Je voudrais

Je voudrais fermer les yeux, et, ma langue sur ta langue, me fondre avec toi dans le moment présent. Je te serrerais très fort contre ma poitrine, et ainsi attaché à toi, je serais ton prisonnier à perpétuité.

J’ai tant attendu de pouvoir t’embrasser, de te voir bouger avec cette fièvre électrique, que je ne sais plus si tu viendras un jour.

J’aurais passé plus de la moitié de ma vie à t’attendre en perdant mon temps avec des sciences dont ton simple sourire est bien plus passionnant.

J’aimerais, oui, j’aimerais. J’aimerais tellement t’embrasser dans le cou et te chuchoter que je t’aime.

Quelques propos sur le kitsch

Dans tous les pays existe une culture kitsch produite essentiellement pour les couches populaires et la petite bourgeoisie. Cette culture kitsch met en scène un pays sans aucun regard critique sur ce qu’elle montre. Ainsi la « culture de carte postale » est-elle représentative du kitsch par excellence. La carte postale (même si celle-ci n’est plus beaucoup utilisée au 21e siècle) montre un monument en essayant d’être le plus neutre possible, en participant à une mythologie. Une photographie de la tour Eiffel représente par exemple la culture de la France. Ainsi Abraham Moles dans son ouvrage intitulé : « Psychologie du kitsch »1nous montre que nous vivons une époque où avec le tourisme de masse se développe le kitsch. Nous n’avons jamais été autant entourés de culture kitsch qu’en ce troisième millénaire. Même si l’ouvrage d’Abraham Moles date des années 1970, nous devons reconnaître qu’il est toujours d’actualité. Le kitsch est omniprésent en nous faisant croire à un nouvel art de vivre. Nos manières de se comporter sont imprégnées de kitsch. La consommation de masse est basée sur l’accumulation d’objets qui ne servent à rien sinon à faire fonctionner la machine économique. Objets dérisoires dont parlait Jean Baudrillard dans le système des objets et que nous adulons comme des divinités. Tout cela n’est que pure fétichisme de la marchandise dont parlait Marx2.

Les arabesques, les figures toujours plus proliférantes du baroque que Gilles Deleuze a analysées dans son ouvrage intitulé « Le pli », toute cette excroissance de formes participent à la culture kitsch. Des formes épurées, réduites aux figures géométriques de base et sans artifices, sans accumulations interminables. Accumuler est une manière de se rassurer du non-sens de l’existence.

Il est à noter que le kitsch n’est pas toujours bon marché. Le plasticien Jeff Koons en est le plus bel exemple. Il n’y a pas seulement les nains de jardin dans la culture kitsch. En art comme en architecture, le kitsch se développe aussi bien dans les classes modestes que parmi la bourgeoisie. Nous pouvons dire sans exagérer que le style haussmannien est kitsch. Cette multiplication des courbes et des ornements dont font l’objet les immeubles parisiens et dont la fonctionnalité est nulle, fait partie d’une certaine culture kitsch. Du reste, les nouveaux immeubles ont abandonné ce style d’architecture pour s’orienter vers le fonctionnalisme. Le Paris des cartes postales est un Paris haussmannien. Mais cette architecture ne possède aucune fonctionnalité que nécessite le 21e siècle. A quoi sert de conserver les façades qui datent d’une époque où dans les logements il n’y avait même pas de douche et où les toilettes demeuraient sur le palier.

Dans son ouvrage « psychologie du kitsch » Abraham Moles montre bien que toute notre vie quotidienne est envahie par cette culture kitsch dans toutes les strates de la société. Des vies entières sont basées sur le kitsch, où l’accumulation galopante d’objets est le but ultime de l’existence. Ainsi dans les maisons individuelles s’accumulent une multitude d’objets qui donnent à leurs possesseurs l’illusion d’un sens à leur existence. Cela va du pavillon avec le jardin ouvrier jusqu’à la maison bourgeoise où l’on accumule des bibelots en leur donnant une « valeur affective ». Arrivés en fin de vie, nous croulons sous les objets dont nous nous apercevons qu’ils n’étaient que pures mirages vendus par les publicistes.

© Serge Muscat – avril 2022

1Cf Abraham Moles, Psychologie du kitsch, éd. Denoël, 1977.

2Cf Karl Marx, Le caractère fétiche de la marchandise et son secret, éd. Allia, 2020.

La montagne russe

 La chanson nous débarrasse de ceux qui se croient poètes

(Jean Cocteau)

 

 

Tu es une montagne russe qui donne le vertige et dont on ne peut prévoir ce qu’il y aura une fois dans la rapide descente. Je veux voyager sur les hauteurs et les creux de ton corps jusqu’à perdre la tête et sentir mon cœur palpiter, sans prévoir les sensations que m’apportera la prochaine descente qui ne mènera pas aux enfers.

Je ne trouve plus le sommeil, et toi seule peut m’aider à dormir sans ne plus penser à rien. Tu es mon hypnotique naturel qui me plongera dans des rêves qui ignorent les cauchemars.

 

J’ai tant rêvé

J’ai tant souhaité retrouver le sommeil, toi qui peuple mes insomnies. Ne plus prendre d’hypnotiques en m’endormant sous ton regard dans la nuit. Sentir ton corps contre mon corps, et dans la tiédeur d’une fin de journée, ne pas penser au temps qui passe. Vivre l’instant présent, préoccupé que je serais à regarder ta chevelure blonde. Évacuer le sordide du quotidien en le transfigurant dans des instants sans penser. La pensée est absence, et je te voudrais présente à chacun de mes pas.

Lecture de « Le virtuel au quotidien » d’Alain Gauthier

Il y a deux sujets dont on aime parler en ce début de 21e siècle : le virtuel et le transhumanisme. Nous laisserons ce dernier terme de côté pour nous occuper du premier. Ainsi Alain Gauthier, dans son ouvrage intitulé Le virtuel au quotidien nous dresse un tableau plutôt pessimiste du monde de l’informatique. Cependant il va au-delà de l’informatique pure pour nous parler d’une société entière plongée dans le virtuel. De tous les thèmes qui sont traités dans ce livre, nous ne retiendrons que quelques points qui ont attiré notre attention.

Le livre et le numérique

Tout d’abord l’auteur nous parle des livres numérisés et du compactage du travail de l’écrivain sous la forme de fiches-écran qui dénaturent l’écriture et la complexité de la pensée. Cependant il faut commencer par dire que le livre numérique n’a pas eu le succès escompté. L’informatique a servi au contraire à favoriser l’essor du livre papier.

Ainsi de grandes plateformes de vente en ligne de livres se sont développées et sur lesquelles les librairies traditionnelles peuvent mettre en vente une partie de leur stock. Ces plateformes ont également transformé les lecteurs en bouquinistes intermittents où chacun peut vendre des livres, augmentant de ce fait la diffusion de l’imprimé.

L’analyse détaillée d’Alain Gauthier du livre électronique est ainsi rendue caduque car en cette année 2022 c’est le papier qui est privilégié, avec par exemple le développement de l’impression à la demande. Le document numérique n’est utilisé que dans des cas bien précis qui restent minoritaires par rapport au livre papier.

La consommation de masse

Ensuite le concept d’énergie nulle avec sa conséquence la consommation de masse au prix le plus bas n’est que très peu liée au virtuel. Les inégalités sociales étant croissantes, les plus pauvres se retrouvent à consommer des produits à bas prix ou de seconde main. Alain Gauthier nous fait ici l’éloge du luxe sans voir que la majorité de la population n’a pas accès à cette catégorie de produits. Le tout minimum est la condition sans exception des classes populaires. Acheter un produit au prix le plus bas n’est pas un challenge mais une nécessité première pour ceux qui ont le salaire minimum pour vivre. Et la virtualisation n’a qu’un lien très lointain dans ce processus.

Le web marchand

D’autre part, en ce qui concerne la vente par le biais d’Internet, il est bon de faire quelques remarques. L’achat sur le web évite parfois de nombreux écueils. Ainsi le grand marché qu’offre Internet avec ses sites marchands et les comparateurs de produits avec leurs caractéristiques détaillées et leurs prix évite aussi bien souvent de subir la logorrhée des vendeurs qui incitent par des procédés psychologiques à vendre leurs produits à des acheteurs néophytes, tout en « gonflant » les caractéristiques des produits. La rationalisation de la présentation des produits permet de se prémunir de l’antique méthode « du marchand de tapis ». Le fameux souci du moindre effort permet en fait de faire un choix en utilisant moins ses émotions qui se déploient lors d’un contact directe avec un vendeur, lequel est astreint à réaliser le maximum de ventes.

Internet et l’évènementiel

Un autre point est celui de « l’énergie molle » dans l’évènementiel. Dans ce domaine il y a de plus en plus d’évènements qui sont relayés par Internet. Les explications que nous donne Alain Gauthier sur le caractère de plus en plus virtuel de ce genre de manifestations rejoint en fait les mêmes critères que la vente sur le web.

Les manifestations, les salons et les rassemblements divers ne sont pas « ramollis » par la diffusion sur le web. Cette diffusion permet une approche sous différents angles des sujets qui sont abordés. Ce n’est pas vraiment une nouveauté puisque les journalistes effectuent au quotidien ce type de travail qu’est la médiatisation de rassemblements divers.

Ce n’est pas la diffusion des cours du Collège de France sur le web qui ramollit les conférenciers ou les auditeurs qui suivent les cours. C’est au contraire une manière de toucher un plus large public, notamment ceux qui se trouvent éloignés géographiquement du Collège de France.

La virtualité du jeu

Pour ce qui est de la virtualité du jeu, il y a sur ce sujet de nombreux débats. Le jeu informatique est coupé du réel. C’est un algorithme autonome où la réalité est simulée, c’est-à-dire basée sur des théories provisoires et simplificatrices de la réalité. L’aléatoire est un pseudo aléatoire reposant sur des calculs qui n’ont aucune correspondance avec l’infinie complexité du réel qui reste toujours à déchiffrer. Lorsqu’on joue contre l’ordinateur sans autre intervention humaine d’un autre joueur, nous sommes face à un univers où tout semble maîtrisable en développant un certain savoir-faire. Aussi finit-on toujours par contrôler le programme du jeu à force d’expérience.

Alain Gauthier nous parle du jeu dans son ensemble : les cartes à gratter, le loto, etc. Il mélange les jeux qui font intervenir un ordinateur et les jeux de pur hasard. De plus nous sommes ancrés dans le réel, ce qui n’est pas le cas avec le jeu vidéo.

Pour finir nous dirons qu’Alain Gauthier ramène le virtuel à l’ensemble des activités humaines. Cette vision englobante et généralisante n’est cependant pas totalement pertinente, car de très nombreux domaines échappent à la virtualisation. La multiplication des écrans n’a pas supprimé les interactions sociales directes. Dans toute l’histoire de l’humanité, nous n’avons jamais autant voyagé qu’en ce début de 21e siècle. Ce qui indique que l’homme ne se contente pas seulement du virtuel et qu’il cultive également l’empirisme et l’expérimentation

Je tangue

J’ai tant attendu que l’espoir se lève sur cette ville où tous les scintillements nocturnes brillent comme la blancheur de ton visage, où tout me fait penser à ton regard clair, à ta vivacité, à ton énergie déchaînée, comme l’océan peut l’être parfois ; à tes mains si fines qu’elles ne semblent pouvoir briser le moindre objet ou froisser la moindre fleur.

Je me perds dans un quotidien qui n’a aucun sens, dans ces jours qui semblent tous identiques, comme une morne machine fabrique des produits sortis d’un seul et même moule. Je me perds et pense à toi qui accélère mon cœur lorsque je te vois.

Je pars à la dérive comme une barque incapable d’affronter la mer. Je fais tout par automatisme, comme une machine qui n’attend que toi pour enfin laisser la place à l’imprévisible, pour enrayer ces rouages et me libérer du connu.

Source d’émerveillement, je sens les palpitations de ton être comme si elles venaient de mon propre corps. Fusionner avec toi, comme deux étoiles font l’amour pour donner naissance à ce que l’univers a de plus indéchiffrable. Je pars à la dérive mon amour qui ne sais avec quelle puissance je t’aime, jusqu’à ne plus me comprendre moi-même. Je suis ivre de toi, et les mots sont peu de chose pour exprimer cette sensation de bonheur lorsque m’apparaît ton visage. Je sombre dans les confins du néant. Ne me laisse pas seul, sans toi la vie n’est qu’un non-sens

Ivresse

Je tresse une corde pour descendre le long de mon verre. Une corde faite de mes cheveux, mais qui a la solidité d’un filin d’acier. Je descends, je descends, sur une distance qui me semble lointaine et que je sais pourtant finie.

