Le concept d’individualité instrumentalisé dans le discours sur l’éducation

Le propos qui va suivre tire son origine de la lecture d’un livre de Michel Schiff intitulé : L’intelligence gaspillée, inégalité sociale, injustice scolaire, publié aux éditions du Seuil. Je m’étais déjà aperçu de certains problèmes avant de lire cet ouvrage, mais c’est sa lecture qui a été le déclencheur final de la rédaction de cet article.

Lorsqu’on parle de psychologie, si l’on ne mentionne pas le mot de « sociale » après psychologie, il est donc convenu que l’on traite de psychologie individuelle. Toute la psychologie qui n’est pas pas psychologie sociale ou encore « psychosociologie » relève donc de la psychologie individuelle. Ce qui présuppose qu’on analyse la psychologie de l’individu qui n’est pas en interaction avec d’autres individus. Or, lorsqu’on y regarde de plus près, la psychologie strictement individuelle est un concept faux. Dans l’histoire de la psychologie, c’est Alfred Adler qui a proposé le concept de « psychologie individuelle », avec pour thème central le sentiment d’infériorité qu’a l’individu. Je ne développerai pas ici les théories d’Alfred Adler. Je m’arrêterai seulement sur les termes de « psychologie individuelle ». La psychologie individuelle n’existe pas puisque, dès la naissance, l’individu est au moins au minimum en relation avec la mère. La stricte individualité de la psychologie est donc totalement fausse. La psychologie, par n’importe quel bout qu’on l’aborde, est en fait toujours sociale. Ainsi toute tentative d’expliquer le comportement d’un individu n’est réellement possible qu’en prenant en considération les interactions passées et présentes de cet individu avec son environnement physique et social. Poser un regard sur l’individu seul est une totale aberration. Et c’est pourtant à cette aberration qu’adhèrent les psychologues. Tandis que les sociologues, eux, ne conçoivent pas un seul instant de regarder uniquement un individu sans les interactions sociales. La psychologie qui n’a pas voulu prendre en compte le caractère incontestablement social de sa discipline a donc produit des explications fausses. Cette omission des interactions sociales dans une partie de la psychologie qui n’est pas dite « psychologie sociale » n’est à mon avis pas liée au hasard. Le psychologue a tendance à regarder ce qui l’arrange, en laissant dans l’ombre des paramètres qui risqueraient par exemple, mais pas uniquement, de lui faire admettre que sa position sociale influence son interprétation des comportements d’un individu. L’approche totalement systémique est en fait très rare. Le psychologue finit dans la plupart des cas par vouloir tout expliquer en regardant seulement l’individu. Il ne pose son regard que sur les effets et non sur les causes réelles. Pour certains psychologues, la sociologie est une discipline à combattre car celle-ci propose une explication bien différente de celle de la psychologie. Ainsi, même les psychologues les plus « biologisants » qui proposent une explication du comportement par une structure particulière de la biologie d’un individu, ne prennent également pas en considération les interactions avec le milieu et les personnes. Un individu qui rougit peut s’expliquer par l’afflux de sang qui se produit sur ses joues, certes. Mais la cause initiale de cet afflux de sang réside dans une interaction avec une autre personne qui déclenchera par exemple la gêne. Sans cette interaction, un individu seul dans une pièce ne rougit pas. Il en est de même de la somatisation de certaines situations vécues où, là encore, c’est l’interaction avec le milieu qui produit un effet somatique. Le comportement d’un individu dépend donc également de son environnement, et non uniquement de lui-même comme certains le pensent. Et l’individu est toujours dans un environnement. Un individu qui ne serait pas dans un environnement est une hypothèse absurde. Même si celui-ci flottait dans l’air, ce vide de l’air constituerait encore un environnement particulier. Aussi, comme il est impossible de ne pas être dans un environnement, il est donc indispensable de prendre celui-ci en considération dans toute tentative de compréhension et d’explication du comportement d’un individu. Cet environnement ayant été au départ constitué d’un lieu et des interactions avec la mère et aussi avec les personnes qui l’ont aidée à accoucher. L’individu « seul » est donc une impossibilité pratique.

Je parle de ceci car cette réalité incontournable n’est pas prise en considération dans une multitude de situations sociales comme par exemple l’éducation, la justice, la notion de mérite dont parlent beaucoup de politiciens, etc. Comme il serait trop long d’aborder toutes les situations où l’individu est considéré comme étant, par un curieux miracle, en dehors d’un environnement, je vais donc seulement parler de l’expérimentation abordée par Michel Schiff dans l’ouvrage cité au début de cet article.

Ainsi il traite d’expériences réalisées avec des enfants de travailleurs manuels qui ont été adoptés par des cadres. Sans trop développer les détails de cette expérimentation (car ça allongerait beaucoup la taille de cet article) il ressort que ces enfants adoptés par des cadres, et qui donc sont immergés dans un milieu différent de celui d’où ils sont nés, affichent tous de très bonnes performances intellectuelles lorsqu’ils sont soumis à certains tests, la nature de ces tests étant elle aussi à analyser de prés car ceux-ci ne révèlent qu’une partie infime des performances d’un individu. Cependant ce sont les mêmes tests, comme par exemple le test de QI, qui sont utilisés sur les populations « qui ont du mérite ». Ainsi tous ces enfants placés dans un milieu de cadres « ont tous du mérite » puisqu’ils ont tous un bon niveau intellectuel. Il est par conséquent important de prendre en considération le milieu et de l’analyser au « microscope sociologique », en essayant de regarder toutes les variables qui constituent cet environnement. Je ne le ferai pas ici. Pierre Bourdieu a déjà très bien analysé un grand nombre de facteurs qui influencent un individu pour le résultat de ses performances intellectuelles et aussi de ses goûts, lesquels semblent au premier abord être des goûts « personnels ». Je convie donc le lecteur, si ça n’a pas déjà été fait, à se reporter sur les études réalisées par ce sociologue.

Le travaux de Michel Schiff aboutissent donc aux mêmes constatations que celles de Pierre Bourdieu. Le premier travaillant sur « la génétique des comportements » à l’INSERM, et le second étant avant tout un sociologue. J’aurais pu prendre également d’autres travaux comme par exemple ceux de Bernard Charlot et Madeleine Figeat dans leur ouvrage intitulé : L’école aux enchères, publié aux éditions Payot, et d’autres auteurs encore qui font le même constat.

Dés que l’on regarde de près l’environnement avec en relevant le maximum de variables, on s’aperçoit que celui-ci joue un rôle prépondérant dans les aptitudes d’un individu. Or le discours des plus privilégiés nie en bloc le fait que ces variables ont une importance dans les résultats d’un parcours scolaire et professionnel.

Je conclurai mon propos en disant que le seul moyen de rétablir une tentative de réelle égalité, et non de mettre en avant le caractère fallacieux du mérite, puisque la société est malheureusement inégalitaire dans sa conception politique et économique, est de développer massivement la formation continue en donnant à chacun la possibilité de compenser cette « inégalité de départ », où certains bénéficient par leur milieu social du capital économique ou culturel ou aussi également de ces deux formes de capital en même temps, pour rétablir une société réellement plus égalitaire, étant donné que depuis longtemps déjà l’État ne veut pas procéder à une plus grande homogénéité dans le système économique, avec moins d’écarts sur le patrimoine et les salaires entre les individus. Ce qui implique également d’attribuer plus de moyens financiers à l’enseignement supérieur.

© Serge Muscat – mai 2025.

Ceux qui ne prennent jamais de congés

Dans une petite rue de Paris, sont alignés des commerces de restauration rapide, des marchands de sandwichs grecs, de crêpes et de choses de ce genre. La plupart de ces commerçants sont d’origine étrangère, mais le mot étranger a-t-il un sens ? Ne sommes-nous pas tous des sortes d’étrangers ? Ou alors encore les étrangers n’existent pas, car ils appartiennent tous à la même Terre sur laquelle des hommes viennent au monde dans un enfer produit par d’autres hommes.

Ces commerçants, donc, ne prennent jamais de vacances et font beaucoup d’heures durant tous les jours de la semaine, y compris le samedi et le dimanche. Ils ne sont pas très riches et la signification de leur existence réside dans le travail qu’ils font. J’ai beaucoup de mal à les comprendre, et même encore aujourd’hui ils restent assez mystérieux pour moi. Ils gagnent leur vie comme ils peuvent et ne sont pas des dirigeants de la Silicon Valley. Ils sont devenus des hyper sédentaires alors qu’ils ont encore la force physique de se déplacer, travaillant toute l’année dans leur petit commerce. Ils ont chacun leur personnalité et partagent néanmoins une culture commune. Car on ne peut échapper à la culture acquise pendant son enfance. On n’efface pas la mémoire et les souvenirs. De là proviennent probablement l’incompréhension et les conflits entre les hommes. Chacun vient forcément de quelque part. Et les pays ainsi que les classes sociales sont très hermétiques. Les plus hermétiques sont malheureusement bien souvent les plus intolérants et les moins curieux. De plus notre cerveau n’a pas la capacité d’absorber toutes les cultures présentes sur la planète, en plus de notre conditionnement opéré pendant notre enfance. Et les commerçants de cette petite rue n’échappent pas à cette règle, bien au contraire même, car ils ont pour la plupart fait très peu d’études dans leur pays d’origine et aussi dans le pays dans lequel ils ont choisi de vivre.

Face à toutes ces limitations plus ou moins inhérentes à l’homme, et qu’il sera très difficile de faire disparaître, la vie sur terre sera encore promise pendant très longtemps à la souffrance, souffrance causée à chacun par ses semblables. Et ce n’est pas le commerce mondial généralisé qui changera les choses, étant donné que celui-ci repose sur le capitalisme toujours plus débridé, où chacun rêve de s’enrichir toujours plus en exploitant d’autres gens. C’est là le revers et la face sombre de la liberté économique, même si elle comporte des bienfaits. Ces problèmes sont malheureusement insolubles, et personne n’a de réponses valables à proposer.

