à vivre en harmonie avec le vivant mais aussi avec les machines qui, du reste, existaient déjà avec le moulin à vent ou à eau

 

Internet et le livre: deux éléments qui forment le grand fleuve de la lecture

Lorsque dans les années 80 est apparu le Minitel, tout le monde s’est écrié qu’avec cet instrument le livre allait disparaître. Or nous sommes aujourd’hui au web 3 et la consommation de papier imprimé n’a jamais été aussi élevée.

L’arrivée des écrans plats pourrait donner à penser que cette fois-ci la mort de l’imprimé est certaine. Pourtant nous constatons que les bibliothèques contiennent un nombre toujours plus important de livres, de magazines et de revues. Cette croyance en la disparition prochaine du papier depuis deux décennies tient pour une bonne part de la raison suivante : la pensée a une fâcheuse tendance à fonctionner par substitution. Ainsi, lorsque apparaît une nouvelle technologie, on pense la plupart du temps que celle-ci va faire disparaître la précédente. Or cela ne se déroule pas toujours ainsi. Il y a beaucoup plus d’ajouts, d’empilements, plutôt qu’un processus soustractif. Ainsi pour les différentes technologies de conservation des informations dont l’écriture, le papier reste présent malgré toutes les technologies qui lui furent greffées. Et les ordinateurs avec les imprimantes produisent des quantités considérables de documents. La pâte à papier est décidément plus coriace qu’on ne l’imaginait.

Internet, contrairement à ce que l’on a beaucoup dit, favorise le développement de l’édition traditionnelle. Le fait d’avoir la possibilité de commander des ouvrages ou des revues en ligne, permet de faire vivre tout un circuit de l’édition qui, sans Internet, ne pourrait pas exister. De ce fait, Internet ne se substitue pas au document papier et permet, au contraire, son extension. Des sites comme Amazon ont provoqué une véritable explosion de l’activité des services postaux qui acheminent les produits commandés. Et parmi ces produits, des livres, des magazines et des revues sont vendus. Internet intensifie donc la circulation des documents imprimés. Grâce à la visibilité sur la toile, une simple recherche dans un moteur de recherche permet l’augmentation des ventes de revues vers l’étranger.

Nous voyons donc qu’Internet et la publication papier sont complémentaires et que l’évolution de l’un fait progresser l’évolution de l’autre. Le papier disparaîtra totalement uniquement lorsque l’homme séjournera dans l’espace. L’homme sans livres traditionnels est donc pour le moment l’astronaute.

Bruce Bégout et la philosophie de la vie quotidienne

Bruce Bégout reste dans le paysage intellectuel un auteur à part qui se préoccupe de choses que la plupart des écrivains trouvent insignifiantes. Ainsi il pose son regard sur des friches, des bordures d’autoroutes, des motels, des usines désaffectées pour nous montrer la précarité qui se cache derrière les paillettes, notamment dans les villes américaines. Avec lui les architectures s’écroulent et deviennent friches avant qu’elles ne soient définitivement terminées.

La ville américaine aux lumières tapageuses des néons qui clignotent pour interpeller les passants n’est en fait qu’un ersatz de ville où tout vacille dans la banalité extrême. Partout règne le factice et les faux plafonds, le tout dans un état délabré et produit en grandes séries. Comme le disait Henry Miller dans l’un de ses romans, pas une seule pierre n’est ajustée avec amour. Tout est de travers et les pavillons souffrent presque tous d’imperfections. D’autre part il existe une culture du nomadisme où les populations laissent tout pour déménager. Il n’y a pas cette sédentarité comme on la trouve en Europe. Ce qui fait que les banlieues pavillonnaires sont faites d’habitations bien souvent délaissées, du moins pour les banlieues les plus pauvres. Bruce Bégout remarque également que le motel est largement diffusé et que de nombreuses personnes vivent dans ces habitations précaires. Lieu de la banalité où tout se ressemble sans la moindre trace d’humanité. Villes sans histoire où tout est fabriqué dans l’urgence et le temporaire. Bien entendu, il y a des monuments qui rappellent que l’Amérique a tout de même une histoire, même si elle est courte. Mais dans l’ensemble beaucoup de choses sont temporaires. Lieu de fluidité des capitaux, les richesses et les faillites se succèdent à des cadences effrénées. Pas de stabilité dans l’empire du carton-pâte. Tout se fait et se défait au rythme des marchés. Aujourd’hui dans un pavillon, demain dans un mobil home. Rien ne dure vraiment. C’est aussi cela le pays de la liberté.