Ce n’est pas la descente aux enfers, non ; mais plutôt une sorte de parcours où il y aurait des fleurs sur chaque bord. Des fleurs qui me parleraient, qui me diraient que je suis sur le bon chemin, que tout ira bien, et que demain sera meilleur qu’aujourd’hui.

Je descends, je descends, vers où brille la lumière, où le monde serait entièrement bleu, comme les notes bleues d’une musique qui m’accompagnerait. Au loin, tu serais là, à te promener, à dire bonjour aux papillons dont la vie est trop brève. Je franchirais des distances qui me sembleraient très grandes, pour enfin m’approcher de toi et entendre ta voix.

Le filin tient toujours, et je descends toujours et encore. Cela me semble être infini, bien que je t’aperçoive vêtue d’une robe bleue, cette robe bleue que tu portais il y a plus de vingt ans, lorsque l’été approchait. J’étais alors très triste de te voir partir. Et tout en descendant, je suis toujours aussi triste, car plus je pense m’approcher de toi, et plus tu sembles reculer comme l’horizon.

Alors je descends encore, sans savoir s’il existe une matière enfin solide que j’atteindrai bientôt. Mais tout parait irréel, comme si tu étais un hologramme que je ne pourrai jamais toucher. Le filin s’étire toujours ; et je ne sais plus quelle est la distance parcourue.

Je voudrais que le filin casse, pour enfin t’atteindre et t’embrasser. Mais il résiste toujours, et c’est comme si j’étais irrémédiablement accroché à lui, pour descendre encore et encore, sans que je puisse voir tes yeux bleus et élaborer la géographie de ton visage, sans réussir à ce que tu deviennes enfin réalité.

Le serveur me demande si je souhaite la même chose. Je lui réponds que non, et sors du bar bondé

© Serge Muscat – 2013.

Le temps et le papillon

Le temps a passé. Je suis resté hypnotisé par ton être. Que c’est court une vie d’homme comparée à la longévité d’un arbre. Ma vie est celle d’un papillon de nuit se collant à une lampe électrique. Tu es cette lampe, cette lumière éphémère que j’aperçois au loin et qui, pourtant, réchauffe un peu mes ailes.

Le temps a passé sans que je m’en aperçoive. La passion est intemporelle, je viens d’en faire l’expérience. Je sais à présent ce que signifie le mot « toujours », que j’écrivais spontanément il y a plus de vingt-cinq ans. Toujours est de si courte durée, qu’il ne faudrait pas le prononcer.

Je suis ce papillon de nuit qui cherche ta lumière. Ne me laisse pas dans l’obscurité.

L’amphithéâtre où ma vie bascula

Intrigué par l’intitulé d’un cours sur les arts, je me risquai à découvrir ce qu’il y avait derrière ce titre mystérieux. C’est alors que, tout en écoutant le professeur, je te vis. Mon cœur accéléra son rythme et ce fut la tempête dans mon esprit. Je n’entendais plus les propos de cet enseignant tant j’étais fasciné par toi qui prenais des notes. Je cherchai une solution pour me rapprocher de toi, mais nous étions dans un amphi rigide où il demeurait difficile de se déplacer.

Durant tout l’exposé je t’observai, avec l’espoir que tu comprendrais ce qui se passait en moi. Les trois heures du cours s’évaporèrent en n’ayant pris aucune note. Ma seule préoccupation était de savoir comment je pourrais aller te parler. La fin du cours arriva et tu disparus. Je n’avais qu’une seule hâte, celle de te revoir à la prochaine séance.

Les jours s’écoulèrent et soudain je t’aperçus dans l’université. Il fallait absolument que j’aille te parler et faire ta connaissance. Comme dans l’amphithéâtre, mon cœur palpitait. Ne sachant pas quoi te dire, je suis allé à ta rencontre et je t’ai demandé tes notes de cours. Et c’est là que toute ma vie bascula.

De l’obscénité du réel à l’homme qui voulait tout voir

Avec le développement de la micro-électronique, notre époque est celle de l’image enregistrée sous toutes ses formes. Les caméras miniatures sont par exemple incorporées un peu partout, jusque dans les objets les plus inattendus.

Cette faim de tout voir, cette pulsion scopique insatiable nous amène à nous poser bien des questions sur ce début de 21e siècle. Il semblerait que la fameuse caverne de Platon ait beaucoup de succès en ce troisième millénaire. (suite).

L’informatique, le virtuel et les médias

Depuis l’invention des premiers calculateurs, comme la machine de Pascal, jusqu’à nos ordinateurs actuels sous toutes leurs déclinaisons, l’informatique a profondément modifié la société. Par exemple l’invention des caméras numériques, même si le cinéma reste fidèle à la pellicule, a démocratisé l’image animée. Tout un monde parallèle au cinéma proprement dit s’est développé. Puis, dans l’élan de miniaturisation qui caractérise le 21e siècle, sont apparus les smartphones. Cette invention fut le plus bel exemple de l’union de l’image et de l’informatique. Peu à peu, l’informatique s’est liée avec de nombreuses disciplines. C’est ainsi qu’avec le film Matrix la technique aide à exprimer des idées et à illustrer le champ philosophique1. Gilles Deleuze disait que l’on a toujours une idée en quelque chose, qu’une idée pure n’existe pas. Le cinéma, avec son propre langage, permet donc de proposer des concepts.

Avec l’informatique déclinée sous toutes ses variantes, nous avons là un outil polymorphe, en bref un hypermédia. Aucune technologie ne peut rivaliser avec cette invention. Il serait cependant imprudent d’idéaliser l’ordinateur. La possibilité de vivre une vie à la Second Life, immergé dans un univers tout entier informatisé, pose également de nombreuses questions.

Si le concept est utile pour penser, la perception a également son mot à dire dans le processus de la connaissance. Le monde des idées, qui nous aide par exemple à identifier une table à partir du concept de table, dépend aussi de la perception. Un concept sans percept ne nous est pas d’une grande utilité. Notre monde est fait de concepts et d’outils2. Et l’ordinateur est une machine qui brasse des signes. L’informatique nous plonge dans le lieu du performatif. Ainsi ce qui se dit sur un ordinateur déclenche immédiatement une action. C’est là toute son ambiguïté. C’est une technique singulière où le langage peut être à chaque instant transformé en actions réelles et cependant également symboliques.

Le virtuel et ses avatars

La perception du monde est par ailleurs placée entre des intermédiaires lumineux que sont les écrans. De ce fait la notion du temps et de la géographie est totalement modifiée. Paul Virilio en parle dans ses ouvrages intitulés : L’inertie polaire et Ville panique. Et toute son œuvre en générale porte la marque d’un certain pessimisme. Il n’a cependant pas vu certaines composantes liées aux écrans et qui peuvent être également développées bénéfiquement. Tout est une question de pondération. Si l’écran a engendré la télévision, l’écran est aussi au service des ordinateurs et des réseaux. La grande erreur est de confondre la télévision avec l’ordinateur, même si l’on peut regarder la télévision sur un ordinateur. La télévision est un média qui ne traite aucune information et qui de plus communique à sens unique. Il n’y a qu’un seul émetteur pour des millions de récepteurs.

Pour revenir au virtuel, celui-ci se développe comme par exemple l’immersion totale dans les jeux vidéo, jusqu’à faire perdre au joueur toute perception du réel. Il est bien difficile de définir toutes les modalités de ce que l’on nomme le virtuel. Du reste, ce mot dérive du latin médiéval virtualis et signifie : « qui n’est qu’en puissance ». Le monde du virtuel serait donc un monde en puissance mais non encore réalisé. C’est une réalité en gestation, comme un pilote d’avion de ligne s’entraîne dans un simulateur avant de pratiquer son premier vol avec des passagers.

Programmer n’est pas prouver

Il y a quelques années, une revue de vulgarisation scientifique titrait sur sa page de couverture : « Programmer c’est prouver ». Ce qui signifie en d’autres termes que l’empirisme et les expérimentations ne sont plus d’aucune utilité. Créer un modèle théorique sans passer par l’expérimentation et l’observation relève de l’idéalisme. La simulation sur ordinateur n’est pas le réel, mais une simplification de celui-ci. C’est faire entrer le réel dans le cadre d’une théorie, laquelle reste réfutable.

D’autre part nous convenons que l’observation du réel est également déterminée par les schémas conceptuels. Le « réel brut » n’existe pas. Le réel se dérobe sans cesse à nous. Aussi dire qu’une simulation informatique « reproduit le réel » est-il un abus de langage. Un algorithme n’est que la mise en application d’une théorie toujours provisoire. Donc dans l’esprit du grand public, l’ordinateur « dit la vérité ». Ceci ne remet toutefois pas en question la grande utilité de cette machine. Mais de là à dire que l’ordinateur simule le réel est excessif.

Le village global est-il réellement global ?

Marshall Mc Luhan, dans son ouvrage La Galaxie Gutenberg, nous parle d’un monde communicant grâce à l’imprimerie et aux médias de masse. Cependant ce que cet auteur n’a pas prédit, c’est que loin de former un village global interconnecté, il y a en fait une nouvelle création de groupes spécifiques. A son époque, Internet n’existait pas. Lorsqu’il parlait de médias chauds et de médias froids, il n’existait en fait que quatre médias : l’imprimé, la radio, la télévision et le téléphone. A la place de tout relier, il y a une « tribalisation » de la société avec Internet. L’ordinateur est-il un média chaud ou un média froid ? Il est difficile de le dire ; c’est un mixte des deux.

Avec le nombre croissant de médias, dont le dernier est le smartphone, il existe en fait une société « atomisée ». Il n’y a en fait pas de village global comme le pensait Mc Luhan. Il n’y a jamais eu autant de groupes distincts malgré Internet. Loin d’obtenir un brassage culturel, les médias anciens et actuels sont utilisés pour reformer des groupes. Quant à la télévision, média de masse par excellence, elle ne fait que « diversion » pour brouiller les problèmes essentiels. Pierre Levy3 nous dit qu’on doit considérer le cyberespace en le distinguant « d’abord de la télévision, qui ne cesse de désigner des puissants ou des victimes à des masses d’individus séparés et impuissants ».

L’écriture manuscrite et l’ordinateur

Le papier et l’écriture servent depuis longtemps à augmenter la réalité. Mais avec l’ordinateur nous faisons un pas de géant dans cette augmentation. Car l’ordinateur n’est pas un support passif et réalise du traitement de l’information. Un traitement sur le texte, l’image et l’audio. L’ordinateur est donc un support complet. C’est un outil très efficace venant en complément du support papier, l’un n’excluant pas l’autre. D’autant plus que l’écriture manuscrite développe de nombreuses facultés très utiles dans la structuration d’un individu.

Par ailleurs des logiciels sont développés pour la reconnaissance de l’écriture, ce qui fait qu’en scannant une page manuscrite, elle peut être traduite en caractères d’imprimerie. Dans ces conditions, le clavier ne devient plus indispensable, ou tout au moins plus exclusivement.

De ce fait, le livre et le document manuscrit ont encore un bel avenir

© Novembre 2022.

1Cf Alain Badiou, Matrix, machine philosophique, éd. Ellipses, Paris, 2013.

2Cf Jean Gagnepain, Du vouloir dire : traité d’épistémologie des sciences humaines, vol. 1, Paris, éd. Livre et communication, 1990.

3Cf Pierre Levy, Qu’est-ce que le virtuel, éd. La Découverte, Paris, 1995.

 

La connaissance utile suppose-t-elle une connaissance inutile?

(PDF)

Parler de l’utilité d’une connaissance amène à nous poser la question de savoir ce que l’on appelle « utile ». La peinture est-elle utile, la musique est-elle utile, la philosophie est-elle utile ? Si comme le disait Vladimir Jankélévitch lors d’une conférence, un couteau sert à couper, une fourchette sert à manger, mais à quoi sert la philosophie ? Ou alors nous pourrions dire également à quoi sert la littérature ou la poésie en particulier. Et les questions seraient ainsi sans fin.

Il semble en fait que toutes les activités humaines soient utiles et nécessaires. Aussi dire d’une connaissance qu’elle est utile reste sans signification car toutes les connaissances sont utiles à partir du moment où elles apportent du sens.

Si selon la pyramide de Maslow la connaissance utile est celle qui se trouve tout en bas de la pyramide, alors nous pourrions penser que l’agronomie fait partie des connaissances utiles par excellence. Seulement ce n’est pas aussi simple que cela. Les activités humaines ont depuis longtemps été très diversifiées. Et sur l’histoire de l’humanité, l’industrie n’est qu’un point minuscule qui s’est substitué à l’artisanat. Dire que l’industrie repose sur des connaissances utiles est aussi absurde que de dire que l’espèce humaine a atteint son point culminant avec la réalisation des usines. Une civilisation ne se mesure pas à la taille de son industrie. Le degré de civilisation est aussi la structure sociale d’une société, sa production artistique et culturelle au sens large, et une multitude d’autres facteurs.