Je n’achète pas les sandwichs ou les crêpes proposés par ces petits commerçants car je suis du quartier. Ils font partie de ce grand tout qui est le commerce mondialisé, et ce sont la plupart du temps des jeunes de la banlieue et les touristes venus de très nombreux pays qui achètent leurs produits. Ces commerçants restent comme je l’ai dit un mystère que je réussirai peut-être un jour à élucider.

© Serge Muscat – avril 2025.

Gloire et mythe de l’intelligence artificielle

En cette année 2025, l’intelligence artificielle est dans toutes les bouches, et la plupart des médias en parlent également. L’homme est ainsi fait qu’il ne peut s’empêcher de pratiquer l’anthropomorphisme sur tout ce qu’il fabrique. Car cette intelligence artificielle n’a d’intelligence que le nom.

Ainsi fleurissent des programmes de plus en plus variés que l’on appelle IA. Ces programmes répondent à des questions simples qui ne font en aucun cas intervenir une réelle créativité. Machine à imiter et à traiter de l’information, l’IA n’est qu’une aide parmi d’autres, comme l’est par exemple un traitement de texte. Et il serait illusoire de lui demander plus qu’elle ne peut effectivement faire.

L’apprentissage, cette spécificité du vivant, et particulièrement chez l’homme, n’est pas encore une caractéristique des ordinateurs. Et comment serions-nous capables d’inventer une machine qui égale l’humain alors que l’homme reste encore une énigme totale concernant ses facultés d’adaptation et de cognition. Aussi l’anthropomorphisme est-il une bévue en ce qui concerne l’informatique. L’homme construit et construira pendant encore longtemps des machines différentes de lui-même et, de plus, mieux adaptées à différentes tâches. L’objectif n’est pas de remplacer l’homme par la machine, mais d’aider l’homme dans ses activités, sans qu’il y ait obligatoirement une substitution totale. L’IA n’est qu’un outil qui reste supervisé par les concepteurs et les utilisateurs. Aussi est-il nécessaire pour optimiser les machines et les logiciels d’être le plus transparent possible. L’IA n’est après tout qu’un système expert évolué. Opter pour l’opacité du système c’est participer à une mythologisation de l’ordinateur. Cette mythologisation se produit au bénéfice de l’entreprise qui réalise les programmes en faisant des profits. La plus grande clarté nécessite donc que les logiciels soient libres. On ne peut avoir une réelle confiance qu’avec des programmes dont tout le monde peut voir le code source au sens large, c’est-à-dire aussi les sources de l’information qui est transmise. Ce n’est malheureusement pas encore le cas pour toutes les IA.

Dès que ChatGPT fut opérationnel, des voix se sont élevées en disant que les élèves allaient tricher à l’aide de ce logiciel. Pour ce qui est des exercices à faire à la maison, les enseignants peuvent très bien intégrer dans leurs cours l’utilisation de ChatGPT et ainsi atténuer l’envie de tricher pour les exercices. D’une manière ou d’une autre, les élèves utiliseront l’IA pour avoir certaines réponses à leurs questions. Il est donc préférable de l’intégrer à l’enseignement. Quant à réaliser un mémoire ou une thèse à l’aide de ChatGPT, ce n’est là que pure mirage. Un professeur s’en apercevrait tout de suite. Pour la bonne et simple raison qu’une IA ne possède pas d’intelligence ; ce n’est qu’un programme réalisé par des informaticiens. ChatGPT ne défend pas un point de vue original à une question posée. Il ne fait que reprendre ce qui a déjà été écrit sur un sujet. En cela, ce n’est qu’une grosse encyclopédie et qui, de plus, fait des erreurs. Son seul atout est qu’il restitue rapidement une information.

Pour faire une recherche documentaire, par exemple obtenir des références bibliographiques, ChatGPT peut faire gagner du temps. Les réponses ne sont toutefois pas exhaustives ; elles permettront d’obtenir des pistes pour orienter la recherche. C’est uniquement à ce genre de tâche que l’IA peut s’avérer utile. Un ordinateur ne philosophe pas ; il ne faut donc pas attendre plus que ne le peut la machine.

Les concepteurs des IA essaieront de les rendre plus fiables, notamment en les spécialisant afin d’être plus exhaustives sur un domaine donné. Si le vivant est constitué d’organes spécialisés, nous pourrions faire de même avec les programmes concernant l’IA.

Nous sommes au tout début d’une nouvelle ère. Probablement construirons-nous des machines plus puissantes à l’avenir. Le seul écueil à éviter sera de ne pas remplacer nos anciens dieux par des ordinateurs, en ayant une pensée animiste. Et c’est malheureusement ce qui se produit actuellement

(© Serge Muscat – avril 2025)

Regard porté par François Jarrige sur les machines, dont l’IA est l’aboutissement actuel

Les machines soulèvent depuis leurs premières inventions de très nombreuses questions. Les médias « de masse » traitent malheureusement ces sujets avec bien souvent l’objectif de faire du journalisme sensationnel. François Jarrige, qui est historien, nous livre une réflexion pertinente et documentée sur l’histoire des machines en montrant ce dont les médias de masse ne parlent quasiment jamais. Ainsi il analyse « la face cachée » de l’informatique et ses mythes dans une conférence dont je vais donner le lien. La nouvelle mythologie de l’IA est par exemple décortiquée, une mythologie qui se répand un peu partout dans le monde. Voici donc le lien pour accéder à cette conférence, où vous pourrez trouver également la liste des ouvrages publiés par cet auteur: cliquer ici.

Le livre

Le livre est un objet étrange. Dans ce rectangle de papier, l’homme y dépose ce qui lui est spécifique, c’est-à-dire la faculté de parler. Ce qui fait que l’homme est homme, et non pas un autre animal, c’est la possibilité, pour lui, de parler et de fabriquer des outils. Une fois que l’on a bien « pris conscience » de ces deux seules aptitudes pour agir sur le monde, notre comportement pour traverser le cours de notre vie, même dans les activités les plus ordinaires, s’en trouve profondément modifié.

Le livre, donc, est une sorte de réceptacle de tout ce que peut dire l’homme, depuis ses débuts, lorsqu’il apprend à parler. Cette mémoire permanente de la parole que l’on place dans des rayonnages de bibliothèque ou que l’on empile sur une table, m’a toujours semblé un peu mystérieuse. Peu importe que l’on ne comprenne pas tout dans un livre. Du reste, comprendre tout ne veut rien dire. L’essentiel est la permanence, la pérennité de ces feuilles de papier qui conservent ce que les hommes disent. Partout, dans le monde, un livre est rangé quelque part, dans l’attente qu’un lecteur vienne l’ouvrir et le lire. Si ce n’est pas dans un instant proche, cela sera le mois prochain ou dans cinq ans, ou encore beaucoup plus tard. Cette capacité de patienter, d’attendre et de s’accorder avec le désir et la volonté d’un lecteur à venir, sont ce qui fait toute sa force.

Il y a toujours à découvrir sur la seule chose que possède l’homme, c’est-à-dire la parole, et qui est déposée sur un support comme le papier. Même en ce XXIe siècle où l’ordinateur est devenu indispensable dans notre vie quotidienne, le livre est toujours cet objet privilégié qui conserve la parole des hommes. Tel un phare dans une grande tempête, il guide les individus qui s’égarent sur l’océan du devenir.

Un livre dépasse beaucoup plus ce que dit son auteur. Il est la trace laissée par toute l’humanité. Car l’auteur, bien qu’exprimant une parole personnelle et singulière, est en même temps le témoin du spectacle du monde et de toutes les paroles prononcées au cours d’une vie et aussi écrites sur divers supports. Il est aussi porteur, par le biais de la langue qu’il utilise, d’une partie de l’histoire de l’humanité. Il est la preuve de son évolution et, également, de ses errements.

Bien entendu la parole ne peut pas communiquer les sensations qu’éprouvent les hommes. Parler d’un frisson ou de l’angoisse ne peut pas faire percevoir ces deux sensations. C’est là la limite de la communication entre les individus et les générations successives. Cependant tous ont au moins une fois eu un frisson ou ont senti un moment d’angoisse. Ce qui fait que la parole n’échoue pas totalement, même pour exprimer ce que nous ressentons. Bien qu’imparfaite, elle nous permet tout de même de réaliser un grand nombre de choses en commun. Et le livre est cet objet dans lequel nous déposons toutes ces choses, en attendant patiemment.

L’animal humain est en fait très démuni. Il n’a que la parole et la main avec laquelle il fabrique des outils. Et avec ces deux éléments, il a tout de même réussi à créer des civilisations diverses. A force d’acharnement, il a su compenser ses modestes moyens donnés par la nature. Et la parole fait partie de ces moyens. Une parole que l’on utilise dans toutes les activités humaines et dont le livre est la mémoire.

A chaque moment de la vie, il y a des livres différents qui nous accompagnent. Lorsque nous en délaissons certains au fil du temps pour diverses raisons, nous en reprenons néanmoins d’autres plus en accord avec l’évolution de notre pensée et de la compréhension de ce qui nous entoure. Tout homme possède de nos jours au moins quelques livres, même pour les plus modestes. L’écriture, qui autrefois était réservée aux clercs, est à présent acquise par tous. Ce qui est un énorme progrès pour la civilisation. Toutes les langues du monde, aussi variées qu’elles soient, ont fini par être adaptées à un système d’écriture. Depuis l’invention de l’imprimerie, le livre est donc devenu un objet universel capable de conserver et de diffuser toutes les paroles des hommes. Ce fait, à présent banal, est pourtant d’une importance capitale. Et l’informatique repose sur ce fondement qu’est l’écriture sous toutes ses formes pour ses conceptions et ses réalisations.