Dans le chapitre intitulé « L’envers du décor » de Zeropolis, l’auteur nous dépeint un univers fait de vapeurs d’essence qui, comme il le dit, « prennent à la gorge ». Toute la population est abrutie et est dans une torpeur « où s’entassent les quelques objets essentiels qui leur font croire que toute existence humaine doit être nécessairement accompagnée. » Nous sommes loin de la machine à rêves que nous proposent les studios de cinéma. La banalité et l’ennui sont au rendez-vous, au milieu d’architectures qui ne durent pas plus de vingt ans. Univers du contreplaqué, tout peut s’effondrer à n’importe quel moment. Friches à perte de vue, c’est à un monde sans âme que nous sommes confrontés. Pays du bricolage et du garage mythique, tout est sans cesse à réparer. Les parcs d’attraction tentent vainement de donner un sens à l’existence, mais dans cette artificialité les individus sentent bien que quelque chose ne va pas.

Cette démesure est sans substance ; Henry Miller s’en était déjà aperçu lorsqu’il habitait New York. Ce monde n’est pas à une taille humaine, tout y est vanité et désir de domination. Dépasser sept étages pour un immeuble est quelque part une chose malsaine. La verticalité dans son principe le plus large dénote une volonté d’asservir. Quant à l’empire du jeu c’est également l’empire du vice. Peuple de joueurs invétérés sous toutes les déclinaisons, Las Vegas rassemble tout ce qu’il y a de plus sordide dans les méandres de la nature humaine. Ça clignote de partout dans un déluge d’électricité en essayant de faire croire au joueur que la vraie vie est ici. Entreprise de flatterie narcissique, tout est prévu pour convaincre le joueur qu’il est dans le meilleur des mondes. Rien n’est impossible et le hasard sera présent au rendez-vous. Comme l’écrit Bruce Bégout « le ludique a pour but de domestiquer le désir originel et sans objet qui coule dans les veines de chacun. » Jouer jusqu’à en perdre la tête, emporté par les flux des lumières. Tel est le secret des salles de jeux. Dans l’étendue interminable des machines à sous, chacun tente sa chance en étant persuadé de gagner quelque chose. Leurre des salles de jeux où les joueurs parient sur l’impossible. Las Vegas avale les clients comme un serpent avale ses proies. Temple du factice et du mirage, les joueurs n’aperçoivent que les pâles reflets d’une réalité déformée. De plus Las Vegas est la plus grande décharge d’enseignes lumineuses. Comme l’écrit J.G. Ballard, « Las Vegas n’a jamais été rien d’autre que la plus grosse ampoule électrique du monde. » Et les joueurs sont attirés comme des papillons de nuit par cette monstrueuse ampoule située dans un désert. Architecture champignon qui a poussé dans le grand rien, au milieu de nulle part. Comme l’explique Bruce Bégout, tout est rouillé et dénaturé, c’est le règne du bancal et de l’incertain où tout peut s’écrouler à chaque instant. Et les joueurs ne font même plus attention à cette précarité chancelante d’une architecture rafistolée de partout. Rien n’a été prévu pour durer. C’est aussi cela le rêve américain : un amas de planches pour réaliser une maison en bois. Univers peuplé d’habitations de fortune que l’on ne peut même pas qualifier d’architectures comme on parle d’une cité antique à Rome ou à Athènes. Las Vegas n’est qu’un amas de tôles, de boulons et de matière plastique, le tout recouvert d’une peinture écaillée.

Bruce Bégout, dans ses divers écrits, nous dresse enfin un tableau saisissant de cette Amérique dont le cinéma fait rêver le monde occidental tout en nous cachant les réalités de la banalité de la vie quotidienne et de ses turpitudes. Comme Roland Barthes l’avait fait pour la presse people et la mode, Bruce Bégout démonte la mythologie américaine pour nous montrer la face cachée d’un pays à bout de souffle où règne derrière les paillettes des populations en difficulté et une vie dénuée de sens

 

Mélancolie

C’est un jouet qui pleure

Dans le noir d’un placard

Un petit automate

Qui boite dans la chambre

Une poupée qui rit

Avec ses grands yeux bleus

Quelques années froissées

Aux bras d’une peluche

Un souvenir blotti

Au fond de ma mémoire

L’enfance…