Le questionnement sur les connaissances utiles et non utiles rejoint la polémique sur les activités essentielles et non essentielles durant la pandémie de Covid-19. Il y a en fait une intrication généralisée entre tous les champs de la connaissance, et tout est relié par des boucles systémiques. Dans ces conditions, il est impossible de modifier un élément sans en même temps modifier tout le système. Par conséquent, tout élément du système est utile et essentiel. Déjà Auguste Comte avait essayé de dresser une hiérarchisation des savoirs avec le positivisme. Hiérarchisation arbitraire car il n’y a pas de hiérarchie mais des relations liant toutes les sciences entre elles.

Dans notre société capitaliste l’utilité d’une science est corrélée avec sa rentabilité économique. En d’autres termes, ce qui se vend est utile. Lorsque l’on ramène toutes les activités humaines à des critères économiques, il y a forcément des sciences « perdantes » qui semblent ne pas avoir une grande utilité. Il en est ainsi, par exemple, de la linguistique dont la seule application industrielle serait les applications informatiques comme le traitement de la parole. Ce sont les partisans de la connaissance dite utile qui dénigrent ce genre de science comme la linguistique. Un master de ressources humaines se vend incomparablement mieux qu’un master de phonologie. Par contre, l’économie qui est une science de l’imprécis est nettement mise en avant parce qu’elle traite notamment de la propriété, des coûts et des profits.

Pour revenir à la connaissance dite « utile » qui fait grossir le PIB d’un pays, il est clair que, par exemple, la sociologie n’est pas une science que les patrons affectionnent. Un sociologue à l’usine n’est pas un élément indispensable pour faire fonctionner les chaînes de montage. De plus, le sociologue fait souvent émerger des informations qui dérangent les patrons et ceux qui dirigent la société. Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant en sont des illustrations pertinentes. Il faut bien voir que le taylorisme ne se préoccupait guère du confort et de la santé des ouvriers. Le profit est le seul critère qui importe dans la stratégie des patrons. Aussi un sociologue est-il un élément perturbateur dans une organisation. Ses connaissances ne sont pas utiles dans une usine. Quant au psychologue qui est censé dans la société apaiser les maux des travailleurs, il a également un double rôle en sélectionnant les employés au service des ressources humaines. Les « mauvais éléments » sont écartés de l’entreprise par le psychologue.

La psychologie est ici une science utile lorsqu’elle est au service de l’entreprise. Dans le cas contraire elle s’oppose à l’entreprise lorsqu’elle prescrit par exemple des arrêts de travail pour un burn-out causé par un chef tyrannique.

Nous voyons donc que la notion d’utilité est ambivalente, et que ce qui peut sembler inutile peut être très utile dans certaines situations. Aussi la polémique sur les activités utiles et celles inutiles est-elle vaine.

Passé, présent, futur

Durant notre vie, nous passons d’un pur présent, avec un accès au passé et au futur extrêmement limité, à une modulation progressive du temps sur une échelle toujours plus vaste. Lorsqu’on est enfant, les dinosaures semblent faire partie du présent et le futur nous paraît inaccessible et magique. Puis, peu à peu, nous accédons à la notion de passé en dépassant le cadre de notre propre existence. Quant au futur, il commence à prendre de la consistance et nous disons : « Quand je serai grand je veux être voyageur ». La durée du futur se précise au fur et à mesure que nous grandissons. Certains d’entre nous auront un penchant pour le passé, alors que d’autres auront plutôt l’esprit orienté vers le futur. Et dans tous les cas, la perception de notre finitude commence à se faire jour en voyant autour de nous les gens mourir. C’est à partir du moment où nos proches décèdent que nous acquérons avec acuité la notion de temps.

Des journées infiniment longues de l’enfance nous passons à la sensation que notre vie se rétracte comme on froisse en boule une feuille de papier. Les journées deviennent de plus en plus courtes et les mois passent comme un bolide lancé sur un circuit de compétition. Qu’importent les aiguilles de notre montre qui battent imperturbablement la cadence des secondes et des minutes ; nous perdons inexorablement la notion de temps et tout s’accélère comme à la vitesse de la lumière.

Les médias nous annoncent sans cesse des disparitions d’hommes et de femmes, et le futur se télescope au fond d’un verre de bière que nous buvons en croyant ainsi arrêter les horloges atomiques. Puis la nuit tombe et nous allons nous coucher avec l’espoir incertain que demain la journée sera plus longue, tout en retrouvant au réveil l’émerveillement du regard de l’enfance.

Serge Tisseron nous parle de publicité et de propagande

La publicité et la propagande sont partout. Certaines chaînes de télévision et de radio ne vivent que de ça. Lavage de cerveau généralisé, la publicité n’est pas interdite par la loi et il ne nous reste donc qu’à nous en protéger. Serge Tisseron nous propose ici une analyse de la publicité de masse qui pourrait être une initiation pour les personnes non aguerries à ce genre de pratiques. Les propos qui vont suivre peuvent servir d’éducation aux médias et de bon antidote contre les marchands de rêves. Cliquer ici.

Je me suis électrocuté avec un vélo électrique

C’est le résultat du progrès, tout devient électrique. Vélos et brosses à dents fonctionnent aux électrons, et Nicolas Tesla devient une marque de voitures électriques. Les physiciens s’unissent pour tenter de maîtriser cet électron qui ne veut pas livrer ses mystères.

La Terre va devenir une gigantesque batterie qui finira par ne plus trouver de chargeur et l’homme mourra électrocuté par un Teiser indiscret. Dans 500 ans tous les produits fabriqués seront traversés d’électrons. Nous serons passés du simple éclair orageux au millefeuilles électronique généralisé, accompagnés par des photons canalisés circulant sur toute la planète au moindre de nos gestes, pour alimenter les ordinateurs quantiques.

Je regarde tout cela d’un œil étonné, en cueillant une dernière marguerite dans la dernière clairière pas encore transformée en usine à batteries. Je vais dormir un peu, avec l’espoir que mes rêves ne deviendront pas un jour également électroniques.

(mai 2022)

La Seine m’est devenue étrangère

« L’idée de voyager me donne la nausée
J’ai déjà vu tout ce que je n’avais jamais vu
J’ai déjà vu tout ce que je n’ai pas vu encore »

(Fernando Pessoa)

Les poètes ont tant écrit sur la Seine, sur ce fleuve qui traverse Paris, que je me demande souvent si je ne suis pas devenu malvoyant lorsque je longe les quais parisiens, là où les bouquinistes disparaissent progressivement, concurrencés qu’ils sont par la vente sur internet.

La Seine n’est jolie que lorsqu’on a vingt ans et que l’on est amoureux sous le soleil de juin. Sinon c’est une eau boueuse et verdâtre dans laquelle quelques poissons tentent vainement de survivre. Elle s’est transformée en cible pour smartphone où les touristes mitraillent de mauvaises photographies et raconteront fièrement à leurs amis qu’ils sont allés à Paris.

Voyage impossible vers la capitale où tout n’est qu’artifice et simulacre. Ville-monde irrespirable comme toutes les villes-monde. Ville où le désespoir y est plus doux, comme disait Cioran. Cette ville m’est devenue étrangère. Étrangère parce que tout y est étrange dans son caractère surfait. Fourmilière qui n’est pas à une taille humaine. Anonyme parmi les anonymes, tout se perd dans une relation d’équivalence et d’uniformisation généralisée à toute la planète. Et la Seine n’est qu’un cours d’eau bordé d’architectures ayant perdu leur substance. Apollinaire devient anachronique avec ce fleuve survolé par des drones.

Je continue mon chemin sans détourner mon regard vers le cours d’eau.

© Serge Muscat.

La technique et ses dérives

Ce 21e siècle est le siècle de la technique. Toute connaissance doit désormais aboutir à une technologie concrète. Nous sommes happés par la gadgetisation de la société. Monde du couteau suisse avec lequel nous voudrions nous tailler une vie sur mesure. Si la technique nous aide à vivre, elle n’est cependant pas la totalité des connaissances humaines. Et toute connaissance n’aboutit pas obligatoirement à une technologie. Ce n’est pas la technique qui donne l’orientation d’une vie. L’ingénierie de la connaissance reste tributaire des techniques de l’ingénieur. Et l’ingénieur ne théorise pas, ou très peu. Il fabrique seulement. Le correcteur orthographique n’est pas la linguistique et le moteur de voiture n’est pas la physique. Les techniciens sont les sophistes de la philosophie. C’est ce qui fait la différence entre un Thomas Edison et un Nicolas Tesla. Le premier est un technicien sans vergogne, alors que le second est un savant.

Dans notre société de consommation qui dure depuis cinquante ans, nombreux sont ceux qui ne savent pas discerner l’accessoire de l’essentiel. Tous les savoirs ne sont pas sur le même plan. Il y a des connaissances qui aident à vivre, et d’autres qui au contraire nous agitent et nous égarent. Comme le dit Bernard Stiegler, « il y a eu un bel âge de la consommation1 », avec des produits utiles en soulageant les individus des tâches quotidiennes. Puis la technique s’est généralisée à toutes les activités humaines. Or la technique ne pense pas, ou du moins ne pense pas aux conséquences de ses actions. La technique a un champs de réflexion très restreint. Elle ne s’occupe de sciences que si cela est utile à la fabrication d’un produit.

Nous arrivons à un stade où l’industrie touche tous les secteurs de l’activité humaine. Nous ne pensons pas que cela soit une bonne chose, notamment dans les domaines de la culture et de l’enseignement. Que les universités deviennent des entreprises est néfaste pour la connaissance et la recherche fondamentale. Du reste, les grandes écoles (qui sont calquées sur le modèle des entreprises) ne font quasiment pas de recherche fondamentale. Pour cette dernière il faut se tourner du côté des universités et des instituts de recherche.

La ruse technicienne

La ruse technicienne repose sur « l’art accommoder les restes ». C’est un savoir-faire beaucoup plus qu’un savoir théorique, la théorie étant ce qui rend compte du réel. Pas de grande découverte, donc, chez le technicien, mais le système D. Fabriquer des produits avec les théories existantes, telle est la tâche du technicien. L’innovation se fait avec l’existant, jusqu’au moment où l’on fait des découvertes dans les sciences fondamentales. Et il faut beaucoup de temps pour trouver des applications à une découverte. L’utilitarisme des entreprises est rarement en résonance avec le monde de la recherche fondamentale. Il est par exemple bien difficile de trouver une application à une découverte archéologique. Et ce n’est ici qu’un cas de figure parmi beaucoup d’autres. La manie de vouloir appliquer les connaissances à la technologie est une maladie récente dans le long chemin de l’histoire des sciences. Cette maladie se nomme le libéralisme, qui a pour corollaire le profit. Or on ne fait pas de profit en produisant des connaissances dont la seule utilité est de connaître.

Si on savait ce que l’on cherche, on ne ferait plus de découvertes !

La bêtise technicienne n’a jamais rien compris à ce qu’était et sera la recherche fondamentale. Bien souvent hommes aux gros doigts, les techniciens ne sont bons qu’à bricoler. Et quand ils sont entrepreneurs, ils s’occupent du concret le plus primaire. Ils ont, ce qu’appelait Pierre Goguelin, une intelligence concrète. Expression paradoxale puisque ce qui caractérise l’intelligence est justement la capacité à faire des abstractions !

Tant que les entreprises voudront orienter la recherche des chercheurs, il n’y aura pas de découverte majeure. La liberté du chercheur est la condition première pour essayer de trouver quelque chose. La recherche n’est pas de l’ingénierie contrairement à ce que croient beaucoup de gens. Et du reste, en sciences humaines et sociales, je ne vois pas ce que pourrait trouver un ingénieur. A moins qu’on invente par exemple l’ingénierie de l’anthropologie !

Pour conclure, je dirais que ce 21e est d’une médiocrité accablante tant nous sommes envahis par la culture technologique. La recherche fondamentale est tournée en dérision par les hommes de la technique qui veulent toujours avoir le dernier mot en fabriquant une nouvelle machine. Si l’avenir est de transformer l’humain en machine (comme le pensent les transhumanistes), alors il n’y a plus rien à dire et à faire sinon bricoler dans un garage, comme Steve Jobs, pour fabriquer des robots supérieurs à l’homme et qui permettront de devenir milliardaire.

© Serge Muscat, Octobre 2020.

1Cf Bernard Stiegler, Ars industrialis, Réenchanter le monde, éd. Flammarion, 2006.

Petite traversée dans le monde du tourisme.

Comme l’a si bien montré Michel Houellebecq, il n’y a rien de plus simple que de se transformer en touriste. Il suffit de franchir la porte de n’importe quelle agence de voyage et de se « laisser guider » depuis le départ jusqu’au retour. Tout est prévu d’avance et est soigneusement planifié. Le parcours du zoo humain est balisé et toutes les sécurités sont là pour parer à l’imprévu.