Aussi le livre, bien qu’étant un objet assez ancien, est également très moderne et d’actualité. Il s’adapte au fil du temps, en devenant par exemple plus petit dans ses dimensions, mais il est toujours présent, et même de plus en plus présent, aux côtés de nos ordinateurs qui caractérisent ce XXIe siècle. Il accompagne nos médias électroniques évolués et complexes . Quant à savoir si le livre existera encore dans plusieurs siècles, je n’ai malheureusement pas la réponse.

© Serge Muscat – avril 2025.

Considérations sur l’hypermodernité

Depuis le passage de la postmodernité à l’hypermodernité, des changements importants ont eu lieu, tant au niveau technique qu’au niveau social. Le développement de la technique a profondément modifié nos pratiques sociales, notamment avec une pluralité toujours croissante de nos moyens de télécommunication. Dans cet univers surmédiatisé les rapports et les liens sociaux se sont modifiés en privilégiant les liens faibles. Les liens sont devenus plus superficiels et l’on surfe avec nos relations amicales comme on surfe sur le web. Époque de la glisse existentielle, nous nouons des liens sans nous attacher aux êtres. D’où cette sensation de solitude que nous ressentons parfois parmi un groupe d’amis. Comme l’a déjà remarqué Gilles Lipovetsky1 dans les années 1980, la poussée de l’individualisme est le moteur de notre nouvelle ère liquide chère à Zygmunt Bauman2.

La multiplication des réseaux sociaux qui ne font que véhiculer une parole creuse, sans le moindre recul et sans la moindre analyse, fait que les internautes peinent à trouver du sens derrière leurs écrans. Porté par un immense narcissisme, chacun se met en scène avec des photos et des vidéos, dans un théâtre électronique où un like correspond à un applaudissement. Changement de peau et changement de mots pour jouer au maître dans un amphithéâtre de la taille de la planète. Telle est la loi des réseaux sociaux et de leur diffusion mondiale.

La culture psy et les marchands de bien-être

Sur le terreau du narcissisme pousse la culture psy qui promet de devenir maître de soi-même et de manipuler autrui pour arriver à ses fins. L’analyse transactionnelle et la psychologie du Moi sont déclinées sous toutes les variantes afin d’avoir prise sur l’autre. Apprendre à connaître les individus et les décrypter, tel un passage au scanner, pour mieux prévoir leurs actions, telle est la promesse de ces livres de vulgarisation concernant la psychologie de bazar. Reprendre sa vie en main au lieu de la subir. Un programme mirifique qui fait saliver tous les lecteurs désabusés de Cioran. Avoir du pouvoir sur les autres, tel est le rêve de tous les participants à la servitude volontaire.

Cette cure de psychologie s’accompagne également de séances de méditations diverses, de fitness et autres activités physiques afin de devenir fier de son corps et d’en imposer par sa seule présence face à des interlocuteurs. Tout est bon dans la course à la domination. Pour les plus perspicaces il y aura la pratique d’un sport de combat qui donne la sensation qu’une simple phrase est un véritable coup de poing en travers de la figure. Ces marchands de bien-être vous proposent tout sur un plateau : un psychisme à toute épreuve dans un corps d’athlète.

La glisse sur la vie liquide

Comme le remarque Zygmunt Bauman, dans une société où la mobilité est devenue le nouveau paradigme, tout bouge rapidement sans que ne résiste la moindre attache. L’individu glisse sur le social d’une manière détachée, sans n’avoir plus vraiment d’amis véritables et sans même avoir un emploi fixe. Chacun file sur sa trottinette électrique dans les méandres des villes sans que rien ne semble pouvoir nous arrêter.

Le progrès avance inexorablement sans que nous sachions très bien ce que nous prépare le futur. Le XXIe siècle sera le siècle de l’informatique et de la conquête de Mars nous disent certains futurologues. Le transhumanisme sera la nouvelle religion qui décuplera la puissance de l’homme. On fera la chasse aux poètes à grand renfort d’intelligence artificielle, et l’homme sera battu à tous les jeux contre l’ordinateur. Ère du métavers, nous ne nous satisfaisons plus du réel brut. Notre imaginaire déborde dans les mondes virtuels, encerclés que nous sommes par l’insalubrité de la réalité. Nous replantons des arbres dans le béton, conscients que la nature et l’homme ne font qu’un.

Coincés entre Matrix et Terminator, nous ne savons plus quelle voie prendre. Nous étouffons et manquons d’espace pour déployer toute l’étendue de notre Être. Nous regardons avec convoitise la Lune et Mars, avec l’espoir d’en faire nos prochaines banlieues. Nous affrontons l’absurde avec témérité et nous donnons de fausses explications à notre soif de compréhension. A force de creuser le comment, nous nous disons que nous finirons bien par trouver le pourquoi.

La société hyper-technicienne

Jamais dans l’histoire de l’humanité nous n’avons autant voulu maîtriser la nature qu’en ce XXIe siècle. Cette volonté de tout rendre artificiel, jusqu’à l’intelligence même avec l’informatique, en attendant de modifier le vivant lui-même avec la génétique appliquée à l’homme, n’a rien d’équivalent dans l’histoire de l’évolution humaine.

Tout devient technique. La technique est à ce point répandue que l’on nomme ingénieurs des métiers qui n’ont que peu de choses à voir avec l’ingénierie. Ainsi on nomme « ingénieur d’étude » des personnes qui s’occupent de piloter une formation alors qu’elles n’ont rien de commun avec un ingénieur proprement dit. On parle également d’ingénieur d’affaires au lieu de parler de commerce. Toutes les activités humaines tendent à être calquées sur le modèle de l’ingénieur de la révolution industrielle. Procédures de travail, théorisation (avec par exemple les statistiques) et tout le vocabulaire de l’ingénieur. Dans le secteur tertiaire la planification des tâches est semblable à celle de l’usine. Les openspaces ne sont que des dérivés de l’organisation d’une usine.

Par ailleurs les sciences humaines font de plus en plus appel à tout un attirail mathématique qui, bien souvent, est superflu3. Les sciences humaines comme l’anthropologie n’ont que très peu besoin de modèles mathématiques. L’essai sur le don de Marcel Mauss ne gagnerait rien à utiliser des statistiques pour parfaire l’exposé. Et pourtant les mathématiques sont de plus en plus utilisées pour réaliser des études en sciences humaines. Carl Gustave Jung, dans son ouvrage Présent et avenir, parle de ce phénomène de l’individu statistique, d’un individu qui n’existe en fait pas, qui est une fiction de la moyenne mathématique et que l’on ne rencontre jamais. Ainsi Pierre Bourdieu utilise de nombreux graphes dans sa revue Actes de la recherche en sciences sociales . Afin d’obtenir un discours qui se veut le plus scientifique possible, les sciences humaines utilisent les méthodes de l’ingénierie. Quant à Pierre Goguelin (ancien professeur de psychologie du travail au CNAM et aujourd’hui décédé), il rédige par exemple dans son ouvrage L’équilibre du corps et de la pensée un tiers du livre en faisant une comparaison entre le fonctionnement humain et celui d’une machine. Mais l’homme n’est pas une machine contrairement à ce que nous proposent les transhumanistes. L’homme possède une altérité que jamais la machine ne possédera. Les ingénieurs ont beau réfléchir sur une simulation possible de l’être humain, leur tentative est vouée à un échec certain.

La surenchère du spectaculaire

D’autre part, Gilles Lipovetsky4 relève un point particulier qui est l’escalade de l’éphémère. Vous vivons dans une vie-minute où tout doit être réalisé en un temps record, aussi bien la production que la consommation. Un produit va en remplacer un autre, et ceci dans une accélération croissante de capitalisme artiste. La starisation et la presse people entretiennent une mythologie de l’artiste, où chaque star est aussitôt chassée par une autre star, dans des délais de plus en plus courts. Les artistes défilent comme des objets manufacturés sur une chaîne de montage. Les cadences s’accélèrent et le public en redemande. Comme le dit si bien cet auteur, dans les films d’action il y a par exemple une surenchère toujours plus grande de la violence du personnage principal qui devient capable de donner cent coups de poing aux prétendus méchants, le tout dans un binarisme affligeant. Les coups de feu s’enchaînent les uns aux autres, avec une croissance galopante, laissant le téléspectateur dans un orage de sensations disparates et floues, où sa capacité de discernement reste amoindrie.

La surenchère du spectaculaire semble ne pas avoir de limites. Toujours plus haut, toujours plus loin, jusqu’à l’obscénité intégrale. Telle est la nouvelle recette du cinéma actuel. Ainsi les James Bond sont-ils de plus en plus violents en utilisant des armes de plus en plus létales. Quant aux autres films d’action que chacun connaît comme par exemple Expandable et leurs ersatz, nous trouvons les mêmes ingrédients qui tiennent le téléspectateur en haleine. A chaque seconde, le spectateur s’attend à de nouvelles prouesses qui dépasseront celles vues antérieurement. Cela rejoint le ballet des revolvers dont parlait Roland Barthes dans ses Mythologies. Et pour finir sur ce sujet, le contenu narratif est réduit à des stéréotypes dont l’univers principal est la maffia.