Les touristes ont la particularité de dépenser leur argent dans le pays où ils arrivent. Ils sont donc une sorte de « ressource » financière que les pays s’arrachent. L’industrie du tourisme est une grande usine qui rapporte beaucoup d’argent. Mais que signifie exactement être touriste à l’ère des « loisirs programmés » ?

Le touriste comme parfait anti-chercheur ou l’idiot qui regarde tout ce qu’on a prévu de lui montrer

Le touriste ne fait essentiellement attention qu’à deux choses : l’architecture et la cuisine locale. Tout le reste lui échappe. La population touristique est un peu particulière. Elle n’a aucune ressemblance avec ce que l’on nomme un sociologue ou un ethnologue. Le touriste d’agence de voyage est par définition aveugle et sourd. La seule chose qu’il souhaite est de se « distraire ». Et les agence de voyage ont tout prévu pour réaliser ce souhait.

Le propre d’un parcours touristique est d’être justement un « parcours », c’est-à-dire une suite de lieux prévus pour être regardés. Alors se pose la question de savoir pourquoi ce parcours plutôt qu’un autre a été choisi ? Cette question élémentaire, le touriste ne semble pas se la poser. Il écoute avec attention ce que « l’animateur » a choisi de lui dire et de lui montrer. Et lorsqu’il n’y a pas d’animateur, le touriste suit le groupe majoritaire pour se rassurer, en se disant que « puisque tout le monde va dans cette direction, c’est qu’il y a quelque chose à voir ». Aussi ces touristes ne regardent-ils rien d’autre que ce que l’on préparé pour eux afin de ne pas voir ce qui serait gênant.

Une culture n’est pas seulement l’architecture et la cuisine locale

Ce qui se présente en premier lieu au touriste est l’architecture. La plupart du temps s’opère une vision sommaire des bâtiments qui donne une vague idée de la culture dans laquelle il est immergé. Et comme il faut se nourrir trois fois par jour, en second lieu intervient le type de cuisine que trouve le touriste dans l’endroit où il séjourne. Et encore, ces deux éléments peuvent être fabriqués dans une autre culture, comme par exemple dans les grandes chaînes d’hôtels internationaux de cinq étoiles, où les personnes vivent en circuit fermé sans avoir de contacts approfondis avec la vie des habitants du pays.

Le touriste est de ce fait aux antipodes de ces étudiants qui vont étudier à l’étranger. Car le touriste n’étudie rien et n’est bon qu’à prendre de mauvaises photos qu’il montrera à ses amis avec fierté. La population touristique se déplace par ailleurs en grands groupes afin de former une micro-société, une sorte de bulle dans laquelle les individus préservent leur culture sans se mélanger à la culture locale, ou alors avec une grande distance. Pour toute médiation ils ont un animateur qui leur explique dans leur langue l’histoire de telle ou telle architecture ou de telle place publique. Le touriste est satisfait de ce pâle vernis culturel que distille l’animateur. Le soir, chacun rentre dans sa chambre d’hôtel en imaginant des histoires plus ou moins féeriques qu’il racontera à ses amis et collègues de travail en espérant les faire rêver.

Le retour

Le touriste doit bien revenir dans sa tribu. Son séjour « artificiel » ne lui a pas appris grand-chose sinon savoir dire bonjour, au revoir et merci dans la langue du pays qu’il a visité. Il a rapporté des gadgets fabriqués en Chine en se disant que ces objets sont le reflet de la culture du pays où il a séjourné. Il doit retourner au travail, supporter son chef de service autoritaire et qui pratique le taylorisme. Il ne lui reste plus qu’à faire de nouvelles économies pour pouvoir faire un autre séjour touristique dans un autre pays par le biais d’une agence de voyage. Et lorsque, ainsi, il aura « visité » une dizaine de pays, il se dira que c’est un aventurier qui a parcouru le monde

© Serge Muscat – Décembre 2017.

L’envers du décor

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Lorsque je vais au cinéma ou regarde une vidéo, comme la plupart des spectateurs, je plonge dans les profondeurs du rêve éveillé en percevant une réalité plus attirante que celle du quotidien à laquelle nous sommes tous confrontés.

A une époque où étaient diffusés des sitcoms sur TF1, j’ai voulu aller voir de plus près ce qu’il y avait réellement derrière ce petit écran qui fascine tant les foules.

Les sitcoms dont je parle s’intitulaient « Le miel et les abeilles », « Hélène et les garçons », « Premiers baisers », « Les filles d’à côté », etc. Toutes ces productions qui s’imposaient aux heures de grande audience provenaient d’AB productions, dont je n’avais alors jamais entendu parler. Je consultai donc un annuaire et trouvai l’adresse de cette société implantée à Saint-Denis.

*

La première chose qui me frappa lorsque je descendis du train était la grisaille qui pesait sur ce lieu. Une grisaille constituée par une crasse qui semblait s’être abattue sur toute l’architecture. Cet endroit de Saint-Denis ne recelait que des entreprises. C’était en fait une zone industrielle dans laquelle on pouvait trouver des locaux vastes à un prix modéré.

Lorsque je regardais les quelques cafés proches de la gare et les usines dressées les unes derrière les autres tout le long du chemin pour arriver chez AB productions, j’avais la sensation de traverser un gigantesque garage automobile. Tout, dans cet endroit, paraissait huileux, graisseux. De plus il émanait un vacarme épouvantable provenant d’une route à grande circulation sur laquelle défilaient d’interminables suites de camions. L’air était nauséabond et imprégné de gaz d’échappement.

Tandis que je marchais, je pensais à la quiétude bourgeoise dépeinte dans les sitcoms. Ainsi les émissions feutrées que diffusait TF1 étaient réalisées en ces lieux sordides. Comment pouvait-on avoir encore la force de sourire dans un endroit pareil ? Ces comédiens tant décriés par le milieu du cinéma avaient en fin de compte beaucoup de talent pour abuser ainsi les téléspectateurs. Venir ici chaque matin, dans un univers aux couleurs de plomb, et jouer des rôles d’étudiants amoureux et insouciants, alors qu’à cinquante mètres se trouvait le monde difficile des sous-prolétaires qui travaillaient dans les usines.

Alors que je réfléchissais à tout cela, j’arrivai soudain devant l’immeuble d’AB productions. L’architecture, assez basse, ressemblait à un grand hangar. Cependant, toute la surface était recouverte de panneaux de verre sur lesquels on pouvait voir se refléter la décrépitude industrielle environnante. Je m’approchai de l’entrée principale et entrai dans les studios.

Immédiatement je fus choqué par le contraste. A l’intérieur des murs aux teintes pastelles supportaient des photographies encadrées de tous les personnages qui jouaient dans les sitcoms. En franchissant le couloir qui menait aux plateaux de tournage, j’avais la sensation d’avoir changé de ville, comme lorsqu’on passait de Sarcelles à Neuilly. Deux univers antagonistes s’affrontaient à partir de ces quelques milliers de mètres carrés que comportait AB productions. Au dehors régnaient la misère et la violence sous des formes diverses, tandis qu’ici rayonnait autre chose, quelque chose de difficilement définissable d’où se dégageait une sorte de calme visuel. Peut-être était-ce dû à toutes ces photographies de vedettes du petit écran qui plongeaient le visiteur dans un rêve éveillé.

Lorsque j’arrivai enfin au bout du couloir, j’accédai aux plateaux de tournage. Ce fut soudain le désenchantement. D’un monde vaporeux, je passai à une réalité brute et brutale. Tout un tas d’équipements avec des treuils, des panneaux de bois peints, des chaînes, des lanières, des morceaux de ruban adhésif, des rouleaux de câbles électriques, des projecteurs, des caméras énormes d’où pendaient des tas de fils, bref, j’avais la sensation de me retrouver, comme tout à l’heure, dans un garage.

L’endroit où je me trouvais n’était pas véritablement un plateau de tournage mais plutôt le lieu où l’on rassemblait tout le matériel. Sur ma droite se dressaient des panneaux de bois de mauvaise qualité sur lesquels on avait grossièrement appliqué une couche de peinture. A première vue, ces panneaux étaient déplacés par des treuils fixés en hauteur. Parmi eux, il me sembla reconnaître un décor utilisé dans un sitcom. Ainsi, sans presque rien faire, le petit écran transformait le plomb en or. De ces vulgaires morceaux de bois jaillissait la douillette maison bourgeoise affichée sur des millions de téléviseurs. Telle une baguette magique, la caméra transformait tout ce qu’elle fixait avec son objectif. Et dans ces sitcoms, les situations les plus dramatiques se métamorphosaient en scènes d’humour, parfois cocasses, laissant penser aux téléspectateurs que le monde dans lequel ils vivaient portait la marque du merveilleux. Comme un antalgique calmait la douleur, la télévision apaisait les souffrances des hommes. J’en étais même arrivé à cette hypothèse que si les chaînes de télévision cessaient brusquement d’émettre, il y aurait une révolution parmi les populations.

Je continuai à marcher un peu au hasard et vit une grande porte dont l’un des deux battants était ouvert. Je m’avançai et glissai ma tête dans l’ouverture. Je découvris une très vaste salle comportant des rangées de sièges avec, tout au fond, une scène de théâtre. Je réfléchis un instant et pris soudain conscience que ce lieu était celui où l’on filmait les émissions en direct et en public de Dorothée. D’un coup tout bascula dans ma pensée. Ainsi ce n’était donc que cela… Dans cet espace inerte, mort et seulement éclairé par une faible lumière de veille, la magie du monde de la jeunesse avait totalement disparu comme l’image s’effaçant d’un poste de télévision lorsqu’on coupait l’électricité. Comment cet endroit presque sinistre avait-il pu, une fois retransmis par les caméras, m’apparaître comme étant enchanteur et identique aux visions de l’enfance? Ce n’était que le miracle de l’image animée qui embellissait les laideurs du monde.

Je détournai mon regard de cette salle et continuai ma promenade dans les locaux. J’entendis soudain des voix provenant de ma gauche, là où s’enfonçait un petit couloir. Je pris la direction de ce dernier et débouchai sur un plateau de tournage. Sans s’occuper de ma présence, des comédiens préparaient une scène dans un décor représentant l’intérieur d’un navire de croisière. Les hommes étaient habillés en uniforme de marin tandis que les femmes portaient des robes. AB productions c’était un peu cela : un navire de croisière échoué sur les récifs des usines sales et bruyantes. A quelques mètres de moi, je pouvais discerner tous les détails corporels et vestimentaires des comédiens. La vision en était tellement précise que toute magie avait disparu ; de cette magie qui se dégageait des films ou des photographies sur lesquels les imprécisions des formes étaient complétées par l’imaginaire du regardeur. Sur ce plateau de tournage tout me donnait une impression de rafistolage et de bricolage. Toutefois, il régnait une atmosphère conviviale et bon enfant.

Afin de ne pas trop me faire remarquer, je sortis du plateau et repris ma déambulation au hasard des couloirs. J’aperçus alors une porte ouverte qui donnait sur une salle obscure. Ou plutôt (je m’en rendis compte en m’approchant) une faible lumière émanait de la salle, cette dernière n’étant en fait qu’un autre plateau de tournage.

Seul au milieu de ce décor ayant quelque ressemblance avec les maisons de poupées, tout m’apparaissait avec une confuse étrangeté. Car ce décor que j’avais reconnu comme étant celui utilisé pour le sitcom intitulé « le miel et les abeilles » rassemblait en un seul lieu, sur un même niveau, toutes les pièces de l’appartement présentées dans l’émission. A ma droite je reconnus la chambre de jeune fille, un peu plus au centre il y avait la salle à manger, et à gauche se dressait le comptoir d’un bar où filles et garçons se réunissaient pour bavarder en flirtant. Comme lorsque je m’étais trouvé dans la grande salle utilisée pour les émissions en direct de Dorothée, un profond désenchantement me pénétra. Tout paraissait ici si étriqué, si fragile, que cela me donnait l’impression de visiter un appartement-témoin fabriqué à la hâte. Les murs séparant les pièces n’étaient constitués que de simples panneaux de bois dans lesquels étaient incrustées des fenêtres cachées par des rideaux. Les décors demeuraient après tout sans grande importance ; car le spectacle reposait sur les comédiens. Et sans eux, sur ce plateau désert, rien n’était capable d’allumer l’imagination.

Tandis que je regardais les détails de l’architecture, un groupe de cinq personnes entra sur le plateau. L’une d’elles faisait des commentaires en expliquant aux quatre autres le fonctionnement du plateau de tournage. Je ne pus déterminer si ces gens étaient des journalistes, des réalisateurs en quête d’un studio, ou simplement des techniciens venus étudier le fonctionnement des appareillages. La personne qui servait de guide donnait une profusion d’informations sur les projecteurs et l’éclairage en général ainsi que sur les caméras et le traitement de l’image. Le déballage de toute cette technique, mise au service des amours juvéniles dont relevaient les scénarios, déclenchait en moi une profonde nausée. Partout régnaient en fait la technique et la négociation. La douleur de la vie et la cruauté humaine demeuraient soigneusement camouflées sous des couleurs tendres et des plaisanteries anodines. Les monstruosités de l’existence se trouvaient noyées dans un verre de grenadine.