La ville comme gigantesque supermarché

Dans les années 1960 furent inventés les supermarchés, ces lieux qui rassemblaient en un même emplacement presque tout ce dont avait besoin le consommateur. Puis le modèle s’essouffla pour laisser la place à un commerce de proximité. Ensuite ce fut toute la ville qui se transforma en supermarché. Objets insignifiants qui sont désormais vendus dans toutes les rues des grandes villes. Plus d’espaces de tranquillité où les marchands ne s’installent pas au bas de tous les immeubles. Il ne reste que quelques îlots de calme non encore pris d’assaut par les marchands. Désormais nous vivons dans une gigantesque grande surface commerciale avec tout ce que cela comporte comme désagréments. Partout des publicités et des kiosques à journaux nous vantant la dernière mutuelle au prix imbattable et autres réclames du même genre. Il faut bien que le commerce fonctionne ; mais tout de même il y a des limites. La ville devient invivable, envahie par les marchands. C’est aussi cela l’hyper-modernité.

La décroissance pour conclusion

Face à cette hyper-modernité qui nous propulse dans une impasse de laquelle nous ne sortirons pas, la seule voie viable et possible est d’entamer une décroissance progressive.

Nous arrivons au bout de nos ressources naturelles, et persévérer dans le chemin de la croissance prônée par la plupart des économistes nous mènera dans une société invivable. Persister dans l’erreur risquerait de nous mener rapidement à une catastrophe planétaire qui commence déjà à se faire sentir. L’hyper-modernité doit opérer un changement de cap et réviser entièrement la société.

L’histoire n’est pas linéaire, et il est illusoire de penser que nous allons continuer à prolonger les trente glorieuses. Travailler moins et consommer moins sont les seules issues pour sortir de la catastrophe planétaire qui nous attend dans un futur proche

© Serge Muscat – Septembre 2023.

1Gilles Lipovetsky, L’ère du vide, Essais sur l’individualisme contemporain, Ed. Gallimard, 1983.

2Zygmunt Bauman, La vie liquide, Ed. Le Rouergue/Chambon, 2006.

3Voir à ce propos le livre d’Abraham A. Moles, Les sciences de l’imprécis, Seuil, 1995.

4Cf Gilles Lipovetsky, Jean Serroy, L’esthétisation du monde, Vivre à l’âge du capitalisme artiste, éd. Gallimard, 2013.

Quelques problèmes du miroir et de la notion de répétition en littérature

Sur les médias de masse comme la télévision, la radio ou la presse, il est souvent mis en avant, dans la rubrique dite « culture », soit la littérature avec les romans, soit le cinéma de fiction ou alors également le théâtre, en laissant de côté tous les autres domaines qui font aussi partie de la culture. J’ai trouvé cela curieux et je me suis donc posé des questions. Qu’est-ce qui fait qu’il y a autant de romanciers et par exemple très peu d’anthropologues lorsqu’on présente la culture sur les médias de masse?Pourquoi cette modalité de la « connaissance » est-elle plus privilégiée plutôt que par exemple la sociologie ou la philosophie ? Je me suis alors posé une autre question qui est de savoir ce qui est commun à ces différents domaines ainsi qu’à d’autres. Essayons donc d’y voir un peu plus clair.

Le succès du roman, lorsqu’on parle de culture, est à mon avis lié au fait qu’il est facile d’accès, en utilisant un vocabulaire de la vie courante et n’utilisant que très peu de jargons spécialisés comme ceux utilisés par exemple en sciences sociales ou dans différentes branches des métiers divers qu’on trouve dans la société. D’autre part la littérature romanesque, par n’importe quel bout qu’on la considère, repose toujours en dernier ressort sur le procédé du miroir. Elle se veut être le miroir d’une réalité sociale qui, dans tous les cas, est filtrée par la subjectivité de l’auteur, mais que cet auteur considère cependant plus ou moins comme étant objective. Ainsi dans les narrations mêmes les plus imaginatives, l’auteur fait également appel à ce que l’on nomme le vécu personnel, ayant pour source la perception par ses cinq sens de ce que chacun dit être « la réalité ». Et le social est composé d’une multitude de réalités différentes. Le roman cherche à être dans tous les cas le miroir de cette fameuse réalité tout en n’utilisant pas un vocabulaire trop spécialisé. Un romancier ne va par exemple pas utiliser les termes parfois très obscures de la philosophie car il souhaite la plupart du temps se faire comprendre facilement. Et de plus le romancier « montre », plus qu’il n’essaie de tout expliquer. Il montre des personnages qui parlent et agissent, avec cependant une certaine intentionnalité, en essayant de faire comprendre au lecteur quelque chose qui lui semble important. Il travaille essentiellement, la plupart du temps, avec l’outil qu’est le miroir, en essayant par le biais du langage de faire refléter des personnages, des situations, des paysages, des objets, etc.

Mais de fil en aiguille on en arrive bien vite à se poser aussi des questions sur le langage. Car le langage est également, par sa nature, un outil qui se voudrait être l’image reflétée d’une certaine réalité perçue par les cinq sens. Et on voit rapidement la foule de questions que cela soulève. La perception est aussi importante que le langage pour comprendre le réel, et les deux cohabitent et se complètent. Pas de perception « juste », ou au moins une tentative de perception juste, sans langage, car le langage peut par exemple orienter l’attention dans notre perception, en décidant par exemple de regarder telle chose plutôt qu’une autre. Et le langage se nourrit également de la perception , lorsqu’on découvre par exemple une nouvelle particule en physique ou un nouvel animal non encore connu, on leur attribue un nom, un nom qui est arbitraire et qui aide à faire entrer cette nouvelle particule ou ce nouvel animal dans notre esprit, dans notre conscience, le tout interagissant dans une boucle systémique. C’est donc aussi pour cette raison que le cinéma, depuis son invention, a également un très grand succès à côté du roman. Car le cinéma se propose d’être aussi un reflet fidèle de la réalité sans passer uniquement par la répétition du langage comme dans le roman. Car le langage, comme l’a compris Jacques Derrida, est une sorte de répétition d’une réalité qui serait originelle. Ainsi lorsque je dis que je vois une pomme en utilisant le langage, cette pomme préexiste avant de la nommer et le langage vient donc en quelque sorte répéter avec des mots la réalité de la pomme qui est sur une table. Et le cinéma a la prétention de montrer directement cette réalité originelle par les sens de la vue et de l’ouïe, même si les personnages utilisent le langage dans les dialogues. Mais se pose alors la question de savoir si le réel reflété par la pellicule est aussi « vrai », complet et neutre que le réel perçu directement par nos sens et sans aucun intermédiaire, comme l’est par exemple la pellicule, lorsque nous faisons une ballade en forêt ou lorsque nous nous promenons dans la ville. Et de questions en questions, nous en arrivons aussi à regarder du côté du théâtre où le spectateur est confronté à une sorte de réalité brute et qui serait plus originelle, sans passer par l’intermédiaire d’un média quelconque en provocant « le contact direct » avec le public. Ainsi le metteur en scène et les comédiens se disent eux aussi tout autant porteurs et messagers de la réalité.

La littérature, le cinéma et le théâtre sont les domaines les plus représentés dans les rubriques « culture » car ils proposent une explication du réel tout en employant un langage pas trop abscon et spécialisé pour parler de l’homme. On dit d’un livre, quel qu’il soit, qu’il se lit par exemple « comme un roman » si son propos est clair et facile d’accès. Ceci cachant bien entendu aussi une grande complexité car le lecteur de romans et le spectateur de cinéma et de théâtre ne comprennent que ce qu’ils sont en mesure de comprendre sous l’apparente simplicité de ce qui leur est proposé. Mais cette simplicité est ce qui séduit le plus grand nombre, alors que des livres comme ceux de Jacques Derrida, de Jacques Lacan ou de Pierre Bourdieu, pour ne prendre que ceux-ci, sembleront d’un accès beaucoup plus difficile tout en traitant cependant des mêmes questions soulevées par le roman, le cinéma et le théâtre. C’est aussi ce qui explique le succès parfois vertigineux de certains romans ou de certains films. Alors que les livres par exemple de sociologie et de philosophie ont un tirage bien moindre, même si au final ils traitent des mêmes questions mais avec une approche, des outils et un langage spécialisé. Beaucoup de gens préfèrent par exemple regarder un film traitant de l’inceste tout en se « détendant » plutôt que de se plonger dans les livres de Freud qui traitent également de ce sujet parmi d’autres. Et regarder un film comme « Rencontre du troisième type » est plus agréable et a plus de succès que de lire ou d’écouter un astrophysicien qui tente lui aussi d’émettre des hypothèses sur la possibilité d’une vie ailleurs dans l’univers en ne s’aidant pas de la fiction cinématographique pour s’exprimer. Ou alors encore un roman de Proust a plus de succès pour traiter des questions de la mémoire et du temps humains que de lire par exemple un livre de Bergson qui traite également de ces sujets. Et le roman ne se cantonne pas uniquement aux questions soulevées par les sciences humaines, même si en bout de raisonnement on en vient toujours à l’homme car c’est lui et lui seul, de par le fait d’exister et d’attribuer un sens au monde alors que le monde pourrait exister sans l’homme mais il n’y aurait donc plus personne pour tenter de donner du sens à la réalité de l’univers (s’il n’y avait que des animaux sur Terre ces animaux prendraient « conscience » comme ils peuvent que d’autres animaux existent, sans toutefois s’apercevoir qu’ils sont sur une planète, etc, et vivraient paisiblement jusqu’à ce que se produise l’extinction du soleil) le roman peut traiter également des sciences dures comme le fait Aldous Huxley dans « Le meilleur des mondes » où il est question de nouvelles formes d’apprentissage et de génétique, de clonage donc à priori d’égalité totale entre les individus clonés, de justice sociale et de bien d’autres choses encore. Et dans le cas de la science-fiction, il est à remarquer qu’il y a de nombreux romanciers de ce genre de littérature qui ont aussi assez souvent également une formation aux sciences dures acquise durant leurs études. On peut dire que dans tous les cas, émettre une hypothèse par le biais de la fiction romanesque aura plus de succès auprès du public que de présenter cette hypothèse dans une forme aride dans un livre scientifique distribué par un nombre restreint de librairies.

(A suivre…)

Copyright Serge Muscat – mars 2025

Quelques considérations sur l’IA

A l’heure actuelle où les médias de masse se passionnent pour cette nouvelle technologie en la présentant, pour la plupart, comme une solution à de nombreux problèmes humains, il serait peut-être bon de prendre un peu de recul et de réfléchir sur ces machines qui ne sont que le fruit de l’invention humaine.

Les questions que soulève l’IA sont si nombreuses qu’il est impossible de les traiter toutes. Aussi n’aborderons-nous que quelques unes d’entre elles.

Une IA repose, pour fonctionner, sur des ordinateurs. Les ordinateurs existent déjà depuis plusieurs décennies. Or avec l’IA l’ordinateur semble pouvoir réaliser des choses qui n’étaient pas possibles auparavant. Que s’est-il donc passé ? Cette nouvelle possibilité vient donc de la façon de programmer les ordinateurs. Ce qui caractérise l’IA provient de la manière de réaliser des programmes. Qu’est-ce qu’un programme ? C’est une suite d’opérations logiques qui s’appliquent à des modèles mathématiques qui pilotent la machine. Donc les modèles mathématiques sont au centre de l’IA. Ainsi se pose la question de savoir ce que peuvent les mathématiques, puisqu’elles sont utilisées par l’IA. Les mathématiques peuvent-elles tout expliquer, par exemple ce qu’est le désir ou l’élan vital dont parlait Bergson ? Pour le moment les mathématiques n’ont pas apporté d’explications à ces deux choses ainsi qu’à d’innombrables autres. Les mathématiques ne sont qu’un langage (on parle de langage mathématique) parmi d’autres langages. Le langage naturel, donc celui utilisé ici, possède autant de possibilités que le langage mathématique, lequel repose en grande partie sur le langage naturel, car les symboles utilisés en mathématiques renvoient à des mots du langage naturel qui eux-mêmes forment des concepts. Donc L’IA n’est qu’une machine dans laquelle l’homme y a incorporé des mathématiques qui ne sont qu’une création humaine. On en revient donc à l’homme.

De fil en aiguille on s’aperçoit bien vite que l’IA n’est qu’un reflet de ceux qui la construisent, et que ces individus ont une culture complexe, avec par exemple des croyances et des désirs. Les modèles mathématiques ne sont qu’au service de toutes les informations traitées par l’ordinateur qui sont au sens large la connaissance. Car une IA fonctionne avec des programmes basés sur les mathématiques et également, sans quoi l’IA ne produirait aucun résultat, une somme considérable de données qui ne sont que des connaissances produites par les hommes et qui ne sont également que des savoirs temporaires qui pourront être réfutés par d’autres hommes en tentant de s’approcher de la vérité.

Ainsi l’IA est une sorte de distributeur très rapide d’informations déjà inventées par des hommes particuliers et possédant une culture propre. Les informations que traite l’IA, donc l’ordinateur, ne sont que des informations préexistantes entrées dans la machine par des milliers d’opérateurs de saisie. Et lorsque l’IA utilise les informations du web, ce sont aussi des informations qui ont l’humain pour origine (les textes rédigés par les internautes, les réponses à des questionnaires, etc). Que cela soit les opérateurs de saisie ou le web, les informations ont dans tous les cas, lorsqu’on remonte à la source, l’homme pour origine. Donc l’IA est une sorte de reflet des hommes, sans avoir la moindre autonomie. La machine ne pense pas, pas plus qu’elle n’a de désirs.

A partir de là, il n’y a pas « une » mais « des » IA, comme il n’y a pas un homme mais des hommes. Ainsi chaque pays, pour ne pas dire groupe d’individus, va chercher à créer son IA en défendant sa propre culture, puisque l’IA n’est qu’un reflet de ceux qui la fabriquent. Ainsi ChatGPT va répondre d’une certaine manière à certaines questions. Mais ces réponses ne sont pas inventées de toute pièce par la machine et dépendent du programme et des données qui sont produites par les concepteurs de ChatGPT. Ainsi un programme de traduction de textes ne fait que traduire un texte selon le programme et les données qui sont entrés dans l’ordinateur. Est-ce la bonne traduction ? Qu’est-ce qu’une bonne traduction ? L’IA ne traduit le texte que par rapport aux informations dont elle dispose pour son fonctionnement. Et ces informations proviennent encore des hommes qui ont une culture, des croyances et des désirs. Le programme et les données ne sont que l’objectivité de celles et ceux qui sont à la source de ces informations.

Il y a une multitude de façons de traduire un texte car il n’y a pas vraiment de correspondance totale entre les langues. Les langues sont le résultat d’une culture où tout vient s’agréger sur le langage, le climat, le genre de nourriture, la faune, la flore, etc. C’est l’homme qui invente les mots pour désigner tout cela. Comment traduire par exemple tous les états de la neige dont parlent les peuples de l’extrême nord pour les faire comprendre à un peuple du désert ? Comment faire correspondre dans la traduction tous les mots inventés par les peuples du nord aux mots qui n’existent par exemple pas chez les peuples qui vivent dans le désert, étant donné que leur vocabulaire correspond à leur réalité vécue au quotidien ?

On voit donc bien vite l’étendue de la complexité des problèmes posés. Et l’IA ne traduit un texte que par rapport aux informations qui ont été entrées dans l’ordinateur. Ainsi chaque IA proposera dans le cadre d’une traduction son propre texte qui sera différent des autres IA. Il n’y a pas une traduction universelle qui serait plus objective que les autres, car il y a une multitude de cultures et d’individus à la source des programmes et des données. Vous pourrez vérifier ceci en posant par exemple strictement la même question à plusieurs IA différentes. S’il existait une objectivité universelle dont l’ordinateur serait la source, on devrait par conséquent obtenir strictement la même réponse avec strictement le même texte. Or on s’aperçoit qu’il y a de grandes différences et de grandes variations dont la cause est la différence des individus et des cultures de ceux qui ont réalisé chaque IA. Par conséquent un ordinateur n’est pas plus objectif à lui seul que ne le sont les humains. L’ordinateur ne fait que refléter la subjectivité de ceux qui ont participé à sa réalisation et au choix des données.

Ainsi l’IA en elle-même ne détient aucune vérité. Sa seule vérité est la vérité que lui proposent chaque homme et chaque culture. C’est seulement un outil qui peut aider à la présentation et à la proposition des solutions que donnent les hommes. L’ordinateur en lui-même ne propose rien de plus que ce que proposent les hommes. Car l’ordinateur n’est pas un homme mais juste une création de celui-ci. Si l’ordinateur est une création humaine, il est également impossible d’expliquer ce qu’est l’homme. Et l’ordinateur à lui seul ne pourra probablement jamais expliquer ce qu’est l’homme étant donné que celui-ci est le fruit de l’intelligence humaine. Les réponses sont donc à chercher dans l’homme, qui est le seul être vivant à questionner le monde et l’univers. L’IA l’aidera dans cette tâche mais ne sera qu’une aide parmi de très nombreux autres outils. La réponse finale sera donnée par l’homme et non par ses créations technologiques. L’IA n’apportera pas plus de réponses que la pierre taillée chez les hommes préhistoriques. L’IA les aidera peut-être à vivre mieux s’ils en font un bon usage. Mais s’ils l’utilisent mal, l’IA pourra aussi servir à dominer d’autres hommes et à faire la guerre. Ce n’est pas l’IA qui choisira à la place de l’homme, car celle-ci ne possède pas de désirs. Il n’y a que l’homme qui est une sorte de machine désirante. Et de là provient sa force mais aussi sa faiblesse

© Serge Muscat – février 2025.

La conquête de l’espace intérieur

Une femme un peu naïve me disait : « Il y a tout dans les livres. » Je ne savais pas, si toutes les réponses étaient dans les livres, si l’homme serait enfin en paix et accepterait mieux la vie en lisant des livres. Cette femme disait cela peut-être parce qu’elle n’avait pas la force de chercher elle-même les réponses à ses questions. Elle trouvait cependant agréable et libérateur le fait de trouver des réponses dans les livres, comme d’autres cherchaient des réponses en regardant la télévision ou en faisant une promenade en forêt. Elle disait qu’on trouvait tout dans les livres aussi parce qu’elle n’avait pas encore pris conscience que d’autres qu’elle cherchaient aussi des réponses. Ainsi elle découvrait qu’elle n’était pas seule, malgré son profond sentiment de solitude. Des hommes et des femmes lui donnaient quelques réponses à ses questions. Sans en prendre pleinement conscience, elle découvrait ce que l’on appelait le social. Car les livres étaient écrits par des humains comme elle, alors qu’elle avait cette indescriptible impression que les livres venaient d’un autre monde, comme si des dieux les écrivaient, en ne s’imaginant pas un seul instant que leurs auteurs prenaient le métro comme elle, lorsqu’elle allait au travail, et qu’ils faisaient également la queue au supermarché. Elle attribuait sans s’en apercevoir un caractère divin aux livres, comme si ceux-ci provenaient du monde des cieux et dont les auteurs n’avaient pas de corps.