Pendant que le groupe de personnes continuait sa visite, je pris le chemin de la sortie du plateau avec, au fond de moi, une certaine amertume. Je passai à nouveau devant les décors en bois puis m’engageai dans le long couloir garni de photographies des vedettes du petit écran.

Une fois sorti d’AB productions, le contact avec l’extérieur me provoqua comme un électrochoc. Le ciel était toujours aussi gris, la route toujours aussi bruyante et l’architecture demeurait toujours aussi crasseuse. Le pas lourd, je pris le chemin de la gare et rentrai à Paris dans un train bondé de voyageurs.

© serge Muscat 2013

Lecture buissonnière de « Les sciences ça nous regarde » de Lionel Larque et Michel Pestre

L’environnement est une préoccupation récente car à l’époque du 18e siècle beaucoup d’entreprises polluaient les grandes villes. C’est ce qui ressort de l’article de Jean-Baptiste Fressoz. La pollution des usines dévastaient les cultures aux alentours sans que les compagnies agricoles eussent la possibilité d’intervenir. La disparité géographique où se trouvent ces usines produit des zones défavorisées socialement alors que les quartiers bourgeois ne possèdent pas sur leur sol ces usines polluantes. D’autre part les usines créent des quartiers ouvriers dépourvus d’équipement sociaux et culturels. Et ceci s’accentue avec la mondialisation où des quartiers entiers sont uniquement consacrés à la production industrielle.

Les brevets : un frein ou une incitation à la recherche ?

Depuis l’analyse du génome, le vivant est de plus en plus breveté, et les deux tiers de ces brevets sont détenus par des entreprises privées. Ainsi le profit financier devient l’élément moteur de l’incitation à la recherche. De plus, les détenteurs de brevets placent ceux-ci en situation de monopole en ce qui concerne la fabrication des produits directs et dérivés. Ce qui grippe toute la chaîne de la recherche. Aussi faut-il que les États interviennent pour modifier cette exclusivité qu’ont certaines firmes. Le cas de Microsoft est un très bon exemple de monopole absolu. La vente liée de Windows avec les ordinateurs est une vente forcée. Il a fallu des batailles juridiques interminables pour avoir la possibilité pour le client d’acheter un ordinateur sans Windows. Nous dépassons ici le cadre du monopole de brevet pour entrer dans le cadre du racket pur et simple. Pendant des dizaines d’années Microsoft, par sa situation de monopole, a empêché la recherche pour créer d’autres systèmes d’exploitation. Il a fallu que la licence libre apparaisse pour que d’autres systèmes voient le jour. De ce fait le brevet est un frein à l’innovation, un frein qui repose sur l’économie capitaliste.

La science au service des idéologies

La science n’a pas le monopole de la vérité. Les pires horreurs peuvent être produites au nom de la science. De plus la science n’est qu’un mode de connaissance parmi d’autres. Vouloir tout ramener à la science relève du scientisme. La science possède ses contradictions, ses impasses et aussi ses sectes. Elle n’est pas immunisée contre les dérives que l’on rencontre dans d’autres domaines de la connaissance. C’est au nom de la science que l’on tue, que l’on torture et que l’on fait des expériences abjectes. L’employeur principal des scientifiques à longtemps été le service des armées. C’est à cause des guerres que de grandes avancées scientifiques ont eu lieu. On nous présente souvent le scientifique comme étant un homme pacifiste et sage, en oubliant que des scientifiques sont aussi responsables de millions de morts.

Le passage des sciences aux technosciences

Les sciences existent depuis bien longtemps. Le désir de savoir fait partie de la nature humaine. Mais durant une longue période, la connaissance pure était détachée des applications directes de la vie quotidienne. Et ensuite on a demandé à la science qu’elle devienne une technoscience, en un mot qu’elle soit utile à la vie quotidienne. A partir de ce moment, le rôle des universités a changé. De simple société savante, elle est devenue une université faite pour former des personnes à un métier. La connaissance ne fut plus désintéressée et entra dans la sphère marchande. Et le processus n’a fait qu’évoluer dans ce sens jusqu’à nos jours avec un utilitarisme forcené. Nous en sommes à présent arrivés à un stade où il n’y a plus que des technosciences

(Janvier 2021)

L’impossible voyage, de Marc Augé

Le tourisme de masse est un phénomène récent. Dans son ouvrage intitulé « L’impossible voyage », Marc Augé nous dépeint un univers touristique avec une grande acuité concernant ce mal du 21e siècle. La planète est de plus en plus détruite avec ce tourisme qui ne ressemble en rien à un voyage d’étude, comme cela se pratiquait avant ce tourisme de masse. L’auteur analyse ici le kitsch généralisé de ce marché qu’est le tourisme. Si nous continuons sur cette pente, il n’y aura bientôt plus de ressources à cause de ces voyages où tout est artificiel. Marc Augé lance ici un appel avant que le monde ne se transforme en un gigantesque parc d’attraction où les hommes seront totalement aliénés.

Paris

Je n’ai jamais pu comprendre ce qui fascinait tant les touristes dans cette ville que l’on nomme Paris. Tout y est artificiel et sent le piège commercial pour attirer le passant et lui vider son porte-monnaie. La ville de lumière n’est qu’un gigantesque commerce où la plupart se font plumer dans des distractions stupides et qui n’ont aucune substance sur les éléments essentiels de la vie. Paris n’est belle que lorsqu’on est amoureux et que l’on fait plus attention aux yeux de celle qu’on aime qu’à ses marchands de pacotilles. Tout y est superficiel et vulgaire. Avec le temps, je ne fais plus attention à la laideur de cette ville qui transpire l’artifice. Paris n’est faite que de marchands avides que je méprise. Finir sa vie dans cette ville est un non-sens total. Mais on s’habitue à l’horreur, aux mensonges des commerçants, à toute cette puanteur de la société de consommation. Paris est une ville abjecte, tout juste bonne pour réaliser des cartes postales. Mais l’habitude nous joue des tours, et pour partir il ne faut pas être seul.

Regards croisés sur quelques séries

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Série qui n’a pu être imitée, Chapeau melon et bottes de cuir possède néanmoins des éléments filmiques communs avec les autres séries télévisées des années 70 comme Les envahisseurs ou Le prisonnier. Cette période était florissante pour ce qui concernait la créativité. Il faut dire que toute cette ébullition était également liée à la guerre froide et à la fin, non très lointaine, de la seconde guerre mondiale.

Si nous regardons par exemple la série Les envahisseurs, nous constatons que pas une seule fois David Vincent est vu en train de prendre un repas ou d’avoir le front qui transpire, même sous un soleil ardent. Le personnage principal semble ne pas avoir de corps et n’éprouver aucune émotion. Il est presque aussi froid que les créatures qu’il poursuit.

David Vincent est un architecte fantôme qui ne fréquente quasiment jamais les chantiers. Quant à John Steed, ce n’est guère plus convaincant. La mythologie des personnages de séries repose sur le fait que ces derniers ont un corps tout autant qu’ils n’ont pas de corps réel, tels des dieux ou des déesses. D’autre part, si Roland Barthes avait souligné le rôle de la sueur dans le cinéma américain, dans les séries la transpiration est inexistante.

Les ressorts des séries ne sont pas les mêmes que ceux du cinéma. Par le fait même qu’une série repose sur un grand nombre d’épisodes, tout réalisme demeure impossible. Car la série est par essence totalement irréelle. Le même mécanisme se produit au cinéma avec les trilogies. Intuitivement nous disons que le deuxième, puis le troisième film ou plus sont « moins bons » que le premier. C’est qu’une fiction réaliste ne peut être réalisée que dans un seul film en un seul épisode. 2001 l’Odysée de l’espace aurait était dénaturé si Stanley Kubrick en avait fait une trilogie.

A présent regardons d’un peu plus près la série culte des années 70, Le prisonnier. L’emblématique numéro 6 pourrait être l’objet d’une longue analyse. Nous pourrions dire que chacun de nous peut devenir le numéro 6. Ainsi cet univers fermé sur une île dotée d’une multitude de moyens de surveillance est-il propre à devenir fou. Cependant le protagoniste résiste avec une force ingénieuse avec laquelle nous nous identifions. Les numéros 2 successifs s’acharnent sur lui, mais il résiste avec vigueur.

Un autre élément concerne la dépersonnalisation des habitants du village. Il est intéressant de remarquer aussi que ceux qui dirigent le village portent également des numéros.

Cette série était bien en avance sur son temps puisque la surveillance omniprésente dont font l’objet les habitants se retrouve réalisée avec l’évolution de l’informatique actuelle. Le village de cette série est en fait devenu le village global, avec la surveillance généralisée dont font l’objet des populations de plus en plus nombreuses sur la planète.

Toutes les tentatives de fuite du village sont infructueuses où cependant au dernier épisode il réussit à s’enfuir. Dans celui-ci il est face à un public cagoulé et participe à un jugement fictif avant de quitter l’île.

Après ces épisodes, le contraste est saisissant avec « la vie retrouvée » dans la capitale londonienne. De numéro 6, il retrouve enfin son identité, son prénom et son nom. Le village n’a pas eu raison de lui et il n’a pas donné les informations que le numéro 2 tentait de lui extirper

© Serge muscat 2022.

La photographie et le cinéma au service du consumérisme

Dès l’utilisation de la photographie dans l’imprimerie, la publicité fit un usage intensif de cette technique pour promouvoir les produits des entreprises. Ce fut le début de la consommation de masse jusqu’à ce que nous connaissons aujourd’hui. Sans la photographie utilisée dans les journaux et les magazines, la marchandise n’aurait pas pu faire l’objet d’une diffusion de masse comme ce fut le cas. L’industrie du luxe a par exemple fait appel aux photographes les plus talentueux pour mettre en avant ses produits. Sans photographie, pas de visibilité massive des marchandises et pas de déclenchement du désir. Car le consommateur est un être désirant. Le développement du capitalisme et de la consommation de masse repose donc sur la « représentation » des produits qui incite à déclencher leur achat. La photographie est donc la meilleure alliée de l’industrie de masse.

Pour Walter Benjamin, la photographie industrielle est en quelque sorte une dégénérescence de la photographie artistique. Comme il le remarque dans les passages parisiens, la construction industrielle a pris le pas sur la construction issue des beaux arts. L’industrie a tout surpassé jusqu’à parler de nos jours « d’industries culturelles ». L’ingénieur a détrôné l’artiste sur son propre terrain qui est celui de la création artistique. De ce fait, l’artisanat a été remplacé par l’ouvrier spécialisé et l’industrie capitaliste.

Dans les photographies d’Eugène Atget c’est tout ce monde artisanal en train de disparaître qui est mis au premier plan avec une certaine mélancolie. Cet univers désuet attire particulièrement Walter Benjamin car il représente le vieux Paris, une capitale pas encore menacée par l’industrialisation. C’est également le moment où la photographie n’est pas encore totalement industrielle et où elle conserve un certain caractère expérimental. Mais l’industrialisation fera disparaître cet univers bucolique pour laisser la place aux cheminées des usines et au développement de la pellicule 35 millimètres qui deviendra un standard de la photographie et du cinéma, même si d’autres formats ont gravité autour.

Le monde marchand a détrôné tout un savoir-faire détenu par les grands photographes qui maîtrisaient de façon artisanale la photographie. La bourgeoisie souhaitant être immortalisée sur la plaque photographique, elle fut la meilleure clientèle de ces marchands attirés par l’appât du gain. A cette époque, de nombreux portraitistes peintres se lancèrent dans le portrait photographique pour gagner leur vie. Le portrait fut l’élément fondamental qui caractérisa l’essor de la photographie pendant très longtemps. Par ailleurs, avec le développement intense de la société de consommation, la photographie est devenue le médium principal sans lequel la publicité est difficilement efficace. Ainsi les affiches publicitaires ont suivi tous les développements de l’imprimerie, avec la couleur et les grands formats. La photographie véhicule aussi bien les œuvres purement artistiques que l’image des produits de consommation courante. Walter Benjamin sent cela venir puisque l’affiche photographique est relativement récente dans l’histoire de l’imprimerie. Il relève également le caractère politique de la photographie. Car une photographie est toujours un acte politique, elle n’est jamais « neutre ». Photographier c’est s’engager politiquement. Les photo-journalistes qui doivent respecter une certaine éthique ne sont pas neutres lorsqu’ils réalisent une photographie. Il y a même parfois des images qui déclenchent des scandales.

Walter Benjamin note également le caractère contre-révolutionnaire du cinéma, par le fait que celui-ci fonctionne avec le capitalisme. Au cinéma le culte des stars participe à l’idéologie libérale avec son star-système. L’art est perverti en n’étant plus au service d’un acte révolutionnaire. Walter Benjamin relève cette contradiction du cinéma qui est avant tout un art capitaliste, même si ce n’était pas le cas au tout début de la création de cet art. Il parle ainsi du cinéma : « L’acteur de cinéma […] est à tout moment conscient1. Il sait, tandis qu’il se tient devant les appareils, que c’est au public qu’il a affaire en dernière instance : au public des consommateurs, qui constituent le marché. Ce marché sur lequel il ne s’offre pas seulement avec sa force de travail, mais aussi avec sa peau et ses cheveux, son cœur et ses reins […]. Le culte des stars encouragé par le capitalisme du cinéma entretient ce charme magique de la personnalité, désormais perverti depuis longtemps par sa dimension mercantile. »

Le cinéma n’a donc plus rien à dire comme l’avait compris Guy Debord et Isidore Isou. Des années 40 jusqu’à nos jours, le cinéma est resté une machine commerciale qui vend du rêve et endoctrine les esprits. Seule une infime partie de la production cinématographique a encore un message qui transformera la société dans ses récits. Tout le reste n’est qu’abrutissement et commerce très lucratif sur lequel se greffent la presse people, les chaînes de télévision et tout un tas de produits dérivés. Walter Benjamin avait pressenti ce qui est, au 21e siècle, la société du divertissement capitaliste avec ses parcs d’attraction et la disneylandisation de la société. Cela a commencé dès les trente glorieuses. C’est autour de cette époque que Walter Benjamin écrit ses textes sur l’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique et Paris capitale du 19e siècle. Toutes les prémisses du futur qui arrivera sont dans ses écrits. Aussi pose-t-il un regard très clairvoyant sur le monde en devenir et sur les sociétés de masses

© Serge Muscat – avril 2017.

1Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, éd. Allia, Paris, 2011, p. 59.

La misère intellectuelle des conseillers d’orientation

Le conseiller d’orientation exerce son métier par hasard. Mi-psychologue, mi-sociologue, il oriente les personnes selon les besoins du marché. Tant d’ouvriers qualifiés, tant de cadres, tant d’enseignants, il faut bien de tout dans la société. Répartition planifiée par l’économie libérale et les besoins des entreprises. Nouveaux besoins, nouveaux clients et nouvelles professions. Se réactualiser dans une perpétuelle mise à jour des connaissances qui évoluent plus vite que la vitesse d’apprentissage.

Dans cette incessante mouvance, beaucoup de naufragés qui se noient sous des torrents d’informations. Les rayons des bibliothèques augmentent à vive allure. Le conseiller d’orientation ne sait en fait plus très bien ce qu’il faut conseiller, ne sachant pas lui-même où il en est de sa propre vie. Rôle d’aiguilleur, il se fie seulement aux statistiques de l’économie, en laissant de côté les vocations et les souhaits de chacun. Sa hiérarchie lui dit qu’il y a des postes pour lesquels les entreprises ne trouvent personne, et qu’il faut donc former des gens pour ces emplois vacants.

Il n’y a plus assez de bouchers alors il oriente vers la boucherie. Adieu la licence de lettres, nous devons donc apprendre à découper la viande autour de l’os. Que faire devant cette attitude du conseiller ? Celui-ci ne conseille rien en bonne conscience, il se plie seulement aux directives économiques et aux tendances boursières. Pas de réel choix possible pour ceux qui suivent ses conseils qui ne sont en fait que des injonctions masquées.

Je n’ai jamais écouté les conseillers qui cherchaient à vendre leur camelote. J’ai toujours été un mauvais client pour les conseillers d’orientation. Même sans GPS, je sais m’orienter parmi les foules et les bonimenteurs

L’extase des premières minutes du réveil

Lorsque, encore plongé dans les limbes du sommeil, je refais surface pour m’éveiller le matin, je goûte avec délice les premières minutes de mon réveil. Je revis durant l’espace de ces poignées de secondes l’étonnement de l’enfance où tout semble être un paradis. Je marche dans la nature en sentant la douceur du soleil et les odeurs de pins. Je suis d’un optimisme débordant et il n’y a en moi pas la moindre trace d’une mélancolie passagère. J’ouvre les bras et je vais avec enthousiasme vers le monde. Comme lorsque j’étais enfant, je suis enjoué par toutes les choses que je vais pouvoir faire durant cette journée.

Mais les secondes défilent. Ma conscience s’éclaircit progressivement… Je me lève du lit et vais boire un verre d’eau. Les rêves de l’enfance s’évaporent doucement pour laisser la place à un monde fait de contraintes et de désillusions. C’est avec la préparation d’un café bien fort que disparaissent les dernières images enfantines.

A présent j’entends le camion des éboueurs qui vient vider les poubelles. Je suis maintenant totalement réveillé. Et c’est effrayant !

Juin 2019 – © Serge Muscat.

Le bruissement intérieur

C’est souvent lorsqu’on s’assoupit pour entreprendre une sieste et que le corps est détendu, que l’esprit vagabonde en se remémorant des images, des paroles et tout un tas de sensations qui prennent une signification nouvelle aux différentes étapes de notre vie.

Le sens des situations traversées dans le moment présent ne nous est donné que très partiellement. Avec le recul et un apport d’informations supplémentaires, tout un monde que nous n’avons fait que traverser dans l’action nous apparaît soudainement riche de significations.

Aussi est-ce pour cela que j’apprécie de rester allongé de longs moments en méditant. L’expérience n’est bénéfique que lorsque nous prenons le temps de la méditer ; sinon elle reste opaque à notre conscience. En se remémorant les moindres détails, on en extrait la quintessence sémiotique sur les actions et les propos des hommes.

Que de problèmes complexes ai-je compris en m’allongeant sur un canapé !

Méditer est la même opération de révélation que l’on pratique en photographie argentique. Tout apparaît avec une netteté surprenante pour qui sait analyser ses pensées avec perspicacité et lucidité.

Bruce Bégout et la philosophie de la vie quotidienne

La vie quotidienne n’est pas le sujet de prédilection des philosophes. Sujet que beaucoup trouvent un peu prosaïque, nombreux sont ceux qui préfèrent manier les concepts. Cependant Bruce Bégout ose réfléchir sur ce qui nous semble apparemment le plus évident, et donc le plus trivial.

Ainsi il s’intéresse à des objets comme le motel ou à des lieux comme les bords de routes en nous faisant prendre conscience de ce que l’on ne perçoit qu’indistinctement sans trop y faire attention. Le discours de l’auteur agit comme un révélateur, au sens photographique du terme, et transforme notre perception de ces lieux que nous connaissons tous.

Son travail sur l’architecture devenue friche, parfois avant même que celle-ci soit terminée, nous montre que nous vivons dans l’éphémère par cause d’accélération toujours plus grande dans tous les domaines.

La question de l’artifice est également soulevée, dans un univers où tout est recouvert de « paillettes » pour nous faire croire au merveilleux, alors que presque partout règne le précaire.

Un auteur à lire et à suivre, donc, qui vous nettoiera le regard et vous ouvrira les yeux sur ce qui nous entoure.

Le tube de colle

Lorsque j’étais enfant, à l’âge de la pensée magique, la colle me fascinait. Cette étrange substance capable de faire tenir ensemble presque toutes les matières relevait pour moi du miracle.

J’avais réalisé un château fort avec des allumettes et beaucoup de colle. Cela préfigurait ce que j’ai retrouvé par la suite en biologie, à savoir l’assemblage de cellules qui constituent le vivant. Ne connaissant pas encore, du haut de mes dix ans, les phénomènes physiques qui interviennent dans le processus des matériaux collés, je m’amusais à joindre des objets hétéroclites tout en restant rêveur. Je faisais, sans m’en apercevoir, mes premières découvertes de l’empirisme, cette source intarissable de connaissances. J’assemblais des maquettes d’avions que je prenais un grand plaisir à regarder une fois entièrement montées.

Sans en prendre conscience, je tenais là un principe essentiel : que tout est fait d’assemblage. Principe dont ne déroge aucune science. Car le savoir est un gigantesque assemblage de théories qui sont souvent réfutables. Et ces théories tiennent avec de la colle conceptuelle. Parfois elles se brisent et l’on tente comme on peut de recoller les morceaux. Et nous découvrons alors, dans ce montage imparfait, une nouvelle théorie.

A présent je ne construis plus de maquettes ; je colle seulement les morceaux d’une vie qui se perd dans des souvenirs infinis et labyrinthiques.

(Décembre 2021)

L’ordinateur

Cet objet caractéristique du XXe, et surtout du XXIe siècle, ne cesse de me surprendre. Cette machine polymorphe, dont on pensait il y a cinquante ans qu’elle ne servirait à rien et qui est devenue indispensable à notre vie quotidienne, est une révolution comme l’ont été l’invention de l’imprimerie et la machine à vapeur. Lorsque je vois les mutations produites, je n’ose pas imaginer ce que provoquera comme changements le successeur de l’ordinateur.

J’aime entendre le doux ronronnement des ventilateurs qui interpelle ma conscience presque comme une présence humaine. Il reste à faire une phénoménologie de cet étrange objet dont on ne fait plus attention tant il est intégré à notre vie quotidienne. Bien entendu, nous recevons aussi des publicités dans notre messagerie ; mais nous recevons aussi des messages de personnes du monde entier. Nous pourrions, comme l’a fait Francis Ponge avec la figue, écrire un livre entier intitulé : Comment un ordinateur de paroles et pourquoi. L’ordinateur est pour moi cette figue qui consolait jadis cet auteur.

Les encyclopédies en ligne sont un vrai régal qui enchanteraient les hommes des Lumières s’ils vivaient à notre époque. Mais au lieu de cela nous avons fabriqué « le capitalisme cognitif ». Avatar de l’invention de l’informatique où les hommes sont à nouveau asservis par le capital. Prolétaires du clavier et de la souris, des individus sont payés au clic. Voilà le funeste avenir de cette si belle invention. Dérapage de la technique, si nous ne prenons pas garde, cet objet qui semble anodin pourra transformer notre vie en cauchemar. Bienvenue, donc, dans le monde réel

Le territoire

Les hommes et les animaux ont toujours combattu pour un territoire. Cela fait partie de l’instinct du vivant. Aussi lorsque je parcours la ville pour me rendre à un endroit, lorsque je prends par exemple le bus, je perçois cette notion de territoire chez les personnes qui montent et descendent.

Le regard posé sur les gens est imprégné de cette géographie. Chacun cherche à savoir quel est le territoire d’autrui, bien que cela soit difficile à déterminer. Et tel un chien qui grogne pour défendre sa niche, nous grognons intérieurement lorsque nous supposons qu’un individu est d’un autre territoire que le nôtre. Et c’est de cet instinct que proviennent de nombreux malentendus.

Un bus qui traverse une grande ville opère chez les voyageurs un mélange de curiosité et de déchirements intérieurs. Nous traversons une multitude de territoires, et chaque personne qui monte dans le bus semble appartenir à une petite portion de la ville. Émerveillement ? Crainte ? C’est un peu tout cela à la fois. Nous faisons de la géographie humaine sans en prendre conscience.

Comme cela serait agréable si tout le monde prenait le même bus en descendant tous au même arrêt. Il n’y aurait plus de conflits et la géographie ne servirait plus à faire la guerre. Malheureusement notre condition de terrien nous oblige à suivre toujours plus de chemins et à traverser des territoires défendus avec âpreté par ses occupants.

La déshumanisation des centres d’appels téléphoniques

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Dans les années 80 étaient à la mode les répondeurs téléphoniques à bande magnétique qui permettaient de laisser un message vocal en l’absence du correspondant. Puis les premiers répondeurs numériques firent leur apparition. Et c’est à partir de ce moment que commença la lente et longue déshumanisation du téléphone et des entreprises qui travaillaient avec cet outil de communication. Le standard téléphonique avec une personne chargée de prendre les appels existait encore. Puis avec le développement croissant de l’électronique, peu à peu sont apparues de nouvelles fonctionnalités dans la téléphonie. C’était l’époque du Minitel et de l’annuaire électronique. Dans les centres d’appels le discours des téléconseillers n’était pas encore formaté selon les canons actuels. Progressivement la téléphonie devint de plus en plus numérique et les industriels commencèrent à entrevoir la possibilité de fabriquer des boîtes électroniques capables de remplacer une standardiste.

C’est à ce moment que démarre réellement la « robotisation tayloriste » des humains. Dans les centres d’appels démarrent des « formations » pour les téléconseillers afin de les faire ressembler à des machines partout identiques.