Ainsi lorsqu’elle apprenait la mort d’un auteur qu’elle appréciait, elle ne voulait pas y croire vraiment, car pour elle ceux qui apportaient des réponses dans les livres demeuraient comme immortels et n’étaient pas soumis aux lois de la difficile condition humaine. Puis, après quelques instants, elle finissait par accepter que cet auteur dont elle avait appris la mort n’était en effet plus de ce monde et qu’il était aussi vulnérable qu’elle. Il ne serait plus là pour lui apporter des réponses. Et à ce moment précis, elle se trouvait alors dans une solitude extrême. Il n’y aurait plus de réponses dans les livres de cet auteur qu’elle lisait, et s’apercevait alors qu’elle devait trouver elle-même des réponses aux questions qu’elle se posait. C’était une épreuve redoutable. Elle comprenait alors que tout n’était pas dans les livres et que de plus leurs auteurs mourraient.

Ainsi la prise de conscience du social s’accompagnait également de la constatation que l’homme ne pouvait pas se passer de ses semblables et qu’ils apportaient un sens à la vie de chacun. L’homme était seul sans pouvoir toutefois vivre sans les autres.

Les réponses aux questions ne se trouvaient pas uniquement dans les livres. Elle se manifestaient partout, dans le sourire de la boulangère, chez le facteur à qui l’on disait bonjour, chez ceux aussi qui ne pouvaient pas lire de livres en étant trop épuisés par le travail, chez ceux également qui essayaient de survivre dans une misère profonde, chez ces naufragés de la vie perdus dans une société dont ils ne comprenaient pas les rouages.

Cette femme qui pensait que toutes les réponses se trouvaient dans les livres était encore jeune. Dix ans plus tard elle se mit elle aussi à écrire des livres. Elle avait appris à chercher des réponses par elle-même, et le fait de partager ces réponses lui procurait une certaine joie. En retour les lecteurs lui apportaient d’autres réponses dont elle n’avait pas elle-même trouvé de solution. Et elle se disait que c’était là le seul et unique sens de la vie.

© Serge Muscat – Janvier 2025.

James Bond et la technologie

Lorsque nous regardons les adaptations faites au cinéma des romans de James Bond écrits par Ian Fleming, le spectateur est souvent sous la fascination d’un déluge technologique. Ainsi lui sont montrés des gadgets à profusion et des hommes qui dominent le monde par l’intermédiaire de la technologie. Il y a en quelque sorte une bonne technologie, celle que possède James Bond, et une mauvaise technologie, celle qui sert à asservir l’humanité et dont s’empare le méchant combattu par James Bond.

Il est à remarquer que l’objet de chaque mission entreprise par l’agent secret est d’empêcher l’appropriation par le méchant d’une nouvelle technologie qui, dans les mains de ce dernier, nuira à la société. Ainsi on comprend assez rapidement que la technologie en elle-même n’est pas forcément négative et porteuse de dystopie, et qu’elle dépend avant tout de l’utilisation qui en est faite par l’homme. Dans la plupart des technologies réalisées, rarement sont réellement pensées les utilisations et les conséquences qui sont engendrées par ces technologies. La quête de la nouveauté et de l’innovation pour l’innovation sont avant tout le moteur de celui qui innove, comme ceux qui font de l’art pour l’art avec le simple objectif de faire du nouveau.

Ainsi dans les films de James Bond c’est le méchant qui révèle l’utilisation possible d’une technologie à laquelle son créateur n’avait pas pensé. L’utilisation faite par le méchant de la technologie est toujours détournée et différente de celle imaginée par son créateur. Par exemple les médias de masse sont utilisés pour diriger l’opinion de la planète, et non pour éclairer le citoyen. Ou alors un fanatique partisan de l’eugénisme veut utiliser certaines inventions pour faire disparaître une partie des hommes et ne conserver qu’un groupe d’élus qui, selon lui, sont les plus aptes à perpétuer une espèce humaine parfaite.

Ainsi, sans être vraiment de la science-fiction, les James Bond questionnent le rôle et l’utilité de la techno-science dans la société. Et l’utilité de cette dernière est toujours positive entre les mains de James Bond, alors qu’elle est destructrice entre les mains de celui qui joue le rôle de méchant et qui incarne le mal. Bien utilisée, cette techno-science semble utile et capable de résoudre de nombreux problèmes tout en étant porteuse d’espoir. Contrairement aux films qui traitent de la dystopie, la techno-science est envisagée comme une sorte de fin ultime de l’humanité. Du reste les James Bond se terminent toujours avec une note d’espoir où l’amour et le bien triomphent sur le mal. Et ce bien est du côté de la technologie et de ceux qui la font.

Nous retrouvons là l’utopie américaine, mais aussi de nos jours mondiale dans une certaine mesure, que la technologie va résoudre tous les problèmes de la condition humaine, et qu’elle va lui faire accéder à ce fameux bonheur dont tout le monde parle et dont personne ne sait exactement ce qu’il est, de quoi il est constitué. James Bond est donc une apologie de la techno-science, comme les transhumanistes voient en cette dernière le salut pour l’humanité. Quant à savoir ce à quoi serait confronté l’homme qui réussirait à devenir immortel par le biais de la technologie, c’est une question que ne semblent pas se poser les transhumanistes ou les films de James Bond.

© Serge Muscat – Février 2025.

Demain les posthumains ou pourquoi le futur a encore besoin de nous

Que va devenir l’humanité avec le développement croissant des machines ? Question lancinante que Jean-Michel Besnier se pose et dont il propose des réponses face à cette rencontre avec le non-humain. Pour lui, le non-humain est digne d’une morale et il nous présente une éthique des robots. Car les machines dont il parle sont douées des capacités d’interagir avec l’environnement comme les êtres vivants.

Les robots n’ont pas la capacité de souffrir, cependant rien n’empêche d’imaginer que dans les développements futurs les machines n’auront pas peut-être atteint une telle complexité qu’elles s’apparenteront à la complexité du vivant. C’est du moins ce dont parle l’auteur en tentant de prendre des exemples sur les technologies actuelles et leurs potentialités. Il reste toutefois prudent sur certains développements de la technique, comme par exemple l’escamotage du corps dans l’imaginaire transhumaniste. Dans le désir de fluidité, le corps devient encombrant à partir du moment où l’on peut uploader la pensée dans une machine. Une « deuxième vie » est possible lorsqu’on se débarrasse du corps. Ce corps qui nous fait prendre conscience de notre finitude. Une fois la conscience téléchargée dans une machine, nous voilà promus au rang des immortels !

D’autre part, pour Jean-Michel Besnier la transgression serait à la base de la culture. La culture est une transgression à l’endroit de la Nature. La Nature n’est pas clémente envers l’homme, contrairement à ce que pensait Rousseau. La culture est nécessaire pour libérer l’homme de l’emprise de la Nature. Et il est difficile de dire où s’arrête la culture et si elle ne doit pas totalement renverser la Nature en la désacralisant. La technique ne s’oppose pas de façon radicale à la Nature. Il y a en fait une intrication entre les deux. Et opter pour l’extrémisme est néfaste dans les deux cas pour l’homme.

L’androïde ou le cyborg ne puisent leurs sources que dans un désir ancestral de fabriquer des machines, des plus rudimentaires jusqu’aux plus sophistiquées. La différence c’est qu’en ce début de 21e siècle nous atteignons un stade encore jamais atteint auparavant. Le robot se rapproche de plus en plus de l’humain, jusqu’à créer un phénomène de malaise chez l’homme. Ce dernier cherche à faire ressembler la machine à son image, mais arrivé à un certain point il y a un mécanisme de rejet car l’homme se sent comme humilié. Il ne semble pas y avoir de limites à l’évolution des machines, et c’est ce qui commence à en inquiéter certains. Car, par exemple, dans une usine automatisée, l’homme devient un élément gênant et non nécessaire au bon fonctionnement des machines. De plus la technique concerne aussi le vivant avec les biotechnologies. Ainsi l’homme qui se croyait supérieur à la machine par le fait qu’il soit biologique en vient à être concurrencé avec des techniques comme le clonage.

L’externalisation de notre mémoire par la biais des machines informatiques est un danger pour la préservation de notre histoire. Les partisans du transhumanisme sont bien souvent des défenseurs de « la table rase », en pensant que le passé n’a plus rien à nous apprendre. Pourtant les archéologues sont tout autant utiles à la société que les ingénieurs et les informaticiens. Une civilisation sans passé est condamnée à l’errance. Pas d’identité individuelle et collective sans mémoire. Et une mémoire gérée informatiquement à la façon de Google serait totalement impropre à ne pas faire perdre une très grande quantité d’informations qui feraient par exemple défaut aux historiens.

A partir du moment où la conscience n’est plus le propre de l’homme mais également le fait des animaux et des machines, tout peut prendre une orientation différente. La conscience étant basée sur un système de rétroactions permanentes, rien n’empêche de concevoir une machine ayant ces caractéristiques. C’est du moins la thèse que défendent certains transhumanistes lorsque les machines auront atteint ce fameux seuil de la « singularité ». Le réseau Internet transforme la terre en gigantesque cerveau planétaire électronique.

Cette mésestime de soi, comme le dit Jean-Michel Besnier, pour aboutir à un cyborg dénué de toute métaphysique est-elle la suite logique de l’évolution de l’espèce humaine ? Il est bien délicat de s’avancer sur ce terrain glissant et incertain. Ce que l’on peut dire, néanmoins, est que l’homme va devoir apprendre à vivre avec des machines de plus en plus évoluées. Et de ce fait, il va lui falloir développer une nouvelle éthique qui prenne en considération ces machines. Ce n’est pas en tombant dans les extrémismes du tout écologique ou du tout technologique que l’homme réussira à trouver la bonne place dans la Nature. Tout est affaire de modération et c’est la juste mesure qui nous aidera à vivre en harmonie avec le vivant mais aussi avec les machines

© Serge Muscat – 2023

Gloire et déboires de l’intelligence artificielle

En cette année 2024 le coupable de nos futurs problèmes est l’intelligence artificielle. L’homme est ainsi fait qu’il aime pratiquer l’anthropomorphisme à outrance. Car cette intelligence artificielle n’a d’intelligence que le nom.

Ainsi fleurissent des logiciels de plus en plus variés que l’on appelle IA. Ces programmes répondent à des questions simples qui ne font en aucun cas intervenir une réelle créativité. Machine à imiter et à traiter de l’information, l’IA n’est qu’une aide comme l’est un traitement de texte. Et il serait illusoire de lui demander plus qu’elle ne peut effectivement faire.

L’apprentissage, cette spécificité du vivant, et particulièrement chez l’homme, n’est pas encore une caractéristique des ordinateurs. Et comment serions-nous capables d’inventer une machine qui égale l’humain alors que l’homme reste encore une énigme totale concernant ses facultés d’adaptation et de cognition. Aussi l’anthropomorphisme est-il une bévue en ce qui concerne l’informatique. L’homme construit et construira des machines différentes de lui-même et, de plus, mieux adaptées à différentes tâches. L’objectif n’est pas de remplacer l’homme par la machine, mais d’aider l’homme dans ses activités, sans qu’il y ait obligatoirement substitution. L’IA n’est qu’un outil qui reste supervisé par les concepteurs et les utilisateurs. Aussi est-il nécessaire pour optimiser les machines et les logiciels d’être le plus transparent possible. L’IA n’est après tout qu’un système expert évolué. Opter pour l’opacité du système c’est participer à une mythologisation de l’ordinateur. Cette mythologisation se produit au bénéfice de l’entreprise qui réalise le logiciel en faisant des profits. La plus grande clarté nécessite donc que les logiciels soient libres. On ne peut avoir une réelle confiance qu’avec des logiciels dont tout le monde peut voir le code source au sens large, c’est-à-dire aussi les sources de l’information qui est transmise. Ce n’est malheureusement pas encore le cas pour le moment.

Dès que ChatGPT fut opérationnel, des voix se sont élevées en disant que les élèves allaient tricher à l’aide de ce logiciel. Pour ce qui est des exercices à faire à la maison, les enseignants peuvent très bien intégrer dans leurs cours l’utilisation de ChatGPT et ainsi atténuer l’envie de tricher pour les exercices. D’une manière ou d’une autre, les élèves utiliseront l’IA pour avoir certaines réponses à leurs questions. Il est donc préférable de l’intégrer à l’enseignement. Il restera toujours le contrôle sur table pour vérifier les connaissances. Quant à réaliser un mémoire ou une thèse à l’aide de ChatGPT, ce n’est là que pure mirage. Un professeur s’en apercevrait tout de suite. Pour la bonne et simple raison qu’une IA ne possède pas d’intelligence ; ce n’est qu’un programme réalisé par des informaticiens. ChatGPT ne défend pas une thèse originale à une question posée. Il ne fait que reprendre ce qui a déjà été écrit sur un sujet. En cela ce n’est qu’une grosse encyclopédie et qui, de plus, fait des erreurs et ne donne que deux pages de résultat à une requête. Son seul atout est qu’il restitue rapidement une information.

Pour faire une recherche documentaire, par exemple obtenir des références bibliographiques, ChatGPT peut faire gagner du temps. Les réponses ne sont pas exhaustives ; elles permettront toutefois d’avoir des pistes pour orienter la recherche. C’est à ce genre de tâche que l’IA peut s’avérer utile. Un ordinateur ne philosophe pas ; il ne faut donc pas attendre plus que ne le peut la machine.

Une fois l’euphorie passée par les nouvelles performances de ChatGPT, d’autres IA verront le jour. Les concepteurs essaieront de les rendre plus fiables, notamment en les spécialisant afin d’être plus exhaustives sur un domaine donné. Si le vivant est constitué d’organes spécialisés, nous pourrions faire de même avec les logiciels concernant l’IA.

Nous sommes au tout début d’une nouvelle ère ; probablement construirons-nous des machines plus puissantes. Le seul écueil à éviter sera de ne pas remplacer nos anciens dieux par des ordinateurs, en ayant une pensée animiste

(© Serge Muscat – Février 2024)

Internet et le livre: deux éléments qui forment le grand fleuve de la lecture

Lorsque dans les années 80 est apparu le Minitel, tout le monde s’est écrié qu’avec cet instrument le livre allait disparaître. Or nous sommes aujourd’hui au web 3 et la consommation de papier imprimé n’a jamais été aussi élevée.

L’arrivée des écrans plats pourrait donner à penser que cette fois-ci la mort de l’imprimé est certaine. Pourtant nous constatons que les bibliothèques contiennent un nombre toujours plus important de livres, de magazines et de revues. Cette croyance en la disparition prochaine du papier depuis deux décennies tient pour une bonne part de la raison suivante : la pensée a une fâcheuse tendance à fonctionner par substitution. Ainsi, lorsque apparaît une nouvelle technologie, on pense la plupart du temps que celle-ci va faire disparaître la précédente. Or cela ne se déroule pas toujours ainsi. Il y a beaucoup plus d’ajouts, d’empilements, plutôt qu’un processus soustractif. Ainsi pour les différentes technologies de conservation des informations dont l’écriture, le papier reste présent malgré toutes les technologies qui lui furent greffées. Et les ordinateurs avec les imprimantes produisent des quantités considérables de documents. La pâte à papier est décidément plus coriace qu’on ne l’imaginait.

Internet, contrairement à ce que l’on a beaucoup dit, favorise le développement de l’édition traditionnelle. Le fait d’avoir la possibilité de commander des ouvrages ou des revues en ligne, permet de faire vivre tout un circuit de l’édition qui, sans Internet, ne pourrait pas exister. De ce fait, Internet ne se substitue pas au document papier et permet, au contraire, son extension. Des sites comme Amazon ont provoqué une véritable explosion de l’activité des services postaux qui acheminent les produits commandés. Et parmi ces produits, des livres, des magazines et des revues sont vendus. Internet intensifie donc la circulation des documents imprimés. Grâce à la visibilité sur la toile, une simple recherche dans un moteur de recherche permet l’augmentation des ventes de revues vers l’étranger.

Nous voyons donc qu’Internet et la publication papier sont complémentaires et que l’évolution de l’un fait progresser l’évolution de l’autre. Le papier disparaîtra totalement uniquement lorsque l’homme séjournera dans l’espace. L’homme sans livres traditionnels est donc pour le moment l’astronaute.

Bruce Bégout, l’homme des friches et des architectures incertaines

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Bruce Bégout reste dans le paysage intellectuel un auteur à part qui se préoccupe de choses que la plupart des écrivains trouvent insignifiantes. Ainsi il pose son regard sur des friches, des bordures d’autoroutes, des motels, des usines désaffectées pour nous montrer la précarité qui se cache derrière les paillettes, notamment dans les villes américaines. Avec lui les architectures s’écroulent et deviennent friches avant qu’elles ne soient définitivement terminées.

La ville américaine aux lumières tapageuses des néons qui clignotent pour interpeller les passants n’est en fait qu’un ersatz de ville où tout vacille dans la banalité extrême. Partout règne le factice et les faux plafonds, le tout dans un état délabré et produit en grandes séries. Comme le dis ait Henry Miller dans l’un de ses romans, pas une seule pierre n’est ajustée avec amour. Tout est de travers et les pavillons souffrent presque tous d’imperfections. D’autre part il existe une culture du nomadisme où les populations laissent tout pour déménager. Il n’y a pas cette sédentarité comme on la trouve en Europe. Ce qui fait que les banlieues pavillonnaires sont faites d’habitations bien souvent délaissées, du moins pour les banlieues les plus pauvres. Bruce Bégout remarque également que le motel est largement diffusé et que de nombreuses personnes vivent dans ces habitations précaires. Lieu de la banalité où tout se ressemble sans la moindre trace d’humanité. Villes sans histoire où tout est fabriqué dans l’urgence et le temporaire. Bien entendu, il y a des monuments qui rappellent que l’Amérique a tout de même une histoire, même si elle est courte. Mais dans l’ensemble beaucoup de choses sont temporaires. Lieu de fluidité des capitaux, les richesses et les faillites se succèdent à des cadences effrénées. Pas de stabilité dans l’empire du carton-pâte. Tout se fait et se défait au rythme des marchés. Aujourd’hui dans un pavillon, demain dans un mobil home. Rien ne dure vraiment. C’est aussi cela le pays de la liberté.

Dans le chapitre intitulé « L’envers du décor » de Zeropolis, l’auteur nous dépeint un univers fait de vapeurs d’essence qui, comme il le dit, « prennent à la gorge ». Toute la population est abrutie et est dans une torpeur « où s’entassent les quelques objets essentiels qui leur font croire que toute existence humaine doit être nécessairement accompagnée. » Nous sommes loin de la machine à rêves que nous proposent les studios de cinéma. La banalité et l’ennui sont au rendez-vous, au milieu d’architectures qui ne durent pas plus de vingt ans. Univers du contreplaqué, tout peut s’effondrer à n’importe quel moment. Friches à perte de vue, c’est à un monde sans âme que nous sommes confrontés. Pays du bricolage et du garage mythique, tout est sans cesse à réparer. Les parcs d’attraction tentent vainement de donner un sens à l’existence, mais dans cette artificialité les individus sentent bien que quelque chose ne va pas.