Les méthodes utilisées dans les centres d’appels

Les personnes qui travaillent dans les centres d’appels sont soumises à de fortes contraintes qui pèsent sur elles, aussi bien au niveau du rendement (le nombre d’appels par heure) que sur le contrôle de ce qu’elles doivent dire et aussi ne pas dire. Au cours de la « formation » on leur apprend à ne laisser filtrer aucune trace d’émotion ou de ce qui serait un peu trop personnel. De ce fait elles doivent apprendre par cœur des formules stéréotypées qu’elles débitent tout au long de la journée avec tous les interlocuteurs et leurs différentes manières de parler. Les composantes spécifiques de la personnalité des téléconseillers sont niées au profit d’une standardisation qui met toutes les personnes sur le même plan, tels des clones fabriqués en série. Ainsi les téléconseillers se comportent-ils comme des boîtes vocales toutes identiques et délivrant le même message. Les conversations sont enregistrées afin que le chef de service puisse contrôler la conformité des discours des téléconseillers.

« Vous avez une autre question ? »

Dans les centres de réception d’appels s’est développé ce que l’on pourrait appeler le syndrome du « Vous avez une autre question ? ». C’est un peu le même syndrome du « Et avec ceci ? » des boulangeries. Phrases stupides et cependant bloquantes qui sont apprises par cœur par tous les nouveaux salariés débutant dans la profession. Ces phrases servent à couper court à toute communication qui serait un peu trop personnelle ou intime. Ainsi les téléconseillers et les boulangères font de la psychologie sans le savoir, sans avoir jamais étudié par exemple l’analyse transactionnelle et la PNL en général. Cependant, en ce qui concerne les téléconseillers, ceux-ci sont formés par des personnes qui, elles, connaissent les théories de la psychologie.

C’est ainsi que notre monde devient de plus en plus formaté, avec des codes de plus en plus stricts qui sont générateurs de malaise social.

L’avenir est-il aux boîtes vocales intelligentes ?

Si les touches du clavier téléphonique permettent de s’orienter dans le labyrinthe qui mène aux téléconseillers, ces derniers finiront à un moment donné par être remplacés par des ordinateurs. Ainsi ce qui n’aura pas été prévu par le programme informatique donnera une réponse inadéquate à une question non stéréotypée d’une personne. C’est donc dans un monde privé d’émotions que se profile le futur. Règne du questionnaire à choix multiples, il reste par conséquent beaucoup de travail à faire par les ingénieurs pour rendre plus humaines leurs créations technologiques

Saut à l’élastique dans le vide contemporain

Depuis déjà plus de deux décennies, nous avons entamé une période où le culte du corps et de l’individualisme n’a cessé de se développer. La musique disco où chacun dansait  seul, sans être avec une partenaire fut le signe précurseur d’une montée en puissance d’un individualisme exacerbé. Dans un contexte de crise économique, cette dernière reporte ses méfaits sur l’individu qui se lance dans une compétition effrénée (le « tous contre tous ») pour ne pas faire partie des laissés-pour-compte. L’hypertrophie sur Surmoi qui incite à vouloir devenir un gagnant cause de grandes souffrances chez les personnes, en regard de leur vie quotidienne empreinte d’une certaine monotonie tout autant que de stress professionnel lié aux méthodes de management actuelles qui sollicitent toujours plus de rendement de la part des salariés.

Parallèlement à ce stress généralisé se développe une quête vers le bien-être qui n’est en fait qu’une illusion en produisant encore plus de fatigue, étant donné que les travailleurs font un nombre croissant d’heures de travail. Ce système bouclé aboutit en fin de course à la dépression nerveuse et à la consommation de médicaments comme les anxiolytiques ou les antidépresseurs.

En 2009 on recense en France un suicide par jour au travail. C’est dire le désarroi et le stress que ressentent les salariés dans l’entreprise. Le personnel n’a même plus le temps de se divertir, la seule préoccupation étant de dormir pour récupérer de la fatigue. Dans ce cas travailler plus pour gagner plus ne sert strictement à rien sinon à s’user la santé et, de plus, sans relancer la consommation par faute de temps libre.

D’autre part l’individualisme où chacun désire se démarquer des autres produit un isolement de plus en plus important où l’on ne trouve plus de thème commun qui rassemble les personnes pour une vie sociale productrice de réel bien-être. Face à ce phénomène, certains mouvements prennent naissance en voulant renouer avec une vie sociale à taille humaine tout en réduisant les hiérarchies autoritaires.

Cependant, avec la médiatisation à outrance d’un star-system qui s’applique à tous les champs du social (arts, sport, politique…), cela incite plutôt à la compétition qu’à la solidarité. De plus la perte de conscience de classe aboutit à une jungle féroce où chaque collègue se transforme en ennemi potentiel. Il règne de ce fait une atmosphère de suspicion malsaine et génératrice parfois de certaines pathologies. Et les médecins généralistes et les psychiatres ne peuvent rien faire pour soigner les causes du malaise social. Ils ne peuvent que placer des pansements provisoires qui ne résoudront pas les vraies causes des problèmes.

Cette perte des liens sociaux avec des relations saines engendre une dissolution du sens de l’existence. Lorsque autour de l’individu tout devient hostile, le repli sur soi est bien souvent la seule solution pour ne pas générer trop d’anxiété. De là la civilisation de l’homme seul devant son téléviseur à regarder des images que l’on nomme parfois un peu trop vite réalités. La signification de l’existence vole alors en éclats pour se perdre dans un kaléidoscope d’images et de propos issus du journalisme people diffusé en masse. Le contraste entre la vie rêvée des stars et la platitude de la vie quotidienne produit des effets dépressifs où sombrent les plus fragiles. C’est là que se forme le grand vide que les utopies positives n’arrivent plus à combler, comme celles qui émergèrent dans les années 70.

Nous arrivons à un point mort idéologique où plus personne ne croit en rien, et surtout pas à changer de société. Le vide s’est installé comme une fatalité pour laquelle il n’y a aucun remède. L’individualisme a tout balayé sur son passage. Le malaise dans la civilisation n’a jamais été aussi présent que de nos jours. Un monde nouveau doit naître mais il n’arrive pas à sortir la tête, empêtré qu’il est dans un individualisme exacerbé. Les solidarités ne fonctionnent plus. Les syndicats sont désertés, les partis politiques n’ont plus d’adhérents, bref, c’est le chacun pour soi généralisé. Le social s’effrite comme une boule de terre séchée.

On se demande jusqu’où ira cette quête vers un narcissisme sans cesse croissant. Plus rien ne rassemble les individus, si ce n’est la consommation de produits ayant une durée d’utilisation de plus en plus courte. Le XXIe siècle ne pourra se dérouler comme le siècle précédent. Un grand virage doit s’amorcer. Et c’est tous ensemble que nous devons y participer

(Juillet 2009)

Accélération, innovation et idéologies de la technique

« Tout ce qui dégrade la culture,

raccourcit les chemins qui mènent à la servitude. »

(Albert Camus)

Parler d’innovation pourrait se faire sous l’angle de l’accélération. En effet, par certains côtés, innover c’est aussi apprendre à gagner du temps. Ainsi l’homme construit des machines qui exécutent des tâches plus rapidement qu’il ne le peut lui-même. Cette accélération pourrait lui procurer du temps libre, mais en fait l’homme travaille autant que sans les machines, en espérant faire plus de profit. Le gain de temps revient à gagner plus d’argent. Les sociétés capitalistes choisissent l’option financière à la place du temps libre. La frénésie de la production (même si les produits finissent rapidement dans la poubelle) est le choix que font tous les pays développés.

La promesse jamais tenue d’éternité

Que se cache-t-il derrière cette course effrénée au profit ? On pourrait penser que le désir de vivre de multiples vies soit le moteur de cette course folle, ou que la compétition pour pouvoir rester sur place sans reculer sont les critères déterminants de l’accroissement de la vitesse. Mais derrière des réponses anthropologiques comme celles que formule Hartmut Rosa1 dans son livre intitulé « Aliénation et accélération », il y a peut-être le désir de dépasser notre finitude. Il est d’autre part apparu une croyance en la technique comme en une nouvelle divinité. Mais la technique génère elle-même ses contradictions. Avec nos machines toujours plus puissantes, les problèmes humains resurgissent. La technique est même la source de nombreuses difficultés. Comme le disait Paul Virilio, le chemin de fer a inventé le déraillement. Et l’innovation crée sans cesse de nouveaux problèmes qu’il nous faut tenter de résoudre.

Il y a quelque chose d’autre qui nous pousse à vouloir toujours améliorer l’existant. Et ce quelque chose déborde très vite les questions d’innovation au sens strict.

Les contraintes physiques et biologiques

Ce qui anime le changement est également lié aux caractéristiques de la matière inerte et aussi, bien entendu, de la matière vivante. Les lois de l’évolution énoncées depuis Darwin font que le vivant induit du changement. Les modifications physico-chimiques liées aux activités humaines sont aussi des éléments qui modifient tout l’écosystème. Il apparaît donc des problèmes à résoudre liés à ces changements, et il faut par conséquent faire appel à l’innovation. C’est en fait une boucle systémique : l’homme modifie la nature, cette nature réagit en créant des situations imprévues, et l’homme doit de nouveau intervenir pour rectifier ces changements, en créant à son tour de nouvelles perturbations…

Par ailleurs la croissance démographique continue fait qu’il faut en permanence trouver de nouvelles solutions pour nourrir la population. D’où l’innovation pour avoir le plus de récoltes par an. Face à cette accélération, il y a également une force de ralentissement de cette innovation.

La décélération sociale

Comme le dit Hartmut Rosa, il y a des facteurs qui nous obligent à ralentir cette course à l’innovation. Le premier est d’ordre anthropologique. La vitesse de traitement de l’information par notre cerveau ainsi que notre corps sont limités. De plus, face à une innovation, il faut un certain temps d’adaptation, ce qui génère une certaine inertie.

Ensuite, toujours selon cet auteur, il y a aussi « la décélération comme conséquence dysfonctionnelle de l’accélération sociale ». En effet, une illustration très parlante est par exemple l’embouteillage, où chacun veut se rendre le plus rapidement possible en un lieu donné. D’autre part il y a aussi les phénomènes de dépression liés au surmenage et qui provoquent un ralentissement chez l’individu déprimé.

Il y a enfin la décélération intentionnelle, c’est-à-dire ceux qui rejettent cette course folle à l’innovation. Des auteurs comme Jacques Ellul2 nous avertissent des dangers d’une innovation toujours plus orientée vers une croissance géométrique. Une population de plus en plus importante souhaite un ralentissement. Et s’il s’agit d’innover, ils veulent revenir à un rythme plus humain et non dicté par la vitesse des machines.

Dans le social se produit également une accélération vertigineuse. Faute de temps, la communication se réduit à une « communication Post-it ». La course perpétuelle pour ne pas être déclassé oblige les acteurs à dépenser une énergie considérable pour se maintenir dans la course contre la montre. Les exclus de la société sont ceux qui ne participent pas à cette course folle. Ils vivent dans un autre temps, sans savoir s’ils pourront à nouveau reprendre la compétition, ou même s’ils le souhaitent. C’est souvent pendant une période de chômage qu’ils prennent conscience du caractère insensé de cette course contre le temps, sans savoir toutefois s’il existe une alternative pour y échapper. Mais comme l’écrit Hartmut Rosa, il n’est pour le moment pas possible d’échapper à cette vie-chronomètre, et les pointeuses ont encore un bel avenir, à moins de changer radicalement de société. « L’idée de fonder la critique sociale sur une analyse des conditions temporelles de la société repose sur le fait que le temps est un élément omniprésent du tissu social ».

Accélération et technique

Lorsqu’on parle d’accélération, la première pensée qui vient à l’esprit est l’accélération du progrès technique. Rien ne semble en effet arrêter cette évolution de la technique, jusqu’à devenir presque tous des techniciens en puissance. C’est que l’idéologie de la technique est répandue dans le monde d’une manière inégalée. La fascination et la croyance à l’égard de la technique n’a d’égale que la religion. Et c’est du reste une nouvelle forme de religion depuis « la mort de Dieu ».

Cependant, s’il existe de nombreuses utopies positives qui imaginent l’homme libéré du rude labeur grâce aux machines, il y a également des utopies négatives dont la cause est la prolifération des machines. Des fictions comme Matrix, Terminator ou Mad Max sont là pour nous le rappeler. Dans certains cas, la technique peut devenir nuisible à l’homme. Et nous oscillons sans cesse entre ces deux types d’utopie.

Le danger est lorsqu’on applique les techniques de l’ingénieur à la gestion des hommes, car l’homme n’est pas une machine, ce que n’ont pas compris les tayloristes (ou plutôt ils l’ont souvent compris mais ils préféraient aliéner les travailleurs pour faire plus de profit et mieux les contrôler).

Par ailleurs Thierry Gaudin3 remarque que l’innovation dans le monde de la technique est souvent le fait des personnes qui se sentent étrangères à leur milieu. Ainsi le besoin de reconnaissance est-il plus important qu’une personne bien intégrée, ce qui les pousse à la créativité.

En outre, comme l’explique Nicole Aubert4, notre société est malade du temps à cause de la financiarisation généralisée. La loi des 15 % pour les actionnaires fait que les cadences de travail sont accélérées pour obtenir ce chiffre. Le temps manque et de nombreuses tâches sont inabouties car il faut sans cesse passer à autre chose sans pouvoir terminer ce que l’on était en train de faire. En un mot, il faut être compétitif ! Le temps réel est devenu la norme et la vitesse de travail fluctue en même temps que les cours de la Bourse. Nous courons en fait après des intérêts.

Nous voyons que le capitalisme est chronophage et que nous n’en avons pas fini de courir après le temps alors même que nous parlons paradoxalement de société des loisirs et du temps dit libre

1Cf. Hartmut Rosa, Aliénation et accélération, éd. La Découverte, Paris, 2014 pour la traduction française.

2Cf. Serge Latouche, Jacques Ellul, Contre le totalitarisme technicien, éd. Le passager clandestin, 2013.

3Cf. Thierry Gaudin, De l’innovation, éd. de l’Aube, 1998.

4Cf. Nicole Aubert, Le culte de l’urgence, La société malade du temps, éd. Flammarion, 2003.

Le tatouage comme élément irréversible d’appartenance

« Marquer la peau revient à marquer l’inscription

du sujet dans le corps social »

Si la grande presse nous dit que le tatouage est devenu une mode sans aucune distinction sociologique, en y regardant d’un peu plus près nous y voyons bien d’autres choses. En effet, nous pouvons dire que le marquage symbolique du corps s’oppose à la différenciation des individus par le vêtement. Ce dernier est mobile et peut s’enlever alors que le marquage du corps est définitif et présent dans toutes les situations sociales. C’est cette non-adaptabilité symbolique qui fait du marquage du corps un procédé particulier.

Les personnes tatouées ont presque toutes un mode de symbolisation radical par le fait de son caractère définitif dans le temps. Cette permanence des individus tatoués fait qu’ils appartiennent à des groupes sociaux bien définis et différents de ceux qui ne sont pas tatoués. La mise en avant et la revendication visuelle et symbolique d’une appartenance à un groupe d’une manière définitive apparente le tatouage au marquage des « marginaux », de ceux qui sont marqués à vie sans possibilité de retour ou d’évolution. Ce caractère figé du tatouage est révélateur d’une certaine non-plasticité de l’individu tatoué. Il inscrit avec fierté son appartenance immuable et irréversible. Aussi est-ce pour cela que la tatouage « fait peur et impressionne ». Car l’on se doute de ce qui se passe dans l’esprit d’une personne qui se fait tatouer. Se faire tatouer c’est « appartenir à » et « être contre quelque chose ou quelqu’un » Cette revendication va bien plus loin qu’une simple esthétique du corps. Elle est la marque d’un conflit chez l’individu tatoué. On peut revendiquer une appartenance quelconque, mais il y a un grand pas de franchi lorsqu’on décide de marquer d’une manière définitive cette appartenance sur son corps.

Par ailleurs on pourrait penser à première vue que le tatouage fait partie du body art. Mais cela serait oublier que les performances de body art ne sont pas des tatouages inscrits définitivement sur le corps. La peinture de body art n’a rien d’indélébile. En ce sens, le corps est utilisé comme un tableau que l’on peut ensuite effacer. C’est le caractère irréversible du tatouage qui fait toute la différence.

Il faut se trouver dans une temporalité bien particulière pour croire que les symboles tatoués correspondront « toujours » à l’état d’âme dans lequel se trouve la personne en train de se faire tatouer. Il faut croire également que le choc psychologique est intense pour arrêter ainsi le temps dans une sorte de présent intemporel, sans avoir la possibilité de se projeter dans le futur. Cette trace sur le corps peut devenir un fardeau difficile à porter, surtout lorsqu’on n’adhère plus aux idées pour lesquelles ces tatouages ont été réalisés.

Le tatouage est comme le patronyme, il indique la filiation et permet de remonter le fil du temps pour qui sait interpréter la symbolique. Si le propre de la mémoire humaine est de pouvoir « oublier »afin de ne pas se transformer en poids, le tatouage, lui, est un rappel permanent du passé. Malgré le vieillissement, le tatouage ne prend pas une ride et reste le témoin fidèle de ce que nous fûmes lorsqu’il a été réalisé. Le tatouage nous suit ainsi jusque dans la mort

© Serge Muscat – septembre 2020.

La 5G : promesses et horizon technologique

La 5G a fait beaucoup parler d’elle. Promettant un bouleversement complet dans les télécommunications sans fil, elle a aussi ses détracteurs qui estiment que la 4G est amplement suffisante.

La 5G déclenche de nombreux propos inconsidérés. On lui a d’abord reproché d’être consommatrice d’énergie. Or Nicolas Desmassieux, Vice-Président à Orange Labs, estime que la consommation est moins élevée que la 4G, car contrairement à cette dernière la 5G génère 30 à 40 fois plus de trafic. Donc à données égales, la 5G consomme effectivement moins que la 4G.

D’autre part, la 5G ayant une bande passante bien plus élevée que la 4G, elle permettra la multiplication des transmissions avec les objets connectés. De plus, avec la technologie 5G, les antennes se mettent en route suivant la demande des utilisateurs. Lorsque les antennes ne sont pas sollicitées, celles-ci se mettent en veille.

Avec un débit plus élevé que la fibre optique et un temps de latence réduit à une milliseconde, des utilisations pour la téléchirurgie et les voitures autonomes deviennent possibles.

La 5G est théoriquement 10 fois plus rapide que la 4G. Toutefois l’augmentation massive des débits implique des contraintes techniques qui induisent l’augmentation des coûts. Ainsi pour la même couverture que la 4G il faut avec la 5G tripler le nombre des antennes, ce qui soulève des contestations parmi la population.

Par ailleurs, selon une étude du cabinet américain PwC, les deux tiers des consommateurs refusent de payer un abonnement plus cher à leur opérateur. Des obstacles se dressent donc pour le déploiement de la 5G.

La multiplication des antennes et des fréquences

Des associations dénoncent la multiplication des antennes et les bandes de fréquences dans lesquelles elles émettent, en disant qu’elles sont nocives pour la santé. Pourtant, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) informe qu’il n’y a aucun risque avec les fréquences émises par la 5G, notamment la bande de 3,5 Ghz. Elle a déjà diffusé un rapport préliminaire avec des études publiées et promet un tableau complet d’ici le premier semestre 2021. Du reste, la modulation OFDM (Orthogonal Frequency-Division Multiplexing) est déjà utilisée pour la TNT, et aucun incident n’a été relevé à ce jour. Ce qui n’empêche pas les associations anti-ondes d’appeler au gel des déploiements des antennes 5G. Il faudra beaucoup de temps pour rassurer tout le monde et être certain que les ondes ne nuisent pas à la santé. Certains activistes n’hésitent pas à passer à l’acte en brûlant des antennes, comme cela s’est produit au Royaume-Uni. De plus, de nombreuses fausses informations circulent et rendent les ondes de la 5G responsables de différents maux. Ce déploiement est donc bien compliqué et apporte chaque jour son lot de nouvelles péripéties.

La 5G en avance sur son temps

La 5G est-elle pour tout de suite ? Autant le dire d’emblée, la pleine utilisation de cette technologie n’est pas encore pour 2021. Les équipements ne sont pas encore prêts à utiliser les nouveaux débits disponibles avec la 5G. Une lente évolution des smartphones et aussi des objets connectés sera nécessaire, car pour le moment rien n’est encore prêt. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements d’une technologie dont les retombées sont encore floues. La voiture autonome n’en est encore qu’au stade expérimental et nous ne savons pas encore exactement quels seront les objets communicants qui seront reliés à la 5G. Tout cela nous ouvre des perspectives vers un futur dont nous ne connaissons pas encore les aboutissants. L’ADSL et la fibre optique seront-ils détrônés au profit de la 5G ? Personne ne peut le dire pour le moment. C’est à un long processus que nous sommes confrontés et le développement se fera sur une décennie avant que toutes les antennes ne soient déployées. Nous aurons d’ici-là bien le temps d’analyser l’impact de ce nouveau mode de transmission

Avec Microsoft, la première dose est gratuite!

C’est sur la naïveté et l’ignorance de l’utilisateur que repose le succès de Bill Gates. Cette ignorance est légitime étant donné que l’informatique n’est pas enseigné dans l’enseignement primaire et secondaire. Nous entendons par enseignement les principes fondamentaux de la programmation informatique. Microsoft utilise cette ignorance de la population pour régner en maître sur la vente de ses logiciels. Les plus inconditionnels des produits Microsoft étant aussi ceux qui connaissent le moins de choses en informatique. Pour eux, ils cliquent sur une icône et ça fonctionne ; cela ne va pas plus loin dans leur réflexion. Quant à savoir si c’est un logiciel privateur ou bien un logiciel libre, cela fait partie du dernier de leurs soucis. Et c’est sur ce point principal que joue Microsoft.

Pour l’utilisateur lambda, logiciel libre signifie logiciel gratuit. Ce qui est une double erreur car il y a de nombreux logiciels gratuits qui ne sont pas libres, et deuxièmement les utilisateurs de logiciels libres font des dons financiers où chacun donne selon ses moyens. Malgré les efforts d’information des associations et des fondations qui œuvrent pour le logiciel libre, Microsoft compte bien sur l’ignorance de la population pour pérenniser son empire. Et les établissements d’éducation et de formation « ne donnent pas l’exemple » étant donné que l’éducation nationale passe de très gros contrats avec Microsoft pour installer ses produits. Comment, dans ces conditions, faire de la résistance pour accéder à plus de liberté et d’autonomie ? C’est le pot de terre contre le pot de fer. Il ne faut toutefois pas se décourager et livrer sans relâche la guerre contre le logiciel privateur, le vent de l’histoire finira bien par tourner

Petite histoire des microprocesseurs et de ses défis

C’est en 1947 que fut inventé le premier transistor par les Laboratoires Bell. Personne ne se doutait encore que cette invention allait devenir capitale pour les progrès de l’informatique et le confort de notre vie quotidienne. Puis, de miniaturisation en miniaturisation, Intel crée en 1971 le premier microprocesseur, le 4004. C’est un microprocesseur de 4 bits qui permet le lancement des premiers micro-ordinateurs.

Très rapidement fut conçu un microprocesseur à 8 bits, le 8008, toujours par la société Intel, qui est au départ utilisé pour fabriquer des contrôleurs graphiques. Ce microprocesseur fut utilisé par la suite à un usage général.

L’explosion de la micro-informatique est réalisée avec l’arrivée de deux microprocesseurs, le Z80 de Zilog et le 8080 de chez Intel. Avec le Z80 naissent les premiers ordinateurs grand public de marque Amstrad qui furent un véritable coup de tonnerre dans le monde de l’informatique individuelle. Pour la première fois, l’ordinateur entrait dans les foyers et pouvait être utilisé par toute la famille, et ceci à un prix abordable. Dès lors, l’informatique n’était plus réservée aux professionnels, et nombreux étaient ceux qui s’adonnaient à la programmation en langage BASIC durant les loisirs.

A partir de ce moment, l’ordinateur eut la même place que celle de la radio ou de la télévision. Ce fut le début de la numérisation généralisée de la société, avec ses joies et ses déboires.

Dans la foulée, la société MOS Technologie fabriqua le processeur 6502 qui était utilisé par les Apple II, les Commodore PET et 64 ainsi que les consoles Atari. Ce processeur était très économique et possédait de bonnes performances par rapport à ses concurrents. Il permit en outre à Apple de prendre son essor dans le monde de la micro-informatique.

Peu après, chez Motorola sortit le processeur 68000 qui eut un franc succès puisqu’il équipait les premiers Macintosh ainsi que les Atari ST et les Commodore Amiga. Avec ces ordinateurs, le graphisme fit un pas de géant et la voie fut ouverte pour la PAO, la vidéo et le multimédia en général. Dans le même temps furent créées les premières images de synthèse et les premiers films d’animation en numérique.

Suivirent alors les processeurs de la série x86 qui sont toujours aujourd’hui développés. Du monocœur nous sommes passés au multicœur, avec des capacités de calcul toujours plus élevées. Nous approchons cependant progressivement de la limite des technologies du silicium, et d’autres matériaux sont à l’étude, comme les nanotubes de carbone ou le disulfure de molybdène.

Enfin de grands espoirs sont attendus avec l’informatique quantique qui permet de réaliser en 3 minutes un calcul qui prend 10 000 ans à un supercalculateur classique. La voie est donc ouverte à de grandes possibilités