Cette démesure est sans substance ; Henry Miller s’en était déjà aperçu lorsqu’il habitait New York. Ce monde n’est pas à une taille humaine, tout y est vanité et désir de domination. Dépasser sept étages pour un immeuble est quelque part une chose malsaine. La verticalité dans son principe le plus large dénote une volonté d’asservir. Quant à l’empire du jeu c’est également l’empire du vice. Peuple de joueurs invétérés sous toutes les déclinaisons, Las Vegas rassemble tout ce qu’il y a de plus sordide dans les méandres de la nature humaine. Ça clignote de partout dans un déluge d’électricité en essayant de faire croire au joueur que la vraie vie est ici. Entreprise de flatterie narcissique, tout est prévu pour convaincre le joueur qu’il est dans le meilleur des mondes. Rien n’est impossible et le hasard sera présent au rendez-vous. Comme l’écrit Bruce Bégout « le ludique a pour but de domestiquer le désir originel et sans objet qui coule dans les veines de chacun. » Jouer jusqu’à en perdre la tête, emporté par les flux des lumières. Tel est le secret des salles de jeux. Dans l’étendue interminable des machines à sous, chacun tente sa chance en étant persuadé de gagner quelque chose. Leurre des salles de jeux où les joueurs parient sur l’impossible. Las Vegas avale les clients comme un serpent avale ses proies. Temple du factice et du mirage, les joueurs n’aperçoivent que les pâles reflets d’une réalité déformée. De plus Las Vegas est la plus grande décharge d’enseignes lumineuses. Comme l’écrit J.G. Ballard, « Las Vegas n’a jamais été rien d’autre que la plus grosse ampoule électrique du monde. » Et les joueurs sont attirés comme des papillons de nuit par cette monstrueuse ampoule située dans un désert. Architecture champignon qui a poussé dans le grand rien, au milieu de nulle part. Comme l’explique Bruce Bégout, tout est rouillé et dénaturé, c’est le règne du bancal et de l’incertain où tout peut s’écrouler à chaque instant. Et les joueurs ne font même plus attention à cette précarité chancelante d’une architecture rafistolée de partout. Rien n’a été prévu pour durer. C’est aussi cela le rêve américain : un amas de planches pour réaliser une maison en bois. Univers peuplé d’habitations de fortune que l’on ne peut même pas qualifier d’architectures comme on parle d’une cité antique à Rome ou à Athènes. Las Vegas n’est qu’un amas de tôles, de boulons et de matière plastique, le tout recouvert d’une peinture écaillée.

Bruce Bégout, dans ses divers écrits, nous dresse enfin un tableau saisissant de cette Amérique dont le cinéma fait rêver le monde occidental tout en nous cachant les réalités de la banalité de la vie quotidienne et de ses turpitudes. Comme Roland Barthes l’avait fait pour la presse people et la mode, Bruce Bégout démonte la mythologie américaine pour nous montrer la face cachée d’un pays à bout de souffle où règne derrière les paillettes des populations en difficulté et une vie dénuée de sens

© Serge Muscat – Septembre 2023.

Ça va très vite

Depuis le mouvement futuriste, la vitesse n’a cessé de s’accélérer. Ça va vite. Trop vite ? La course à l’innovation est devenue un bolide que personne ne semble pouvoir ralentir. J’observe tout cela avec perplexité en essayant d’entrevoir les limites. Car il y aura bien une limite ! Tout possède une limite. L’infini est un concept qui nous aide à comprendre l’inconcevable, mais sur notre planète tout est borné et possède des limites.

Je regarde l’euphorie des ingénieurs qui pensent défier la nature dans le toujours plus. L’idée de limite ne semble pas germer dans leur esprit. Ils possèdent la conviction que l’on peut faire toujours reculer les limites. La loi de Moore par exemple a été contournée en changeant les procédés de fabrication des transistors, et il en va ainsi de toutes les limites qui semblaient indépassables. Je me suis souvent demandé d’où provenait cette rage (il n’y a pas d’autre mot plus adéquat que celui-ci) de se surpasser dans tous les domaines. Rien ne semble arrêter l’esprit de perfectibilité. Persister dans son être, tel semble être le propre de l’homme. Cette volonté de puissance finira-t-elle par nous perdre ?

Les nouvelles mythologies

Nos ingénieurs participent activement à une nouvelle mythologisation du monde. Dans un discours qui se veut éloigné des réalités techniques et de terrain, toute une fiction métaphorique enrobe des technologies comme l’IA ou les robots « intelligents ». Un néopositivisme s’est instauré chez les techniciens et les ingénieurs qui ne réussissent pas à prendre conscience de leurs actes. Ils ont beaucoup de mal à contextualiser leurs créations et à prendre du recul. L’objet technologique se présente au regardeur dans un pur présent, tout en faisant toujours référence au futur. Dans leurs propos, il existe une positivité du futur, en ne se tournant jamais vers des dystopies possibles. Le discours de l’ingénieur relève presque du performatif : tout en parlant il fabrique ses objets toujours plus sophistiqués. Nous sommes passés des années 1960/70 d’une surabondance des formes à un minimalisme technique où tout se doit d’être compact, de renfermer un maximum d’énergie et de fonctionnalités sur des objets miniatures.

La mythologie des équipements retombe malheureusement aussi rapidement qu’elle s’est élevée. Au bout de quelques mois, le mythe s’épuise pour ne laisser la place qu’à un simple objet qui ne fait plus briller le regard. Une fois au rebut, il perd toute sa magie que quelques historiens des techniques feront revivre durant l’espace d’un livre ou d’une exposition.

Le vintage est, lui, un peu particulier. L’objet vintage, on l’aura compris, se situe dans une autre temporalité que le high tech. Le vintage fait appel à un âge d’or, à un paradis perdu, à un temps ayant atteint son point culminant dans un passé proche ou lointain, que l’on ne retrouvera, justement, que grâce à cet objet portant les traces de ce passé que l’on ne peut faire revivre. Il en est ainsi, par exemple, du disque vinyle représentant l’apogée du son analogique.

Par ailleurs, presque personne n’échappe à la pensée animiste, cette pensée des premiers âges de l’humanité. Et nous projetons dans les objets nos diverses croyances enfouies au plus profond de notre inconscient. Ainsi les ingénieurs trouvent-ils beaux les objets qu’ils fabriquent. Certains vont jusqu’à dire qu’une usine est jolie. Nous sommes donc là dans un relativisme total où l’esthétique d’une usine équivaut à l’esthétique d’une peinture.

Ingénierie et pensée fonctionnaliste

A partir du moment où l’ingénieur se positionne en tant qu’esthète, se profile alors un univers dont certains ne veulent pas. Si l’on s’est habitué à l’esthétique du Centre Georges Pompidou, il n’en reste pas moins que ce musée possède l’esthétique d’une vulgaire usine. C’est à cela que nous fait aboutir le triomphe de l’ingénieur. Le fonctionnalisme poussé à son paroxysme nous fait déboucher sur un monde inhumain.

Dans le fonctionnalisme tout doit être utile. Or ce qui est inutile est justement ce qui est indispensable. Ce qui est fonctionnel n’est pas esthétique. Se fondre dans la pure fonctionnalité est une illusion pour ergonomes. Une sculpture n’est pas ergonomique, elle est mieux : elle est esthétique. Évidemment les designers tentent de concilier ergonomie et esthétique mais ce n’est que rarement une réussite. Une sculpture de Giacometti n’est pas vraiment ergonomique. Ni celle d’un Tinguely. Pour les fonctionnalistes c’est l’adéquation de la forme et de la fonction qui crée l’esthétique. Et dans cette accélération croissante, le fonctionnalisme devient de plus en plus un critère important dans le choix des objets. Tout est réduit au fonctionnel. Du moins pour ce qui concerne la production industrielle.

La durée de vie des produits et les contradictions techniques

La durée de vie des produits est de plus en plus courte, et un mouvement contraire apparaît avec la possibilité de réparer les objets au lieu de les recycler. Les coûts énergétiques et de matière première sont ainsi amoindris au lieu de fabriquer toujours plus de jetable. Car les coûts de fabrication ne sont pas les seuls à prendre en considération, il y a aussi les coûts secondaires comme les problèmes de pollution et les crises écologiques.

Les machines finissent par s’emballer, tout va trop vite et il nous faut retrouver un rythme de vie et de consommation qui soit adapté aux nouvelles caractéristiques de la planète. Car la terre se modifie à force de l’exploiter sans retenue. Cette évidence n’est pourtant pas acceptée par tout le monde. Des discours d’autruches sont encore à l’œuvre dans le monde industriel. On fait appel à la technique pour résoudre des problèmes techniques qui produisent à leur tour d’autres problèmes techniques, et ainsi de suite. Nous sombrons ainsi sous une avalanche de problèmes à résoudre car les solutions trouvées ne sont pas les bonnes. Il en est de la technique comme des médicaments : il y a les effets secondaires et indésirables. Aussi est-il nécessaire de prendre tous les facteurs en considération. La société de consommation des produits jetables a abouti à l’homme jetable de l’ultralibéralisme ! Nous n’allons pas dans la bonne direction et nous transformons la société en cauchemar éveillé. La société n’est pas une startup. Elle est bien plus complexe qu’une simple petite entreprise. Les sciences sociales sont là pour nous le montrer. Et il se pourrait bien que nous ayons atteint la vitesse critique du progrès technique.

Que nous le voulions ou non, nous serons obligés de ralentir si nous ne voulons pas être confrontés à la catastrophe. Notre planète est finie et cette évidence finira par s’imposer aux esprits les plus réfractaires. Zygmunt Bauman, Bruce Bégout, et de nombreux autres auteurs nous ont déjà avertis du précipice qui nous attend si nous ne ralentissons pas. Espérons qu’ils seront entendus avant que la planète entière ne devienne une immense décharge publique

© Serge Muscat – Octobre 2023.